Algérie 1

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L’Algérie et la coopération internationale se fondant sur un partenariat gagnant-gagnant

09-08-2015 08:03  Contribution

[caption id="attachment_244508" align="alignleft" width="500"] Fist in color national flag of algeria punching world map as symbol of export, economic growth, power and success[/caption]

Préambule

Ces trois contributions  de trois amis français exerçant d’importants postes de responsabilité et experts de renommée mondiale, pour le site Algérie1 sont la synthèse d’une partie du volume II et V de l’audit réalisé sous ma direction, d’une brûlante actualité remis au Premier ministre Abdelmalek SELLAL et je tiens à les remercier pour leur disponibilité, étant des amis de l’Algérie.

La première est celle du Professeur Jean Louis JEAN GUIGOU, conseiller auprès de nombreuses organisations internationales dont la communauté économique européenne, Délégué général de l’Institut de Prospective Économique du Monde méditerranéen, IPEMED sur le thème «  l’énergie, vecteur de rénovation et d’enrichissement de la coopération franco-algérienne » ; la deuxième contribution est celle du Dr Jean Pierre HAUET, Polytechnicien de Paris - ancien Chief Technology Officer du Groupe ALSTOM, Pdg de KPG Intelligence sur le thème, « l’énergie, un enjeu crucial pour l’Europe et les pays méditerranéens » et la troisième contribution est celle du professeur Emile H. Malet, auteur de nombreux ouvrages traitant notamment de la crise des civilisations, docteur économiste et psychiatre, enseignant dans  les plus grandes écoles européennes, ambassadeur français itinérant au Tchad, directeur  général de la revue internationale Passages (Paris), président de l’association Adapes, président du Forum mondial du développement durable dont le professeur Abderrahmane Mebtoul est membre du conseil scientifique, sur le thème, « le printemps arabe, le malaise méditerranéen et la mondialisation »

Cela  sera suivie d’autres contributions d’experts algériens et étrangers de haut niveau, six   rapports sur les hydrocarbures, le raffinage, la pétrochimie et le développement des énergies renouvelables et quatre sur les mutations économiques mondiales qui nécessiteront pour l’Algérie des stratégies d’adaptation et de profondes réformes structurelles , si elle veut éviter sa marginalisation .

Avec la chute du cours des hydrocarbures, la problématique de la sécurité nationale, étant posée,  l’Algérie risque de connaitre d’importantes tensions budgétaires, nécessitant un Front social interne solide, tenant compte des différentes sensibilités sociales grâce à un dialogue productif au profit exclusif de l’Algérie et une réorientation urgente de la politique socio-économique afin d’éviter le drame des impacts des année 1986, j’ai jugé utile de mettre à la disposition du large public l’audit réalisé sous ma direction assisté de plus de 20 experts internationaux (économistes- sociologues-juristes-ingénieurs) et remis au Premier Ministre le 15 janvier 2013  (huit volumes 900 pages avec deux volumes en annexe )

Cet audit qui a été réalisé, sans aucune rémunération,  à la demande du Premier ministre  Mr Abdelmalek SELLAL, avant la baisse du cours des hydrocarbures de juin 2014 au niveau mondial, mais avec des prémisses dues à la chute en volume physique des exportations de SONATRACH depuis fin 2007, est d’une brûlante actualité.

Le contenu de cette synthèse n’a subi aucune modification. Au lecteur de juger, ayant insisté fortement en préface que la bataille de la relance économique future de l’Algérie et notre place dans la compétition mondiale se remportera grâce à la bonne gouvernance et notre capacité à innover. Face aux tensions géostratégiques, des stratégies d’adaptation étant nécessaires tant au niveau extérieur qu’intérieur, espérons avoir fait œuvre utile pour le devenir de l’Algérie pour un devenir meilleur.

Professeur Abderrahmane MEBTOUL –Expert international

Première contribution

Par le Professeur Jean Louis JEAN GUIGOU Délégué général de l’Institut de Prospective Économique du Monde méditerranéen, IPEMED.

L’énergie, vecteur de rénovation et d’enrichissement de la coopération franco-algérienne

Professeur des Universités, Haut-Fonctionnaire, Jean-Louis Guigou est, depuis 2006, Délégué général de l’Institut de Prospective Économique du Monde méditerranéen, IPEMED, .Jean-Louis Guigou est ingénieur agronome et docteur d’État ès sciences économiques, professeur agrégé des universités. Il a été directeur puis délégué (1997-2002) à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). Outre la réforme du découpage politico-institutionnel du territoire français, il y a relancé les travaux de prospective sur les incidences spatiales des grandes transformations sociales, économiques et environnementales des sociétés. De 2002 à 2004, il a également présidé l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement du territoire (IHEDATE).Chargé en 2002 par le ministre français des Affaires étrangères d’une mission d’identification et valorisation des scientifiques travaillant sur la Méditerranée, il a ensuite créé l’Institut de prospective économique du Monde méditerranéen (IPEMED),dont il est le délégué général. Jean-Louis Guigou est l’auteur de plusieurs ouvrages dont notamment :

Une ambition pour le territoire, Edition de l’Aube (1995).France 2020, mettre les territoires en mouvement, La Documentation Française (2000).Le nouveau monde méditerranéen, Editions Descartes, 2012.

L’énergie peut être le vecteur de l’intégration régionale euro-méditerranéenne, comme la CECA fut le moteur de l’intégration européenne

Une situation énergétique intenable au Nord comme au Sud

Au Nord, la France et l’Europe cherchent d’une part à reconstituer des filières industrielles innovantes créatrices d’emplois. Ces pays ont donc besoin de sécuriser leurs approvisionnements énergétiques, et d’être rassurés sur les perspectives à long terme tant en matière de quantités que de prix. Par ailleurs ces pays sont confrontés au défi de la transition énergétique qui perturbe les marchés.

Au Sud, en Algérie notamment, la population est excédée par la corruption de grande ampleur, qui la prive de la richesse de son sous-sol. Par ailleurs, le gouvernement est inquiet par la baisse de la production de gaz et des réserves, la baisse des exportations à destination du continent américain; déstabilisé par la remise en cause en Europe des contrats gaziers de long terme; confronté à l’explosion de la demande nationale d’électricité et en difficulté face à la nécessaire transition énergétique.

Face à ces tensions, le modèle traditionnel « import – export » est inadapté et conduit à un échange profondément inégal, qui réduit l’Algérie à n’être exclusivement qu’un puits de pétrole ou de gaz. Il est donc nécessaire que la France et l’Algérie élaborent ensemble un nouveau modèle d’intégration énergétique régionale.

Pour un accord franco-algérien de l’énergie

Face à cette situation de tensions, il faut rassurer les populations françaises et algériennes sur la répartition équitable des efforts et des fruits d’une coopération énergétique euro-méditerranéenne : Mieux vaut une souveraineté partagée qu’une souveraineté abandonnée aux caprices du marché.La recherche d’un accord entre la France et l’Algérie pourrait porter sur les points suivants :La constitution d’un comité stratégique « franco-algérien » composé d’industriels des deux pays et des administrations compétentesLe renforcement d’une convergence normative dans le secteur énergétique entre la France et L’AlgérieLa mise en place d’une interconnexion électrique entre l’Europe occidentale et le Maghreb à partir de lignes de haute tension à courant continuLe développement d’une filière industrielle dans les énergies renouvelables avec des financements croisés Nord-Sud, associant autour de grands groupes (sur le modèle d’EADS) une multitude de PME des deux paysLe transfert de savoir-faire par la formation et la recherche & développement (mise en place de campus ou d’un institut de formation de haut niveau aux métiers de l’énergie) et la création de clusters dédiés aux énergies renouvelables en Algérie

Convergence avec l’agenda euro-méditerranéen

Des modalités doivent être mises en œuvre pour que cette initiative franco-algérienne converge avec des initiatives en cours :Interministérielle euro-méditerranéenne de l’énergie du 11 décembre 2013 devant valider le Plan Solaire Méditerranéen et étudier les fondements de la communauté méditerranéenne de l’énergieConférence organisée par la BEI et l’Observatoire Méditerranéen de l’Energie sur l’efficacité énergétique au Sud, à Bruxelles le 10 décembre, au cours de laquelle l’ensemble des réseaux sociaux professionnels méditerranéens (Medgrid, Medener, Med-Tso, Medelec, Medreg, IPEMED, OME…) signeront pour la première fois une Déclaration commune pour une Communauté Méditerranéenne de l’EnergieRéunion du dialogue 5+5 qui, à Nouakchott en avril 2013, a acté la tenue d’une réunion interministérielle de niveau 5+5 consacrée à l’énergie en MéditerranéeConnexion avec les travaux de qualité conduits par le Secrétariat général de l’UPM à Barcelone sur l’énergieConnexion avec les travaux conduits par la Commission européenne sur la Communauté Européenne de l’Energie.

Le rôle possible d’IPEMED

IPEMED considère que les futures négociations entre la France et l’Algérie doivent renforcer l’implication des entreprises afin d’assurer la mise en place de projets concrets et de garantir des résultats.

Dans ce contexte, IPEMED, qui rassemble des entreprises des deux rives de la Méditerranée, pourrait assurer dans un premier temps, le secrétariat du comité stratégique franco-algérien, avec le concours des Ministères et institutions concernées (MEDDE, Ministère des Affaires Etrangères, Ministère du commerce extérieur…)IPEMED pourrait, par la suite, participer en tant qu’expert à la recherche d’un projet d’entente énergétique franco-algérien puis contribuer à la préparation d’une réunion du dialogue 5+5.

Document annexe du professeur Jean Louis GUIGOU

Vers une communauté euro-méditerranéenne de l’Energie :Passer de l'import-export à un nouveau modèle énergétique régional

En 2011, pour la première fois, la Commission européenne parle d’une «Communauté de l’Energie entre l’Union européenne et le sud de la Méditerranée qui s’adresserait d’abord aux pays du Maghreb et pourrait progressivement s’étendre au pays du Machrek» (communication conjointe avec la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité du 8 mars 2011). La Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) lancée en Europe en 1951 a montré que l’énergie était un domaine capable de déclencher une intégration régionale d’ampleur. A l’échelle euro-méditerranéenne, l’interdépendance et la complémentarité énergétique qui lient les pays des deux rives invite à réfléchir à une coopération régionale plus approfondie. Les défis et les opportunités que les pays méditerranéens connaissent aujourd’hui plaident en faveur d’une action urgente, collective à l’échelle de toute la région et orientée vers des résultats concrets dans le domaine de l’énergie.

1. Etat des lieux de la situation énergétique sur la rive nord et sud de la Méditerranée

Le Nord

La production d’énergie primaire dans les pays européens, de 1041 Mtep en 2010, est en baisse comparée à l’année 2000 où elle s’élevait à 1185 Mtep. Cette tendance risque de se poursuivre sur la période 2010-2020. Dans le même temps, on observe une augmentation constante de la consommation d’énergie primaire sur la période 2000-2010 qui pourrait se prolonger au moins jusqu’en 2020. La production d’énergie primaire en Europe reste insuffisante pour répondre à la demande d’énergie des pays européens. Sans recours à de nouvelles ressources énergétiques domestiques, l’indépendance énergétique des pays européens (ratio production/consommation), de 66% en 2000, et de 56% en 2010 pourrait continuer à baisser jusqu’en 2020 et au-delà. Les principaux pays producteurs d’hydrocarbures de l’Union européenne (Royaume-Uni, Pays- Bas, Danemark) et du continent européen (Norvège) enregistrent une réduction de leurs ressources d’énergies fossiles depuis plusieurs années. Afin de remédier aux effets négatifs de cette situation, il demeure indispensable que les pays de l’Union européenne :§ prennent les mesures nécessaires pour respecter l’objectif « 20-20-20 » du paquet énergie-climat adopté en 2008 (augmenter de 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale, réduire les émissions de Co2 de 20%, et accroître l’efficacité énergétique de 20% d’ici 2020)§ diversifient leurs partenariats énergétiques : une communication de la Commission européenne sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique et de la coopération internationale préconise que : « L’Union européenne a (…) un intérêt stratégique à établir des partenariats stables et durables avec ses principaux fournisseurs actuels et de nouveaux fournisseurs potentiels… »§ adoptent des politiques d’économies d’énergie et d’efficacité énergétique ambitieuses dans le secteur résidentiel, industriel et des transports§ facilitent l’essor des énergies renouvelables, en structurant des filières compétitives et définissent des mécanismes incitatifs de financements (tarifs de rachat, crédits d’impôts, certificats verts…)§ évaluent le coût-bénéfice économique et environnemental de l’exploitation des gaz non conventionnels situés sur leur territoire.

Le Sud

La production d’énergie primaire des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (Psem) s’élève en 2010 à 425 Mtep. Elle est supérieure de 24% à la production de 2000. Cette augmentation de la production pourrait s’accentuer d’ici 2020 pour répondre à la forte croissance de la demande d’énergie (+50% entre 2010 et 2020). En raison de la présence d’importants pays producteurs d’hydrocarbures sur la rive sud (Algérie, Egypte, Libye), le bloc des Psem affiche un taux d’indépendance énergétique élevé (129% en 2010) qui lui confère le rang de pays exportateurs nets (le Maroc, pays non producteur présente en revanche un taux d’indépendance énergétique beaucoup plus faible). Toutefois, cette indépendance énergétique s’amenuise progressivement sur la période 2000-2020. La hausse de la demande d’énergie sera plus marquée dans le secteur de l’électricité : la demande d’électricité pourrait doubler d’ici 2020 et voire tripler d’ici 2030. La production d’électricité pourrait ainsi passer de 559 TWh en 2009 à 1534 TWh en 2030 (cas d’un scénario conservateur- tendanciel- de l’OME). La capacité de production électrique installée dans les Psem est appelée à considérablement augmenter dans les deux prochaines décennies. Selon l’Observatoire Méditerranéen de l’Energie (OME), dans le cas d’un scénario conservateur, 200 GW de capacités électriques additionnelles seraient nécessaires. Dans le cas d’un scénario proactif (essor des énergies renouvelables et mesures d’efficacité énergétique), 155 GW de capacités électriques additionnelles seraient suffisantes mais nécessiteraient un doublement du parc de production d’énergies renouvelables (éolien et photovoltaïque) et un montant d’investissement plus élevé d’environ 40 à 50 milliards de dollars. Quelque soit le scénario retenu, il faudrait entre 310 et 350 milliards de dollars d’investissement, selon nos estimations, pour réaliser de nouvelles capacités de production d’énergie dans les Psem d’ici 2030.

Importations et exportations énergétiques Nord-Sud

L’Union européenne est la région du monde la plus importatrice d’énergie. Elle a importé 993 Mtep en 2010 et pourrait acheter 1 045 Mtep en 2020. L’UE importe plus de 60% de son gaz et 80% de son pétrole. Sa dépendance énergétique (ratio importation/consommation), de 53% en 2010, de plus 60 % en 2020 pourrait être de l’ordre de 75 à 80% en 2030. La Fédération de Russie, premier partenaire énergétique de l’Union européenne dont proviennent 32% des importations de pétrole et 40% de gaz, ressort avantagée de cette tendance. Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, pris globalement, sont exportateurs nets d’énergies fossiles. En 2009, les Psem ont exporté 82 Mtep d’hydrocarbures et pourraient commercialiser entre 100 et 150 Mtep en 2020. Selon les orientations énergétiques adoptées par les pays producteurs de la rive sud (recours aux énergies renouvelables), le volume d’exportations pourrait fortement baisser en 2030 à 33 Mtep ou se stabiliser autour de 150 Mtep. Cette tendance ne reflète pas la réalité de tous les pays de la rive sud : le Maroc est dépendant énergétiquement à 95% et importe des hydrocarbures provenant de pays situés hors du bassin méditerranéen. Dans les échanges énergétiques régionaux entre la rive nord et sud de la Méditerranée on relève aujourd’hui que : 20% du gaz et 15% du pétrole consommés en Europe viennent d’Afrique du Nord ; 60% des exportations de pétrole et 84% des exportations de gaz de l’Afrique du Nord sont destinées à l’Europe. L’interconnexion électrique avec l’Espagne a permis par ailleurs au Maroc d’importer 4,6 TWh en 2011. Dans les prochaines années, les exportations des pays producteurs d’hydrocarbures de la rive sud à destination des pays nord méditerranéens pourraient diminuer compte tenu de la forte croissance de la demande d’énergie attendue dans ces pays. En revanche, les transferts d’électricité entre les deux rives devraient progressivement se développer avec l’essor des interconnexions.

Part du secteur de l’énergie dans la création de richesse nationale et l’emploi

Le secteur de l’énergie génère une importante valeur ajoutée dans les pays producteurs d’hydrocarbures. En revanche, il n’est pas créateur d’emplois (en Algérie, la part du secteur de l’énergie dans le PIB est de 36,7% mais le secteur n’emploie que 2-3% de la population active occupée). Comparativement, l’énergie en France représente 1,7% du PIB et emploie 0,5% de la population active occupée. La transition énergétique offre la perspective aux pays de la région méditerranéenne de développer de nouvelles filières industrielles énergétiques (éolien, photovoltaïque, CSP, efficacité énergétique…). En Allemagne, entre 2000 et 2011, le nombre d’emplois dans les filières renouvelables a presque quadruplé (381 600 emplois en 2011

2. Les forces à l’œuvre qui militent pour une intégration énergétique entre les deux rives

§ La régionalisation de la mondialisation : la pertinence de la proximité géographiqueLes grandes puissances portent un intérêt politique et économique pour leur voisinage (Etats-Unis et Japon). Pour les pays européens, l’Afrique de l’Ouest et le Sahel deviennent des terrains de préoccupations stratégiques. Le printemps arabe a poussé l’Union européenne à proposer « une nouvelle stratégie à l’égard d’un voisinage en mutation »2. La situation politique et le développement économique des pays de la rive sud suscitent un nouvel intérêt des pays nord méditerranéens pour leur voisinage.§ La troisième révolution industrielle à partir des énergies renouvelables a commencé et elle avantage les pays du SudL’économiste Jeremy Rifkin souligne qu’« une troisième révolution industrielle doit prendre le relais de notre modèle actuel, à bout de souffle ». Le potentiel solaire des pays de la rive sud de la Méditerranée les avantage dans la réalisation de cette nouvelle révolution industrielle. Le coût de production d’électricité générée par la technologie du solaire photovoltaïque pourrait avoisiner les 10 centimes de dollars (7,8 c€/kWh) dans les zones très ensoleillées (à comparer au prix moyen de l’électricité sur le marché en France qui a été de 4,69 c€/kWh en 20123).

§ Les pays du Sud, consommateurs comme producteurs, veulent être acteurs de la transition énergétiqueLe monde mène une transition énergétique depuis un modèle fossile vers un modèle non carboné, non fossile. La transition énergétique répond aux objectifs climatiques prioritaires des pays de la rive nord et constitue une opportunité pour les pays de la rive sud de développer de nouvelles filières industrielles énergétiques. La mise en oeuvre de la transition énergétique reste problématique pour les pays du Sud dont la croissance économique est fortement dépendante du secteur des hydrocarbures. Ils veulent en contrepartie des ressources qu’ils fournissent être associés en tant que partenaires à la transition énergétique. Ils souhaitent inscrire cette perspective dans leurs stratégies nationales, énergétiques, industrielles, technologiques et mettre en œuvre des partenariats internationaux dans cet objectif.Les relations Nord-Sud en Méditerranée sont désormais caractérisées par des enjeux énergétiques communs et par des atouts complémentaires.

Les pays de la rive nord ont développé un important savoir faire dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique dans les transports, le bâtiment et le secteur industriel. Plusieurs pôles de compétitivité spécialisés dans l’énergie font évoluer les compétences et les technologies. Certains pays de la rive sud disposent d’importantes réserves d’hydrocarbures et l’ensemble des Psem ont un potentiel solaire à valoriser. Il n’y a pas de relation de concurrence entre les deux rives, chacune apportant un bénéfice à l’autre. Il est plus facile de bâtir une communauté d’intérêt entre pays complémentaires qu’entre pays concurrents.

§ Les relations énergétiques Nord-Sud ne peuvent se limiter à des relations commerciales qui ont montré leurs limites dans la création de valeur et d’emploi au SudLes échanges énergétiques développés entre les deux rives de la Méditerranée se sont limitées à de simples échanges commerciaux au détriment du développement d’un secteur de l’énergie dynamique et créateur d’emploi dans les pays producteurs. En outre, l’essor du marché spot conduit les relations commerciales à privilégier le court terme. Il est pourtant essentiel que les pays européens sécurisent leurs approvisionnements sur le long terme. Ce renversement de perspective met la firme au cœur des stratégies énergétiques régionales. Seule une relation Nord-Sud basée sur la production et la relation de long terme permet de pérenniser une relation de confiance et de favoriser l’investissement nécessaire à la transition énergétique dans la région. Les filières industrielles énergétiques traditionnelles (pétrole, gaz) et nouvelles (renouvelable, efficacité énergétique…) s’organisent sans grande cohérence entre les deux rives de la Méditerranée. Les pays producteurs d’hydrocarbures du Sud ne peuvent développer leur activité en aval et distribuer le gaz jusqu’au consommateur final en Europe, ce qui ne les incite pas à investir dans de nouveaux gisements. Par ailleurs, pour développer des filières industrielles dans les énergies renouvelables, les Psem auront besoin d’acquérir le savoir faire nécessaire. Dans le même temps, les entreprises européennes du renouvelable (solaire notamment), fortement concurrencées, ne parviennent pas à monter la courbe d’expérience et atteindre des tailles critiques. Le choix d’ordonner des chaînes de valeur Nord-Sud dans les filières renouvelables en établissant des segments à forte valeur ajoutée sur la rive sud participerait à un plus grand transfert de savoir faire européen et serait créateur d’emplois.§ Plusieurs éléments soulignent une dynamique d’intégration dans la Méditerranée occidentale qui peut constituer un laboratoire pour toute la régionCompte tenu des fortes complémentarités qui existent entre les pays des deux rives au plan de l’équilibre besoins/ressources, particulièrement entre le Maghreb et l’Europe de l’Ouest, et des relations culturelles, historiques et linguistiques qui se sont tissées, la Méditerranée occidentale apparaît comme le cadre approprié pour mettre en oeuvre dans un premier temps un partenariat de type nouveau autour de l’énergie.

3. Les actions possibles en vue d’une Communauté euro-méditerranéenne de l’énergie (CEME)

Les dynamiques à l’œuvre appellent à la définition d’un « Nouveau Partenariat Energétique » régional. Cette nouvelle démarche partenariale, fondée sur une vision commune des défis énergétiques régionaux et la volonté d’engager des stratégies génératrices de valeur ajoutée sur les deux rives, doit conduire à une « Communauté euro-méditerranéenne de l’énergie ». Pour y parvenir, plusieurs actions structurantes peuvent être initiées :§ Pilotage d’une stratégie commune : associer Nord et Sud au pilotage d’une stratégie commune à travers une instance paritaire de concertation entre acteurs des deux rives§ Convergence normative : mise à niveau des législations et des normes techniques pour favoriser la logique partenariale, et soutenir la coopération des régulateurs de l’électricité et du gaz (réseau Medreg)§ Promouvoir les politiques d’efficacité énergétique : développer des normes communes et renforcer le réseau des agences de maîtrise de l’énergie de la région méditerranéenne (Medener)§ Renforcer les interconnexions pour aller vers un espace commun et assurer la fluidité du réseau (appui des initiatives de Medgrid), et accompagner la coopération entre gestionnaires de réseaux de transport d’électricité méditerranéens (appui au réseau Med-TSO)§ Proposer de nouvelles articulations industrielles dans l’énergie par la co-production : constitution de filières industrielles énergétiques euro-méditerranéennes, partenariats stratégiques, intégrations croisées des compagnies nationales et internationales de la région§ Bâtir des partenariats entre industriels, universités et centres de recherche : favoriser plus d’interactions entre ces acteurs dans les nouvelles filières et la recherche de technologies innovantes (clusters, pôles de compétitivité)

4. Les étapes à suivre

Vers une approche euro-méditerranéenneEn parallèle des réflexions menées au sein des Etats membres sur le projet d’une Communauté européenne de l’énergie, IPEMED préconise d’ouvrir le volet euro-méditerranéen avec une Communauté euro-méditerranéenne de l’énergie. Cette démarche apparaît comme une solution pour l’Europe de l’énergie. En associant des pays producteurs d’hydrocarbures et d’énergie solaire aux négociations européennes en cours, on facilite l’obtention d’un compromis entre tous les partenaires de la région. On réduit dans le même temps la dépendance énergétique européenne à l’égard du producteur russe. Cette démarche se traduit par :§ l’association des pays du Sud de la Méditerranée qui le souhaitent aux travaux portant sur le volet euro- méditerranéen de l’Europe de l’énergie§ la mise en place de comités d’organisations portant sur les normes, les interconnexions, les réseaux et les marchés de l’énergie à l’échelle euro méditerranéenne, dont certains sont déjà mis en œuvre. En parallèle du processus d’intégration par les normes et les marchés de l’énergie qui est en cours entre les pays des deux rives, des partenariats énergétiques stratégiques capables d’améliorer les échanges énergétiques entre les pays méditerranéens pourraient, sans attendre, être développés.

La Méditerranée occidentale : espace géographique pertinent pour lancer le projet CEME

La Méditerranée occidentale apparaît à court terme comme l’espace géographique pertinent pour lancer la première phase du projet CEME. Les premières actions pourraient être décidées au sein du groupe des pays du Dialogue du 5+5. Dans le cadre de la procédure de coopération renforcée de l’Union européenne, plusieurs pays du sud de l’Europe pourraient également s’organiser pour faire des propositions aux pays du Maghreb.C’est en constituant progressivement une « Communauté Euro-méditerranéenne de l’Energie » (CEME), disposant d’une forte dimension productive, que l’énergie jouera un rôle moteur pour l’intégration économique euro-méditerranéenne.

Deuxième contribution

Par le Dr Jean Pierre HAUET : Polytechnicien de Paris - ancien Chief Technology Officer du Groupe ALSTOM Pdg de KPG Intelligence

L’énergie, un enjeu crucial pour l’Europe et les pays méditerranéens

Pendant des siècles, la Méditerranée, berceau des civilisations, a été au centre d’échanges commerciaux et culturels particulièrement intenses, que ce soit du temps des Phéniciens, des grecs, des Romains, de l’empire Byzantin, de la domination arabe, de la République de Venise ou de l’empire Ottoman… on s’échangeait tout en Méditerranée. Mais avec l’ouverture à grande échelle du trafic océanique, le commerce en Méditerranée a commencé à décliner. L’empire ottoman s’est effrité et les nations de la façade océanique de l’Europe ont tiré davantage parti du commerce transatlantique. A partir du XIXe siècle, les états du Nord, devenus nettement plus puissants, ont commencé à coloniser le pourtour Sud de la Méditerranée, qu’il s’agisse de la France, de la Grande Bretagne ou de l’Italie. Les rapports commerciaux qui s’ensuivirent ont pris un tour particulier, fortement bilatéral, qui éloigna encore davantage la Méditerranée de ce vaste bassin d’échanges qu’elle avait été jadis. Depuis lors et pendant des décennies la Méditerranée a regardé « passer les trains » ou plutôt les vastes convois acheminant le pétrole depuis les pays producteurs vers les pays consommateurs ou les gazoducs sillonnant la Méditerranée. Mais depuis à peine 10 ans, la scène énergétique s’anime à nouveau en Méditerranée avec au moins trois grands champs de manœuvre dont il est intéressant d’essayer de comprendre les tenants et d’anticiper les aboutissants.

Le premier théâtre d’opérations est celui des énergies renouvelables (éolien, solaire à concentration, photovoltaïque) qui s’est caractérisé par le lancement de grandes initiatives du type Désertec, fondées sur l’idée que le progrès technique dans les lignes de transport à courant continu permettrait de tirer parti de la complémentarité entre les besoins en électricité des pays du Nord et les disponibilités en espace et en soleil des pays du Sud. On parlait alors de 400 M€ d’investissements et de la satisfaction de 15 % des besoins européens en électricité. Aujourd’hui le projet Desertec est plutôt en berne, du fait notamment du retrait début 2013 de grands acteurs industriels, Siemens et Bosch, et du désaccord consommé en juillet 2013 entre la fondation Desertec et son bras armé industriel la Desertec Industrial Initiatitive (Dii). La Dii poursuit ses ambitions d’intégration des réseaux européens, nord-africains et moyen-orientaux, cependant que la Fondation Desertec semble à présent privilégier les initiatives bilatérales au Cameroun, au Sénégal et en Arabie Saoudite. L’initiative Medgrid, née de l’Union pour la Méditerranée, se poursuit par contre avec des ambitions plus modestes mais plus réalistes visant à développer de façon progressive un certain nombre d’interconnexions Nord-Sud afin de tirer parti des synergies existant entre les réseaux.

Le deuxième théâtre d’opérations est plus récent : il a trait à la découverte à partir de 2009, de ressources pétrolières et gazières en off shore profond, dans le bassin levantin en Méditerranée Est. Israel est le premier à avoir fait état de découvertes importantes sur les gisements de Dalit, Tamar et plus récemment de Léviathan. Ce dernier gisement, localisé sous la couche de sels messinienne, semble très important et entrera en production en 2016. Des forages sont en cours afin d’aller explorer les couches encore plus profondes qui pourraient contenir du pétrole. Chypre (Aphrodite – 2011) et la Grèce ont également trouvé des réserves apparemment considérables de gaz, toujours dans le même thème géologique qui était resté largement inexploré jusqu’à présent. Un « triangle de l’énergie » s’est formé, dont Chypre est le hub et dont les ressources, selon la compagnie américaine opératrice Noble, pourraient alimenter l’Europe en gaz pendant 20 ans, en attendant le pétrole. Chypre, la Grèce et Israel ont reconnu leurs zones économiques exclusives en Méditerranée et le 8 août dernier ont signé un mémorandum sur l’énergie qualifié d’historique, incluant notamment la construction d’une usine de GNL à Limassol et réalisation d’un câble de 2 000 MW entre Chypre et Israël. Chaque partenaire à cet accord y trouve son avantage et on comprend notamment le bénéfice économique qu’une nation quasiment en faillite comme la Grèce peut tirer de ressources ainsi venues du « ciel ». Mais si d’un côté l’heure est à la coopération, de l’autre les nations voisines s’émeuvent et protestent. L’Egypte, le Liban, la Turquie protestent contre la spoliation dont elles seraient victimes et n’oublions pas la Syrie qui peut également revendiquer des droits sur une partie du bassin. Les grandes puissances sont en embuscade : les USA, par le canal d’Hilary Clinton (Bill Clinton étant l’un des lobbyistes de Noble) sont venus manifester leur soutien à la Grèce mais la Russie veille, soucieuse de préserver ses intérêts économiques et stratégiques. Il faut aussi considérer que la couche de sel messinienne, qui s’est formée il y a quelques cinq millions d’années alors que la Méditerranée était devenue un gigantesque marais salant, est répartie sur trois grandes plaines abyssales : le bassin du Levant à l’est, le bassin ionien au centre et le bassin algéro-provençal à l’Ouest. Le gaz a été trouvé à l’Est ; l’Italie a annoncé de nouvelles découvertes de pétrole en Basilicate, à la pointe Sud. A quand des découvertes à l’Ouest ? N’oublions pas que la Méditerranée était jusqu’à présent une mer profonde peu accessible à l’exploration pétrolière. Les temps ont changé et la technique permet d’explorer à plus de 6 000 mètres sous 2 000 mètres d’eau. La Méditerranée sera-t-elle un nouveau golfe du Mexique ? A quel prix pour l’environnement ? Les découvertes de gaz et peut-être de pétrole seront-elles un le catalyseur d’un développement concerté et de la renaissance des pays riverains ou au contraire le détonateur de nouveaux conflits ? En tout cas, les choses vont vite.Le troisième théâtre d’opérations est encore plus récent et a trait à la prospection et à la mise en valeur éventuelle des gaz de schiste. La Turquie a donné le signal du départ en commençant tout récemment les opérations de fracture hydraulique dans les zones les plus prometteuses de Thrace et d’Anatolie. L’Association turque des géologues du pétrole estime les réserves possibles à 1 800 Md m3 soit 40 ans de consommation domestique. L’Ukraine, dont un œil regarde vers l’Europe et l’autre vers la Russie, est aussi en première ligne. Son gouvernement vient de donner son aval à un accord de partage de production, en cas de découverte avérée, avec la compagnie américaine Chevron. D’autres pays commencent également à miser sur le gaz de schiste : l’Espagne et le Maroc (modestement), l’Algérie, la Libye. Ces ressources pourraient venir se joindre aux ressources en gaz et en pétrole conventionnels et ce faisant, permettre de faire face à l’épuisement de certaines ressources (Algérie) et de se libérer de la dépendance trop forte vis-à-vis de la Russie. Bien entendu l’avenir est semé d’embûches. Les pays nouvellement dotés sauront-ils éviter le syndrome hollandais dans la gestion de leurs ressources nouvelles ? Sera-t-il possible de trouver un compromis acceptable avec ceux qui, au nom de la sauvegarde de l’environnement, estiment que les ressources fossiles devraient rester en terre ? Mais après tout, à l’instar de ce que l’on constate en France à propos de l’affectation de la rente nucléaire, peut-être les énergies fossiles serviront-elles de faire-valoir et d’instrument de financement aux énergies alternatives, en permettant de les financer et de compenser leur intermittence, avec comme résultat un bouquet énergétique dont le coût économique resterait acceptable.

Troisième contribution

Par le Professeur Emile H.MALET

Le printemps arabe, le malaise méditerranéen et la mondialisation

Né en Algérie - Emile  H. Malet est docteur en sciences économiques, journaliste, écrivain,  enseignant dans  les plus grandes écoles européennes,  directeur  général de la revue internationale Passages (Paris) dont le professeur Abderrahmane Mebtoul est Membre du conseil scientifique, et président de  l’association Adapes, regroupant  les plus grosses entreprises françaises d’énergie (Total-Suez)  et d’éminents experts. Il est ambassadeur itinérant au Tchad (France), auteur   de nombreux ouvrages dont le dernier en date « Le capitalisme contre le monde » Edition Flammarion 2012 et président du Forum mondial sur le développement durable.

* * * * *

Les secousses sociales et politiques qui embrasent le monde arabe et méditerranéen musulman depuis l’hiver 2010/2011 ont surpris le monde occidental par leur soudaineté et leur vitesse de propagation. De la même façon que cet Occident a été auparavant surpris par la plus forte crise financière surgie depuis 1929, là encore par la soudaineté du clash immobilier américain, des faillites bancaires en série, l’endettement abyssal de la plupart des pays industrialisés et la propagation d’un chômage de masse. Comparaison n’est pas raison, et les situations sont combien différentes mais elles sont dues à une même myopie politique et intellectuelle qui consiste à s’abriter derrière l’imprévisible et d’incriminer l’habituelle versatilité des foules qui font bifurquer par surprise le cours de l’histoire. Par exemple, les manifestations de la place Taksim à Istanbul ont révélé un malaise surprenant dans une Turquie prospère. L’historien Fernand Braudel insiste pour montrer que les grands évènements sont souvent contingents des faits historiques ordinaires. Cela est même vrai des guerres qui surviennent ou ne surviennent pas à partir de l’enchainement de faits divers. Il n’y a pas à proprement parler de fatalité historique car le traumatisme ne se reproduit jamais à l’identique, nonobstant la similitude apparente des situations. La grave crise économique et financière est un effet de l’incomplétude mondiale affectant un capitalisme en Occident sans autre régulation que sa propre fuite en avant financière qui fait face à un homo œconomicus désemparé et impuissant à réagir. Le printemps arabe est lié à la crise économique et socioculturelle du monde méditerranéen où la mondialisation capitaliste profite surtout aux privilégiés de ces régimes qui freinent toute évolution pour s’accaparer le pouvoir et les richesses. D’autres raisons plus sociales (déshérence des jeunes, place des femmes) et culturelles (atteinte aux libertés et à la laïcité) peuvent être invoquées. Toutefois, les foules arabes qui manifestent sont motivées d’abord contre l’autoritarisme de leurs dirigeants qui ont confisqué les libertés publiques à leur profit exclusif. Cette contextualisation des crises est nécessaire car elle permet de repérer les dysfonctionnements profonds et structurels des sociétés arabes et méditerranéennes, maintenues par leurs gouvernants dans un environnement moyenâgeux, et des sociétés occidentales dont le consumérisme illimité créa l’illusion de prospérité durable. Sans loi commune, c’est-à-dire en absence de tout leadership dans la gouvernance des affaires du monde, il faut s’attendre à ce que les crises surgissent comme des bulles de savon et crèvent au gré des vents d’une mondialisation déboussolée. En somme, le désordre apporte le désordre, quand bien même on se méprend sur la nature de l’évènement et l’on feint de croire au printemps des illusions. C’est ce qui s’est passé avec le printemps arabe perçu initialement comme une révolution populaire visant à faire tomber un ordre ancien à Tunis et au Caire, parce que despotique, anachronique et corrompu. Comme si ça suffisait pour changer la donne, en témoigne le renversement du régime des Frères musulmans en Égypte, un an après leur accession au pouvoir et leur bilan tristement négatif.

Consultation

Dans sa perception du monde arabe, l’Occident se trompe souvent. Hier comme aujourd’hui, sous l’effet d’une espèce de fascination sidérante, nous avons considéré le territoire islamo-arabe comme homogène, évoluant en marge de la mondialisation et d’une passivité perpétuelle. Un ordre immobile, en somme. Une simple consultation de l’histoire suffit à nous détromper. L’Islam est traversé depuis toujours de courants religieux distincts par leurs traditions et leurs rapports au monde extérieur. Non seulement entre chiites et sunnites, les conquêtes impériales du monde musulman et de la péninsule arabique dans le bassin méditerranéen ont une interprétation aussi complexe et brutale que les croisades chrétiennes ou les invasions barbares. Les succès alternent avec les défaites, la civilisation avec la barbarie, la tolérance avec l’intolérance. Chacun sait qu’à l’âge de Cordoue, dans l’entre deux-millénaires de notre ère, les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans dialoguaient de concert sur la pertinence de la philosophie aristotélicienne. Mais sait-on que les régimes arabes de l’époque « pré-moderne » étaient infiniment plus ouverts que les régimes actuels, plus tolérants à l’égard des minorités qui avaient certes des droits restreints mais sans exercer à leur encontre de persécution ? Il y a mille ans, les chrétiens d’Orient vivant sous domination arabo-musulmane étaient mieux traités qu’ils ne le sont aujourd’hui de Bagdad à Alexandrie. Cette régression socioculturelle et politique ne signifie pas que l’obscurantisme soit venu supplanter une quelconque forme de démocratie, simplement il y avait au sein du monde arabo-musulman des pratiques politiques de consultation à tous les niveaux qui permettaient aux gouvernants de régler les affaires de la cité avec plus de clairvoyance et de modération. La clique dictatoriale des Moubarak-Ben Ali-Kadhafi-el Assad a certes l’Islam en héritage commun, mais on aurait tort de penser que la corruption et le despotisme érigés en dictatures reflètent une permanence de l’histoire du monde arabe. Il y eût, de par le passé, des dirigeants et autres souverains aussi despotiques que ceux qui ont quitté la scène arabe mais aussi des responsables éclairés qui permirent un vivre ensemble avec des minorités et une renaissance culturelle avec l’éclosion des mathématiques, de l’astronomie et de la médecine. Entre le XIème et le XIIIème siècle, une partie de la culture grecque, notamment la philosophie, nous a été transmise par des lettrés musulmans. Des lettrés juifs comme Maïmonide communiquaient en langue arabe. Ce rappel historique, succinct et sommaire, peut aider à mieux comprendre les derniers évènements survenus au Maghreb et au Proche Orient sous l’expression du printemps arabe et en saisir le sens au passé-présent, par rapport à une histoire contrastée, tumultueuse et ouverte, et face à une mondialisation contemporaine à laquelle le monde arabe se rattache par accroc, méfiance et violence. Une certaine inculture occidentale qui imprègne les élites comme les peuples peut laisser croire et faire accroire que le monde arabo-islamique n’est pas partie prenante de la mondialisation. Il suffit d’observer avec quelle prégnance l’informatique (Facebook, Twitter…) a servi de liaison mobilisatrice entre les manifestants du Caire, de Bahreïn, Tunis, Benghazi et Alep pour défaire toutes les idées reçues et autres clichés sociologiques censés caractériser la pensée arabe et ses résonances plurielles dans ce qu’il est convenu d’appeler la rue arabe. Les arabes comme les autres peuples se servent des outils techniques et technologiques, notamment dans les domaines de l’information et de la communication, mais ils n’en sont pas bien souvent les initiateurs et hormis le domaine rentier des hydrocarbures et les flux financiers bancaires et spéculatifs, le monde arabe demeure plutôt spectateur de la mondialisation. Qu’il s’agisse de l’attribution des prix Nobel, des œuvres produites dans les Beaux-Arts et les brevets de R&D, tout exemple pris à titre indicatif et singulier, on peut constater un retard du monde arabe qui est à l’origine du ressentiment des jeunes générations à l’égard des élites gouvernantes. Le reproche vise autant la classe politique que les autres sources de pouvoir (armée, milieux économiques, intellectuels…), considérées indifféremment comme n’étant pas à l’écoute des difficultés socioculturelles et à la recherche de privilèges. Cette revendication n’est pas apparue explicitement lors des révoltes populaires, bien qu’elle soit – avec les restrictions apportées à la liberté de comportement des femmes, notamment sur le plan sexuel – un symptôme majeur de l’explosion du printemps arabe. Nous avons bien souvent tendance à prendre pour la modernité ce qui relève de la consommation de gadgets modernes qui pullulent dans la mondialisation, et de nous étonner de la prégnance des NTIC à Wall Street comme dans les manifestations de la rue arabe, parmi les traders comme chez les apprentis terroristes. Consommer internet ne vous fait pas habiter un savoir de la modernité et ne dicte pas plus une conduite éthique et responsable. C’est là où le bât blesse : l’usage d’internet est indistinct et aboutit à des proximités improbables ! Les dernières révoltes du monde arabe ne se sont pas produites dans l’insignifiance politique ou en terrain infra-culturel. La première d’entre elles, à Tunis, a éclos dans le pays arabo-musulman où la femme est la plus libre en termes culturels et socio-économiques, conquête de l’Indépendance tunisienne quand le Président Habib Bourguiba imposa un régime libéral permettant aux femmes de coexister socialement avec équité parmi la gent masculine. Simplement, cette conquête est restée inachevée dans le domaine de la sexualité où les rapports de domination masculine subsistent et où le féminin en posture de séduction s’apparente toujours à de la prostitution. Les observateurs de la société tunisienne ont pu noter combien une régression du statut sexuel de la femme était déjà à l’œuvre ces dernières années en même temps que la revendication pour plus d’autonomie sexuelle (Interruption volontaire de grossesse (IVG), contraception, monogamie…) demeurait une priorité des jeunes femmes tunisiennes, notamment des femmes diplômées des universités. Déjà, sous le régime de Ben Ali, les conquêtes sociales du bourguibisme concernant les femmes ont été rabaissées sous la pression des milieux islamistes tant tunisiens qu’en provenance des monarchies du Golfe.

Dégage !

Dans le cas de l’Égypte, où jadis une brillante civilisation fut à l’œuvre, il est intéressant de noter que c’est un des rares pays arabes disposant d’une forte minorité non musulmane, les Coptes – ce qui constitue en soi et objectivement un principe de liberté et de démocratie par le brassage culturel des populations – qui s’est embrasé avec une spontanéité incontrôlable et un rejet absolu de l’autorité honnie : « Moubarak : dégage ! ». Qu’il s’agisse de la Tunisie comme de l’Égypte, on observe que c’est justement dans des sociétés disposant de quelque ancrage de modernité solidement installé par le pouvoir politique ancien que la révolte populaire a donné de la voix et obtenu le départ de ces dirigeants autoritaires et corrompus. « Au XIXème siècle, ces deux pays ont été les premiers dans le monde arabe à avoir adopté une Constitution. À cette même époque, dans ces deux pays, s’est affirmé un mouvement réformiste qui a touché l’islam et la politique ». Ces mots d’Alaya Allani viennent corriger le jugement à l’emporte-pièce de nombre d’observateurs en Occident qui ont diabolisé l’Égypte et la Tunisie en clouant au pilori des régimes certes despotiques mais infiniment moins tyranniques que ceux d’autres pays arabes. N’en déplaise à nos belles consciences stéréotypées, la rue tunisienne sous Ben Ali restait infiniment plus attrayante que la vie citadine dans la plupart des autres pays arabes, voire ailleurs dans le monde. Ce qui n’exonère pas de leur responsabilité oppressive les régimes défunts et défaits par la pression populaire. Nous cherchons plutôt à montrer que la Tunisie et l’Égypte avaient engagé de longue date certains processus démocratiques, certes insuffisants, mais cela aura permis à la révolte de prendre corps et de s’exprimer jusqu’à enclencher une transition politique. Puis, d’empêcher la théocratie de s’emparer de la révolution en Egypte en destituant le régime falot des Frères musulmans ; la mal gouvernance islamiste en Tunisie risque de subir le même sort au regard du mécontentement de la population. Toute différente est la situation dans les monarchies arabes, y compris dans des pays relativement libres comme le Maroc ou la Jordanie, qui ne sauraient céder à des révoltes populaires sous peine de voir s’écrouler tout l’édifice politique et administratif lié au microcosme royal et au chaos imprescriptible qui suivrait. Le Maroc et la Jordanie ont disposé dans un passé récent, avec les rois Hassan II et Hussein, de régimes éclairés quoique autoritaires, avec des structures étatiques solides et une gouvernance extérieure ouverte sur le monde. Leurs successeurs, moins charismatiques, demeurent modérés et ouverts. Le cas des pays producteurs d’hydrocarbures, les rentiers de l’or noir comme on les appelle, constituent encore une catégorie à part et la chute éventuelle d’un régime entrainerait des réactions extérieures pouvant aller jusqu’à des interventions militaires (comme on l’observa à Bahreïn avec l’entrée des troupes militaires saoudiennes, sous l’œil bienveillant des États-Unis…). Qu’en serait-il de l’Algérie post-Bouteflika, un pays sous l’influence d’un complexe militaro-industriel et insuffisamment développé malgré les richesses propres à ce territoire vaste comme trois fois la France ? Et qui constitue l’ouverture cardinale au nord de l’Afrique.

L’hétérogénéité arabe

Cette panoplie de situations n’est pas exhaustive. Elle permet néanmoins de comprendre l’hétérogénéité du monde arabe tant au niveau des réformes politiques et des structures administratives que du fonctionnement des sociétés civiles. Aussi, le printemps arabe a pris des formes différentes (achevées ou non) à Tunis ou au Caire, à Tripoli, Casablanca ou à Alger. L’Algérie qui, au début des années 90, a failli avoir un régime islamiste sorti des urnes et dont le combat contre l’islamisme a fait des dizaines de milliers de morts, apparait vaccinée contre tout dérapage populaire, l’armée et le pouvoir politique neutralisant toute revendication sociale à coup de subventions pour corriger les inégalités les plus flagrantes. La méthode marocaine visa à établir d’emblée un compromis politique avec les milieux islamistes, afin de couper l’herbe sous le pied de toute manifestation populaire à soubassement religieux. Ce cordon sanitaire politico-religieux ne fonctionna pas à Tripoli parce que Kadhafi avait cherché à contrecarrer le tribalisme ambiant et que les tribus entendaient prendre leur revanche sur un pouvoir centralisé et fortement discrédité. La coalition militaire franco-anglaise débarrassa la Libye de Kadhafi et de son régime despotique sans que ce pays n’accède à la démocratie et que les Libyens ne participent à un quelconque printemps arabe. Par contre, la chute de Kadhafi entraina une dislocation des tribus et la dissémination partout en Afrique de groupuscules terroristes armés et violemment fondamentalistes. Cette panoplie de situations n’est ni exhaustive, ni exclusive de la nature politique des régimes.

La politique et la religion

C’est tromper le monde arabo-musulman que de lui faire croire que ces révoltes populaires récupérées par les partis islamiques sont à elles seules l’étape constitutive de la démocratisation future de sociétés où se maintiennent l’arbitraire, la corruption, le népotisme et l’obscurantisme religieux. Le bulletin de vote peut constituer une étape sur la voie de la démocratie, mais son agencement imposé de l’extérieur sans accompagnement éducatif a installé le Hamas à Gaza et le Hezbollah à Beyrouth. Il a installé les Frères musulmans au Caire – mis au rencart au bout d’une année – et Ennahdha à Tunis, l’AKP à Istanbul et les ayatollahs à Téhéran, en attendant de poursuivre son prosélytisme à Tripoli, Damas et Bahreïn. Quant à Bagdad et Kaboul, l’histoire démocratique de ces pays reste à écrire. De toujours, l’Amérique a cherché à exporter son American way of life en la parant des habits de la démocratie, mais il est plus facile de vêtir à l’unisson un peuple d’un jean Levis, de le chausser de baskets Nike et de faire boire du coca-cola à des foules planétaires que d’imposer une cure de démocratisation à des régimes qui n’en veulent pas. Au niveau de la politique étrangère des États-Unis, dans son souci à exporter la démocratie, la compassion dogmatique de George W. Bush rencontre l’idéal compassionnel de Barack Obama, entériné dans cette politique américaine à visée vertueuse mais imprévisible et aussi inopérante que la volonté de l’UE de créer une Méditerranée à son image socioculturelle. La démocratisation du monde arabe est possible à condition que les peuples et les États le veulent et œuvrent dans son sens en établissant une séparation, sinon quelques limites, entre la politique, la religion et l’armée. À l’époque pré-moderne, les pays arabo-musulmans s’approchaient d’une espèce de démocratie orientale « éclairée » par une pratique de la « consultation » alors que l’Europe n’avait encore laissé éclore ni sa Renaissance ni ses Lumières. La « consultation » arabe a pu anticiper sur la démocratie délibérative qui prit naissance dans l’Europe du XVIIIème siècle. De même, l’Islam de cette époque dialoguait avec le judéo-christianisme et prônait la réforme. Et qui viendrait rappeler que les États-Unis n’étaient pas encore nés ? Ce qui a été possible avec ce courant réformateur dans l’islam, l’Ijtihad, pourrait le redevenir à condition de tenir compte du monde tel qu’il est et des aspirations populaires. Pourrait-on suggérer aux intellectuels arabes de faire l’effort de penser une démocratie accessible aux peuples plutôt que de réciter comme une litanie la distorsion schizophrénique entre la rue arabe et les pouvoirs en place ? Ne constituent-ils pas une forme de contre-pouvoir et même une partie du pouvoir en place ? La véhémence et la sincérité des manifestants au Caire, à Tunis ou à Istanbul témoignent de l’authenticité de l’explosion sociale par la résonance de cris poignants de vérité pour accéder à une meilleure vie et plus de liberté. L’intelligentsia arabe, où qu’elle se trouve, doit se mettre au travail pour établir un corpus de valeurs démocratiques qui sied aux différentes sociétés et qui soient compatibles avec les aspirations des peuples. Dans les situations de crise, il arrive un moment dans la vie d’un homme ou d’une femme, dès lors qu’il (ou elle) se considère comme un être parlant et responsable, où il faut faire le choix d’abandonner toute démagogie de complaisance (et bien souvent de confort personnel) au nom d’un devoir de sincérité, et de se mettre au service d’une liberté populaire en train d’éclore. Les intellectuels arabes ne sauraient rater ce rendez-vous historique qui conditionne le devenir politique de ces révoltes. Et qui, pour l’heure, ont été dévoyées de leurs objectifs de liberté par les partis religieux qui ont pris le pouvoir à la faveur d’un processus démocratique à la sauvette.

L’islamisme politique

La conquête islamique était prévisible dans la mesure où elle demeurait la seule entité socioculturelle et politique organisée et structurée au sein des régimes arabes – en dehors de la nomenklatura des régimes en place. Selon le dicton chinois : « le poisson pourrissant par la tête », dès que les têtes de ces régimes autoritaires ont été coupées, les Frères Musulmans, où leurs épigones socio-nationaux (selon les pays), recueillaient les confettis des pouvoirs déchus et en profitaient pour s’installer au cœur du système politique avec une volonté affirmée de restaurer – sinon de conforter – la charia, liant alors une vie publique et personnelle à l’enseigne des principes religieux du Coran. À ce niveau de syncrétisme politico-religieux, on peut certes préférer un islam modéré à un fondamentalisme de type salafiste, mais cette distinction peut vite s’avérer anachronique et fallacieuse, à l’épreuve des difficultés quotidiennes rencontrées par les citoyens. Et, il faut reconnaitre à l’Islam militant une véritable vocation de charité et d’entraide qui est venue combler les profondes lacunes sociales et ainsi conforter son attractivité politique. Le succès d’Ennahdha en Tunisie, comme « l’illusion » des Frères musulmans en Égypte, voire du Hamas à Gaza, ou de l’AKP en Turquie, est venu relayer initialement des programmes d’entraide sociale. La plupart des manifestations du printemps arabe avaient pour fil conducteur un mouvement de ras le bol des jeunes générations. Que sont devenues leurs revendications sociales aussi justifiées que laissées en déshérence par les pouvoirs d’hier comme d’aujourd’hui dont Barack Obama s’était fait le chantre lyrique lors de son fameux voyage dans la capitale égyptienne, avant de garder le silence une fois les révolutions récupérées par les partis islamiques, car sa politique arabe risquait d’en pâtir ? Lors de son arrivée à la Maison Blanche Barack Obama chercha, comme nous l’avons montré, à s’éloigner radicalement de la politique extérieure de son prédécesseur Georges W. Bush, notamment en instaurant un nouveau regard américain sur le monde arabe. Après les attentats du 11 Septembre et les guerres qui suivirent en Afghanistan et en Irak, le nouveau Président américain chercha à réconforter et à mobiliser la rue arabe, enfiévrée par le ras-le-bol des jeunes générations, en lui promettant l’émergence d’une ère nouvelle de démocratie et de développement. Prévision qui ne se réalisa pas parce que l’Amérique n’était plus en position de leadership et son influence sur le monde arabe était affaiblie. L’échec américain face à l’islamisme politique est patent car, si quelques dictateurs arabes (Moubarak, Kadhafi, Ben Ali…) s’en sont allés comme des feuilles mortes qu’on ramasse à la pelle, et si Oussama Ben Laden, le grand ordonnateur du terrorisme international d’Al Qaïda, a trépassé au Pakistan sous les balles de « marines » américains, les jeunes générations cajolées dans le sens du poil par le discours du Caire n’ont rien obtenu comme libertés tangibles et un islam sociétal anti-laïc s’est substitué à un autoritarisme archaïque. Blanc bonnet, bonnet blanc, comme dirait le dicton populaire, et le printemps arabe n’aura pas tenu ses promesses face au grand désordre politique récurrent, à une corruption abyssale, au désert socioculturel ambiant hors l’espace islamiste et à l’établissement d’une charia de convenance. Seul bémol, et c’est un résultat notoire, les gens n’ont plus peur, et il nous faut prendre appui sur cette évolution psychique pour envisager l’avenir. Cette décrispation populaire a sonné le glas de l’islamisation rampante de l’Égypte après avoir mis à bas une dictature corrompue. Le monde arabe et méditerranéen ne s’en sortira pas seul et Obama a raison de ce point de vue. Dans un contexte de mondialisation où les interconnexions sont ubiquitaires et protéiformes, la multiplication des échanges tant éducatifs qu’économiques et politiques s’avère précieuse pour soutenir toutes les graines de liberté et de démocratie (parmi les jeunes, les femmes, une partie de l’intelligentsia) qui ensemencent les territoires arabes. Qu’il s’agisse de la coopération décentralisée, de la mise en réseau des mouvements sociaux, d’échanges scientifiques et culturels, mais aussi d’une volonté politique des états industriels et démocratiques à promouvoir la réforme dans tous les interstices socioculturels, tout cela peut aider à renforcer la dimension émancipatrice contenue dans les propositions initiales du printemps arabe. Il y a là un pari politique que certains trouveront audacieux. Mais quel autre choix, et surtout que peut-on espérer d’un retour en arrière qui signerait l’avènement d’un Moyen-âge arabe avec des risques incalculés pour l’ensemble de la planète ? L’influence européenne et/ou américaine sur ce nouveau monde arabe implique que l’Occident se ressource aux Lumières pour mieux peser sur une émancipation de l’islam et favoriser un dialogue interreligieux avec le judéo-christianisme. Aussi, et surtout, à ce qu’un dialogue s’engage entre le monde arabe et Israël pour aider à résoudre le conflit israélo-palestinien. Qu’une partie du monde arabe se soit soulevée, et quand bien même ce « printemps » fut récupéré par effraction par des forces religieuses, doit être pris en considération comme un événement à portée mondiale. Les jeunes manifestants arabes se sont mis au diapason des mobilités socioculturelles qui affectent la planète en clouant au pilori les repères anciens conservateurs. Certes le printemps arabe n’a produit ni nouvel ordre social, ni véritable rupture de civilisation qui aurait permis au monde arabe d’être pleinement acteur de la mondialisation et de renouer avec son passé réformateur et l’héritage de progrès et d’ouverture de Bourguiba et Atatürk. Mais, alors que le terrorisme islamiste à l’enseigne d’Al Qaïda et du djihadisme est un poison pour l’islam et la quiétude des sociétés civiles arabes, la vigueur sociale de la protestation de certaines rues arabes et méditerranéennes marque une forme de rébellion salutaire et laisse entrevoir l’amorce d’une mutation culturelle. Évolution entre générations, clivage culturel et identitaire, ouverture par rapport à l’étranger, notamment l’attitude à tenir avec les Chrétiens d’Orient, nouvelle économie psychique entre ceux qui veulent d’un islam à huis clos et les partisans de la diversité culturelle au sein de l’Islam… tout cela est en mouvement.

Désormais, dans un monde sans leadership et virtualisé dans tous ses interstices socioculturels, la rue arabe a attiré les feux de la rampe en déclenchant son « printemps ». Tout retour en arrière ne saurait être engagé en catimini. Le printemps arabe a en quelque sorte dévoilé certains des archaïsmes de l’Islam les plus rétifs à la modernité et à une société d’ouverture. Les jeunes générations doivent poursuivre leur effort en vue d’ancrer certaines réformes (statut de la femme, émancipation des élites, accès à un travail décent, libre choix sexuel…) dans une perspective démocratique. L’Occident accompagnera d’autant mieux cette évolution en inscrivant l’enseignement des Lumières dans le nécessaire dialogue des civilisations. Le monde arabe doit aller à la rencontre d’Israël et de son peuple dans un mouvement de fraternité et par filiation abrahamique. Au-delà du conflit israélo-palestinien, dont le règlement doit intervenir sur la base de compromis réciproques avec la création d’un état palestinien, le printemps arabe a ouvert une brèche considérable dans les sociétés musulmanes et méditerranéennes corsetées d’interdits : une aspiration irrépressible d’ouverture sur le monde.



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