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Khalil Baba Ahmed à Algérie1 : "Je pars du principe que l'art et la musique ne peuvent s'évaluer en sommes d'argent"

10-07-2020 17:22  Amine Bouali

Entretien réalisé par Amine Bouali 

Khalil Baba Ahmed est artiste musicien, chef d’orchestre et architecte de formation. Il est né en 1983 à Tlemcen, au sein d’une famille de mélomanes. Dès son jeune âge, il s’imprégna de l’univers musical et choisit le violon comme fidèle compagnon. Il fut, au début de sa carrière, à l’origine de la création du groupe «Jarka» porté sur le style dit «fusion» et la world music. Il élargit ensuite ses perspectives artistiques et s’intéressa au domaine de la recherche relative à la transcription de la musique andalouse, à la direction d’orchestre, l’orchestration et la composition.

Mariant tradition, universalité et modernité, il initia plusieurs projets tels «Music and peace» (2014-2015), «Djazair Musique et Paix» (2015), «Poésie et Contes, France-Algérie» (2015-2016), «Tlemcen à Lille » (2016). En 2017, il signa deux collaborations internationales , l’une algéro-serbe avec la grande diva internationale Jadraka Jovanovic, spectacle intitulé  «Sérénade de l’amitié», et l’autre avec l’artiste arménienne Anni Arzumanyan- en duo avec l’artiste algérienne Manal Gherbi- lors du Festival international de la musique andalouse et des musiques anciennes, en décembre 2017, où il a présenté une création musicale intitulée «Mystic muse – over the time».

Récemment, il a initié la création de l’ensemble musical «Safar» qui a réuni une quarantaine de jeunes musiciens venus de tout le territoire national et qui a présenté un spectacle intitulé «Mon étoile» ainsi que «Nuits Blanches», un amalgame de compositions de musique spirituelle. Son avant-dernière performance a eu lieu à Séoul, à l’occasion d’un grand spectacle algéro-sud-coréen, quelques mois avant de décrocher, au début de ce mois de juillet, une très honorable cinquième place au festival «World Folk Vision» parmi les 100 meilleurs artistes du monde entier, selon un classement établi par ce même festival. Enseignant et formateur, Khalil Baba Ahmed a mis en place, en parallèle à sa carrière professionnelle, un atelier d’apprentissage de musique qui porte son nom. Il a accepté de répondre à Algérie1 sur des questions d’actualité. 

Algérie1 : M. Khalil Baba Ahmed, vous venez de diffuser il y a quelques jours, sur les réseaux sociaux, une vidéo dans laquelle vous dénoncez le manquement à la parole donnée de certains anciens responsables de la station régionale d’Oran de la Télévision nationale. Ainsi, selon-vous, ces derniers vous ont commandé, en 2018, plusieurs spectacles musicaux qui ont été enregistrés puis diffusés, mais ils ont refusé jusqu’à ce jour d’honorer les cachets des musiciens (ainsi que le votre) comme ils se sont engagés pourtant à le faire. Vous considérez que votre cas, malheureusement, n’est pas unique dans le milieu de la culture en Algérie et que ce genre de comportement n’est qu’une énième humiliation infligée à l’artiste dans notre pays. Dites-nous ce qui s’est exactement passé ?

Khalil Baba Ahmed : Effectivement comme vous venez de le souligner, j'ai été sollicité en tant que chef d'orchestre pour assurer des prestations musicales qui allaient être diffusées durant le mois de ramadan de la dite année, et ce en 4 épisodes. J’ai eu à discuter des détails de la logistique avec le directeur de la station régionale d'Oran de la télévision nationale. Nous avons conclu un accord concernant les contrats et les paiements des musiciens auxquels j'allais faire appel et ceux de ma propre prestation.

Comme convenu, nous avons enregistré les quatre émissions avec la participation de plusieurs chanteurs.
Une fois l'enregistrement terminé, nous avons à maintes reprises sollicité la direction de la station d’oran de la télévision pour récupérer nos contrats et nos dûs mais celle-ci reportait à chaque fois la décision et gagnait du temps afin de ne pas nous remettre nos contrats, ce qui est tout à fait anormal et non professionnel.

Après plusieurs déplacements à leur niveau, sans pour autant être reçu, et plusieurs appels et courriers que je leur ai adressé sans aucune réponse de leur part, durant ces deux dernières années, on a fini par m'informer que pour finaliser les paiements, il fallait fournir des documents supplémentaires non exigés au moment de la signature des contrats. A noter que la plupart des musiciens et chanteurs algériens se trouvent dans l'impossibilité de fournir de tels documents et, à ce jour, nous restons bloqués sur ce détail. 

Algérie1 : Vous insistez sur le fait que ce qui vous a poussé à médiatiser cette affaire n’est pas uniquement une histoire d’argent mais d’abord une question de principe. 

Khalil Baba Ahmed : Je pars du principe que l'art de manière générale et la musique qui est ma spécialité ne peuvent s'évaluer en sommes d'argent. Je suis passionné par ce que je fais et rien ne vaut ma satisfaction lorsque je présente un produit bien conçu, issu de ma propre inspiration et de mon propre univers et qui plait au public. Néanmoins, comme tout prestataire dans tous les domaines, il n'a jamais été question d'offrir des services gratuitement. Il faut savoir qu'un artiste lorsqu'il s'engage avec une institution quelconque, il le fait au détriment d'autres éventuels  engagements et ceci a un prix.

Ce qui est ma plus grande déception, c’est que notre accord initial était basé sur la confiance mutuelle, en attendant que les contrats soient prêts. Au final, on se retrouve face à un comportement indigne du statut de notre interlocuteur, dégradant et méprisant envers les artistes que nous sommes, et c'est ce qui motive réellement mon coup de gueule.

Nous ne mendions pas, ce que nous demandons est notre droit le plus ligitime, nous avons notre dignité à faire valoir. 

La question que je me pose est : jusqu'à quand l'artiste algérien doit œuvrer dans l'indifférence totale ?! 
Sachez que ces comportements n'honorent pas la culture algérienne, car, pour ma part, j'ai une audience importante dans d'autres pays qui me suivent sur les réseaux sociaux et qui voient ce que nous subissons.

Algérie1 : Vous venez de participer avec l’artiste Walid Hakim à un concours international de musique intitulé «World Folk Vision» et vous avez honoré l’Algérie en vous classant à la cinquième place. Vous avez déploré, qu’à une exception près, personne n’a relevé cette belle performance et n’en a soufflé un traitre mot. C’est dure la vie d’artiste dans notre pays, M. Khalil Baba Ahmed ?

Khalil Baba Ahmed : Nous avons participé avec deux œuvres : l'une est arrivée en demi-finale et qui est une reprise revisitée d'une pièce du patrimoine andalou, et la deuxième est ma propre composition instrumentale intitulée «Rose noire», jouée en duo avec Walid Hakim au luth et moi au violon, et celle-ci a pu décrocher la 5ème place parmi des centaines d'autres participations du monde entier : une première pour la culture algérienne !

Ce que je déplore est l'absence quasi-totale de la presse écrite et audio-visuelle durant le processus du vote publique et même après que le classement final ait été dévoilé, à l’exception de la chaîne «El Djazairia One» qui a diffusé un reportage à ce sujet.

D'ailleurs, je ne rendrais hommage qu'à notre fidèle public et à nos fans, grâce auxquels nous avons pu gagner les votes qui nous ont propulsés en finale.

Je met aussi l'accent sur la politique de la sourde oreille qu'appliquent les services chargés de la culture, que ce soit au niveau local ou national, et qui n'ont exprimé aucun retour positif quant à notre participation à ce festival, alors qu'avec notre consécration, l'Algérie sera habilitée à organiser une des prochaines éditions de ce «World Folk Vision». Un courrier explicatif a été adressé au ministère de la Culture à Alger, à ce propos et par notre entremise. J’y mets l'accent sur les avantages économiques, culturels et touristiques que cela pourrait induire.

Donc, oui, la vie d'artiste est dure en Algérie. D’abord sur le plan humain, nous avons avant tout des principes et une dignité à faire respecter. Nous nous battons tous les jours pour l'émancipation de notre culture mais, hélas, sans le moindre soutien ou encouragement de la part des autorités concernées, qui n'ont d'oeil que pour ce qui se passe au niveau de la capitale. Malheureusement, moi comme beaucoup d’artistes des autres villes de l’intérieur de l’Algérie, nous souffrons de marginalisation. De plus, notre statut en tant qu'artiste reste encore flou, nous subissons une bureaucratie abominable quant au respect des contrats effectués avec les institutions avec lesquelles nous nous engageons.



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