Le journaliste français Jean Guisnel, spécialiste des questions militaires, vient de publier un livre sur les ventes d'armes avec ce titre sans fard "armes de corruption massive". Nous reproduisons ici un chapitre consacré à la Libye.
Dans son grand bureau bibliothèque de Tripoli, le chef de l’État libyen se dresse, hiératique, vraie statue de cire. Auprès de sa table de travail, devant une bibliothèque remplie de livres reliés en cuir vert, les bras le long du corps, Mouammar Kadhafi attend que la ministre française de la Défense Michèle Alliot-Marie vienne le saluer.
Pour arriver jusqu’à lui, elle aura dû franchir des murailles de béton et traverser un camp militaire de la garde présidentielle. Le silence est total. Ce 21 octobre 2006, le bureau du fantasque dictateur est couvert de dossiers et, au fond, sur la table occupée par son secrétaire particulier, un petit cartable de cuir, très usagé, enferme on ne sait quel secret.
Les quelques journalistes présents, dont j’étais, ont été introduits dans le bureau un bon quart d’heure avant l’arrivée de la visiteuse. Le « guide », comme les Libyens et les fournisseurs étrangers appellent le colonel Kadhafi, ne déviera pas son regard un quart de seconde, fixant la porte d’entrée. La voici ! Il se dirige vers la ministre et lui demande des nouvelles de son compagnon Patrick Ollier, député et président du groupe d’amitié franco-libyenne. À d’autres visiteurs, il avait dit quelques semaines plus tôt à propos de ce parlementaire, qui fait souvent l’aller-retour Paris-Tripoli :
« C’est un vrai Africain ! » MAM ne fait pas mystère du but de sa visite : elle vient vendre des armes françaises. Les affaires reprennent donc après une vingtaine d’années de tension. Car la France et la Libye, c’est une vieille histoire…
France-Libye : un passé tumultueux
La première Française ministre de la Défense a beau être explicitement venue à Tripoli pour promouvoir les armes produites par son pays, la situation n’est pas simple. L’a-t-elle d’ailleurs jamais été entre la trentaine de gouvernements qui se sont succédé à Paris depuis 1969 et le colonel nassérien Mouammar Kadhafi, arrivé au pouvoir à vingt-neuf ans, le 1er septembre de cette année-là, en renversant à la tête du Comité des officiers unionistes libres le roi Idris Ier ? Grâce à ses ressources pétrolières, le putschiste n’a jamais manqué d’argent et, quelques mois après son arrivée au pouvoir, Paris signe avec lui un contrat majeur, portant sur la vente de quatre-vingt-deux Mirage 5i. À partir de juin 1973, le conflit frontalier entre la Libye et le Tchad offrira au colonel libyen un prétexte pour que ses troupes s’invitent dans la profondeur du territoire de son voisin méridionalii. Un territoire montagneux et désertique équivalent à celui de vingt départements français, la bande d’Aouzou, est occupé par l’armée libyenne1. En novembre 1973, Mouammar Kadhafi est reçu en visite officielle à Paris par le président Georges Pompidou. Dans la foulée, il achète trente-deux Mirage F-1 C d’interception, qui seront livrés entre 1978 et 1981 : la preuve que le commerce des armes peut se pratiquer y compris avec ses adversaires…
Car après y être intervenus pour la première fois en 1969 (« opération Limousin »), en soutien au président tchadien François Tombalbaye menacé par la rébellion du Frolinat dirigé par Hissène Habré, les soldats français n’ont jamais vraiment quitté leur ancienne colonie très instable. Cette mission dure jusqu’en 1972, avant de reprendre de 1978 à 1980 (« opération Tacaud »). Les mercenaires de Bob Denard, la DGSE et les troupes françaises font à nouveau, mais plus discrètement, le coup de feu contre les Libyens au début des années 1980. Puis, de 1983 à 1984, ce sera l’« opération Manta », destinée à protéger l’ancien rebelle Hissène Habré, devenu président, contre les assauts de son opposant Goukouni Weddeye, soutenu à son tour par les Libyens.
Après Manta, un accord franco-tchadien conclura à un désengagement mutuel.
Le 5 avril 1986, une bombe explose à Berlin, dans la discothèque « La Belle ». Parmi les deux cents blessés, on compte soixante-trois soldats américains, dont deux mourront, ainsi qu’une ressortissante turque. Des interceptions électroniques américaines désignent alors sans ambigüité les services secrets libyens et, dix jours plus tard, dans la nuit du 15 au 16 avril, le président américain Ronald Reagan lance un raid destructeur contre Tripoli et les résidences personnelles du colonel Kadhafi. Ce sera l’opération « El Dorado canyon »iii. Cherchant à ne point trop envenimer ses relations avec le monde arabo-musulman, le président français François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac se sont opposés au survol de la France par les bombardiers américains.
Alors que le colonel Kadhafi a acheté des quantités d’armes dans les pays du Pacte de Varsovie et en France, ses forces aériennes, sa marine et sa défense sol-air, armées pourtant de très modernes Crotale II français produits par Thomson-CSF, se révèlent absolument incapables de seulement déranger les attaquants américains. Dans un rapport secret (exhumé plus tard des archives de la Stasi est-allemande), le maréchal soviétique Alexander Ivanovich Koldunov, qui avait averti les Libyens dès le 13 avril de l’imminence du raid, analyse l’échec de leurs défenses antiaériennes2 et de leur
armée de l’air, pourtant largement dimensionnées pour y faire face. Le maréchal russe considère les militaires libyens comme « arrogants », regrette que le « commandement et le contrôle » des forces laissent à désirer et considère le moral des troupes de la défense sol-air comme « faible »iv. Quant aux avions de chasse, ils n’ont jamais quitté leurs hangars…
Pendant la crise, les affaires continuent
Le 21 décembre 1988, un Boeing 747 de la Pan Am est détruit en vol par un attentat, au-dessus de Lockerbie en Écosse : deux cent quarante-trois morts. Puis, le 19 septembre 1989, un DC10 d’UTA explose au-dessus du Sahara. Cent soixante-dix personnes, dont une majorité de Français, trouvent la mort. Dans les deux cas, l’État libyen sera accusé d’avoir organisé les explosions. Des procès s’ensuivront : à Paris et aux Pays-Bas (ou trois juges écossais se déplaceront et observeront la loi écossaise des fonctionnaires libyens seront condamnés à des peines sévères, notamment le beaufrère de Kadhafi et chef des services secrets, Abdallah Senoussi. La Cour d’assises de Paris l’a condamné en mars 1999 par contumace à la prison à vie, avec cinq autres agents3. Nous reparlerons de lui. Tout en protestant de son innocence, la Libye a accepté en 2004 et en 2008 d’indemniser les familles des victimes de ces attentats.
Au début des années 2000, les choses commencent à se tasser, car on ne reste jamais fâché très longtemps avec un pays producteur de pétrole… Dès cette époque, les marchands d’armes français commencent à reprendre le chemin de Tripoli. La Libye demeure frappée par l’embargo sur les ventes d’armes décidé par le Conseil de sécurité de l’ONU dans sa résolution 748 du 31 mars 1992. Celui-ci ne pourra être levé que lorsque les procédures judiciaires consécutives aux divers attentats auront été soldées, ce qui ne sera fait qu’en septembre 2004, mais les contrats d’armement prennent tellement de temps que les entreprises s’estiment fondées à entamer les prospections. Depuis plusieurs années, Tripoli cherchait à se rapprocher de Paris. En septembre 2000, le fils du colonel Kadhafi et président de la fondation qui porte son nom, Seif el-Islam Kadhafi, a joué un rôle essentiel dans la libération des otages français détenus par le groupe Abou Sayyaf sur l’île de Jolo, aux Philippines. Bien sûr, Tripoli a rapidement souhaité capitaliser ce succès et a fait savoir à Paris, par divers canaux informels, dès la fin 2000, qu’une normalisation des relations serait la bienvenue. « La bonne volonté libyenne était évidente, mais ça partait un peu dans tous les sens », nous avait alors précisé un fonctionnaire suivant de près ce dossier.
Au cours de l’année 2001, des progrès sont réalisés, selon les voeux de la France. Les agents commerciaux oeuvrant en Libye, notamment le très actif Bernard Cheynel, l’un des agents français connaissant le mieux le pays et ses dirigeants, sont rassurants et les grands industriels n’auront pas trop de mal à convaincre le gouvernement de Lionel Jospin. Malgré l’embargo qui frappe toujours la Libye à cette époque, Paris autorise secrètement plusieurs groupes d’armement à reprendre des contacts commerciaux, dont Eurocopter, Dassault et Thales. Ces deux dernières entreprises se tirent d’ailleurs avec ardeur dans les jambes, Dassault souhaitant proposer son Rafale, quand Thales préférerait une remise à niveau électronique des Mirage F-1 vendus dans les années 1970, afin d’en refaire de vrais avions de combat.
Proche des services français de renseignements, une source m’a confirmé : « À la fin de l’an 2000, un cycle s’est ouvert. Tripoli voulait reprendre le commerce et Paris d’indemnités, soit 10 millions de dollars par victime. Tripoli avait par ailleurs accepté en 2004 de verser un million de dollars par victime de l’attentat contre le vol d’UTA, soit 170 millions de dollars. Elle souhaitait la fin du contentieux sur le DC-10. Mais nous voulions éviter les pièges.
Nous voulions des filtres, identifier les interlocuteurs ; et surtout ne heurter ni les Britanniques ni les Américains. » Via une société implantée en Afrique du Sud et dirigée par des Français, des contacts très avancés sont noués avec les Libyens, pour leur proposer dans un premier temps une « remise à niveau » de leurs missiles sol-air Crotale. Selon le vieil adage, on ne fait la paix qu’avec ses ennemis. Pendant que les Français tirent des plans sur la comète, cartographient les réseaux d’influence et identifient précisément les poches à remplir à Tripoli – et quelques-unes aussi à Paris – Washington entame une démarche de normalisation plus radicale, préparée par les services secrets britanniques. En 2003, cette régularisation avec les Libyens s’imposait pour les Américains, pour toutes les bonnes raisons possibles et, aussi, quelques mauvaises. Pays riche, doté de réserves pétrolières inexplorées, devant construire ou reconstruire toutes ses infrastructures, une Libye redevenue fréquentable ouvrirait des opportunités énergétiques et commerciales considérables. Mouammar Kadhafi sera d’autant plus rapidement convaincu de cette nécessité qu’en mars 2003, l’arméeaméricaine envahit l’Irak et chasse Saddam Hussein du pouvoir. Si le dictateur irakien avait abandonné toute velléité de fabriquer ou de posséder des armes nucléaires, biologiques et chimiques depuis 1995v, Mouammar Kadhafi n’avait en 2003 renoncé à rien du tout. Les pressions américaines vont lui faire courber l’échine jusqu’au sable, et abandonner dans l’urgence sa prétention à posséder la bombe atomique. Il avait pourtant commencé à recevoir en 1997 des centrifugeuses transmises par le réseau pakistanais d’Abdul Qadeer Khan, dont la livraison se poursuivait encore fin 2003vi.
Mais le Pakistan n’est pas le seul à avoir joué avec le feu libyen : la Malaisie, la Turquie, la Suisse, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud ou Dubaï ont contribué aux efforts nucléaires de Kadhafi…
Parmi les connaisseurs de cette affaire, personne ne semble retenir l’hypothèse que la France ait été au courant de la négociation triangulaire secrète Londres-Tripoli-Washington. Quant à ceux qui connaissent les pratiques de la DGSE en Libye, ils sont dubitatifs sur les capacités du poste local à déceler une quelconque activité secrète. Selon des sources françaises, ces agents locaux, dirigés par un fonctionnaire sous couverture diplomatique, auraient été incapables de repérer la présence d’une mission commerciale de douze cadres de haut niveau appartenant au groupe aéronautique britannique BAe Systems. Très actifs pourtant durant plusieurs mois dans la capitale libyenne au début 2003, ces « cadres » ont obtenu l’autorisation des autorités locales de visiter toutes les bases aériennes du pays pour y dresser un inventaire des « besoins techniques ». Le détail qui tue, c’est que cette délégation aurait fréquenté assidûment la villa d’une employée de l’ambassade de France…
Si la Libye excite tant de convoitises, c’est qu’elle extrait chaque année de son sous-sol une douzaine de milliards de dollars d’excellent pétrole, dont elle a mis de côté la moitié durant les années d’embargo. Cet énorme trésor de guerre n’a pas seulement permis d’aider plusieurs partis et personnalités politiques dans de grandes démocraties occidentales, selon les règles bien établies de la corruption à l’africaine. Il aiguise également les appétits industriels. Le chef du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, a rendu en septembre 2003 la première visite d’un dirigeant occidental en Libye, empochant au passage 300 millions d’euros de contrats et offrant cinq cents bourses à des étudiants libyens. De la France, le colonel Kadhafi n’attend alors qu’une seule chose, à savoir la levée de la condamnation de son beau-frère Abdallah Senoussi dans l’affaire du DC-10 d’UTA. Une revendication impossible à satisfaire, sauf à passer par une grâce présidentielle politiquement inconcevable. Pire, aux yeux des Libyens : l’Élysée s’oppose alors fermement à ce que des entreprises françaises reversent à la fondation Kadhafi 1 % à 2 % de leur chiffre d’affaires en Libye, afin que cette contribution « volontaire » paie les indemnités dues aux familles des passagers du DC-10 ! Finalement, c’est l’accord sur cette indemnisation, signé le 9 janvier 2004 à Paris, qui permettra la reprise officielle des négociations commerciales francolibyenne.
La Libye et l’Allemagne n’ont conclu quant à elle qu’en septembre 2004 leur accord sur le dédommagement des victimes de l’attentat libyen contre la discothèque La Belle de Berlin, en 1986. Ce protocole a rouvert la route de Tripoli à tous les vendeurs d’armes européens. S’il est un pays où les temps de la corruption à l’ancienne ne sont pas révolus et où les intermédiaires agissent au vu et au su de tous, ou presque, c’est bien la Libye. Le système en vigueur depuis la fin des sanctions contre Tripoli (décidée par l’ONU le 13 septembre 2003) est d’un classicisme éprouvé, très similaire à celui que décrivait l’OCDE en 2007 dans son étude des mécanismes habituels de la « corruption dans les marchés publics » : « Les parlementaires occupant des postes-clés, ainsi que les responsables des achats de l’armée (présidents et rapporteurs de la commission technique ou de la commission financière) seront également approchés par le corrupteur. Au niveau suivant, on s’intéressera aux agents publics responsables des aspects techniques de la commande publique. Enfin, on visera en dernier recours les agents techniques chargés des évaluations techniquesvii. » Un agent travaillant en 2010en Libye au profit d’entreprises d’armement françaises et européennes explique ainsi que dans ce pays, « la clé des décisions se trouve au niveau des militaires. Kadhafi a besoin d’eux et les laisse faire. Pourquoi les empêcherait-il de manger ? Tout se passe sous le contrôle de Saadi Kadhafi, le footballeur. » Car si la corruption sert à huiler les rouages, le vrai facteur décisionnel demeure politique. En 2007, l’affaire des infirmières bulgares et la vente de missiles antichars Milan concomitante à leur libération l’ont amplement démontré.
2004-2006 : embrouilles franco-françaises à Tripoli
Mais à cette époque, la France avait déjà plusieurs longueurs de retard dans la course à la reprise des relations commerciales avec la Libye. Et les industriels français n’obtiendront jamais que des lots de consolation. Les vrais vainqueurs n’ont pas traîné : dès le 23 mars 2004, le secrétaire d’État adjoint américain William Burns se rend à Tripoli, applaudit la nouvelle attitude de la Libye et promet un rabibochage rapide avec Washington. Deux jours plus tard, le Premier ministre britannique Tony Blair rencontre à son tour le colonel Kadhafi. Dans la foulée, le 26 mars, la « major » pétrolière Royal Dutch Shell (à capitaux britannique et néerlandais) se voyait attribuer des permis d’exploration de nouveaux champs d’hydrocarbures. Il ne faut que quelques mois aux Français pour qu’un premier « geste commercial » soit proposé à Mouammar Kadhafi, sous la forme d’une formation clés en main de ses gardes du corps, assurée par des hommes du service Action de la DGSE. Ces agents sont leshéritiers de ceux qui, au Tchad en mars 1987, avaient contraint à la retraite le corps expéditionnaire libyen… à coups de missiles Milan. Le colonel Kadhafi rêvait, depuis vingt ans, de s’équiper de cet engin meurtrier. Les militaires français estiment quant à qu’ils n’ont plus à craindre de se retrouver face à des soldats libyens, dès lors que le conflit territorial avec le Tchad sur la bande d’Aouzou est terminé depuis 1994.
En septembre 2004, EADS organise à Tripoli un séminaire avec des dirigeants libyens : au menu, les missiles antichars Milan et la rénovation d’engins anciennement acquis par la Libye, dont des missiles air-air Magic et des missiles antinavires Otomat. Modestes zakouskis ! Le gouvernement français rêve de vendre à Tripoli du gros, du lourd, du cher : l’hélicoptère de combat Tigre et, surtout, le chasseur Rafale. Mais les Libyens ont beau être cousus d’or, ils se font tirer l’oreille. En attendant, ils proposent aux Français de remettre à niveaux leurs vieux Mirage F-1. Après la visite officielle de Jacques Chirac à Tripoli, les 24 et 25 novembre 2004, la CIEEMG accorde une autorisation préalable de négociation à Dassault Aviation, Thalès, Snecma et à la SOFEMA (Société française d’exportation de matériels aéronautiques, créée en 1997 sous tutelle de l’État), dont tous ces industriels sont actionnaires. Elle porte sur la rénovation, pour près de 120 millions d’euros – et 60 % de marge bénéficiaire – de douze des Mirage F-1 achetés par les Libyens en 1973. Ces avions trentenaires, bien plus vieux que leurs futurs pilotes, sont hors d’état de voler. Le colonel Kadhafi souhaite seulement qu’ils puissent reprendre l’air. Moins pour mener de véritables missions de combat que pour permettre à de nouveaux pilotes de se former ; et pour concrétiser la réconciliation de Tripoli avec la communauté internationale.
Après une première visite de la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie à Tripoli, en février 2005, une stratégie industrielle française a été définie sous ses auspices et celles de la DGA : un consortium a été mis sur pied pour la remise en vol des Mirage F-1, associant Thales (instrumentation de bord), Dassault (cellule des avions) et Snecma (pour la remise en état des moteurs). Le tout sous l’égide de la SOFEMA. Un week-end d’octobre 2005, tout le monde a rendez-vous à Tripoli pour signer le contrat, mais patatras ! À la dernière minute, la réunion est annulée.
C’est qu’un nouvel acteur français est entré en jeu de manière imprévue : la société Sagem Défense Sécurité – alors que cette société est, comme la Snecma, une filiale du groupe Safran, né en mai 2005 de la fusion entre Snecma et Sagem. Apparemment de leur propre initiative, deux de ses dirigeants, le P-DG Jacques Paccard – l’homme de larénovation des Mirage pakistanais par Sagem en 1996 – et le directeur du développement international, Jean-Luc Hidalgo, ont mis en oeuvre une autre stratégie commerciale, ne visant plus simplement à « remettre en vol » des Mirage F-1 libyenstout juste bons à parader le jour de la fête nationale, mais bien à en faire de vraies machines de guerre, dotées d’équipements électroniques modernes et de capacités d’emport d’armements dernier cri, aptes à former la première ossature d’une armée de l’air au goût du jour. Une réédition de l’opération réalisée au Pakistan une dizaine d’années plus tôt (voir supra, chapitre 3). Sagem jouerait dans ce cas le rôle de leader et placerait ses matériels les plus chers.
Cette stratégie autonome de Sagem a eu pour effet de déclencher l’exaspération, puis une vraie fureur, des autres industriels français. Lesquels, menés par Dassault,entendent que la très modeste rénovation qu’ils proposent soit simplement une première étape vers la vente du Rafale. Paccard et Hidalgo se seraient rapprochés à cette époque du fameux intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, que nous avonsdéjà croisé dans l’affaire des sous-marins français vendus au Pakistan en septembre 1994 (voir supra, chapitres 3 et 4). Au sein du groupe Safran et au ministère de la Défense, de graves accusations étaient alors lancées contre cet intermédiaire, y compris celles d’avoir signé des contrats privés avec des cadres de Sagem, portant sur les affaires libyennes. Contacté à de nombreuses reprises depuis mai 2006, ce dernier n’a jamais répondu à mes appels. Paccard et Hidalgo, eux, ont accepté de me rencontrer, le 24 octobre 2006.
À la question « Avez-vous, ou avez-vous eu, un contrat avec Takieddine ? », ils ont répondu « non », en se défendant d’avoir voulu couper l’herbe sous le pied de leurs concurrents : « Nous sommes allés en Libye pour préparer un contrat de surveillance des frontières. La CIEEMG et la DGA nous ont dit ensuite que la proposition francofrançaise sur les Mirage était du ressort du consortium. Dont acte. » Quant à Ziad Takieddine, ils s’en démarquent, sibyllins : « Qu’il ait cru pouvoir développer des affaires en Libye, peut-être. Mais çà ne s’est pas bien passé. Nous ne sommes d’accord avec lui ni sur le fond ni sur la forme… » Une autre source au groupe Safran, maison mère de Sagem, présente une version plus musclée : « Takieddine a voulu tout embrasser et pousser le dossier en réclamant une inutile commission de 8 %. Il a fallu le calmer. D’abord doucement, puis moins doucement… »
Moins doucement ? Certes… Car Matignon et l’Élysée sont intervenus directement auprès du P-DG de Safran Jean-Paul Bechat, via le haut responsable pour l’intelligence économique Alain Juillet et le conseiller diplomatique de Jacques Chirac, Maurice Gourdault-Montagne. Il s’est agi pour ces deux hommes de « mettre les pendules à l’heure » afin de conduire Sagem à rentrer dans le rang… Le 30 octobre 2006, le groupe Safran annonçait sèchement le départ du P-DG de Sagem, Jacques Paccard, remplacé par l’ingénieur de l’armement Jean-Paul Herteman.
Cette affaire aurait sans doute moins fait polémique si, selon plusieurs sources industrielles et étatiques proches du dossier, Takieddine ne s’était pas présenté à Tripoli avec une lettre de Nicolas Sarkozy le désignant comme son représentant personnel pour traiter les affaires industrielles relatives à ce pays, aussi bien pour le contrat de surveillance des frontières, effectivement dans les attributions du ministre de l’Intérieur qu’il était alors, que pour le reste… Mais cette version n’a recueilli qu’un démenti indigné quand j’ai interrogé en octobre 2006 le très proche entourage du futur président : « Nous sommes au courant de cette assertion, mais cette prétendue lettre n’existe pas. Si un tel document a été présenté, c’est un faux ! » Et si le ministre de l’Intérieur a rendu officiellement visite à Mouammar Kadhafi le 6 octobre 2005, « séchant » à cette occasion le conseil des ministres pour cause officielle de « migraine », il ne faut pas y chercher malice : c’était pour parler avec son homologue Nasr el-Mabrouk d’équipement des gardes-frontières, d’immigration clandestine et de la gestion par les Libyens des camps de rétention installés dans le pays, que l’Union européenne condamne.
« Interférences illégitimes » et guerre des réseaux
Que soit évincé l’industriel Sagem, qui avait tenté sa chance sans succès, y compris après avoir tenté de se faire ouvrir des portes par un agent apparemment sans mandat, rien que de très banal. Mais le consortium formé par Dassault, Thales et Snecma va lui aussi avoir affaire à de curieux intermédiaires. Cette fois, c’est Jacques Boyon, ancien secrétaire d’État à la Défense (de 1986 à 1988) et ex-trésorier du RPR, devenu en 2005 président de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), qui fait entrer dans le circuit l’homme d’affaire libanais Roger Tamraz, flanqué d’un citoyen indien possédant alors ses entrées à l’Élysée, Ujwa Vikas. Roger Tamraz se trouve alors dans une situation personnelle délicate. Il a un tel besoin de se refaire une santé financière, afin de sortir de cette mauvaise passe, qu’il cherche à se faufiler dans plusieurs contrats avec la Libye. Avant de disparaître très rapidement du circuit, Jacques Boyon présente ces nouveaux venus au général Bernard Norlain, P-DG de la SOFEMA, membre du consortium industriel conduit par Dassault.
Tamraz fait miroiter à Norlain un contact avec celui qu’il présente comme le décideur qu’il conviendrait de « convaincre » dans l’entourage du colonel Kadhafi, son beau-frère et chef des services secrets, à savoir Abdallah Senoussi, condamné par la justice française en 1999. Effectivement, une réunion est organisée à Tripoli pour Norlain. Celui-ci accepte – par écrit, mais sans en aviser son conseil d’administration – de verser à Tamraz une commission égale à 8 % de la part de Dassault (64 millionsd’euros) dans le contrat de rénovation des Mirage F-1 libyens, lequel s’élève au total à 117 millions. Le problème, c’est que les industriels, qui subodorent un coup fourré, ne veulent pas entendre parler de commissions. La convention OCDE est passée par là…
Les militaires libyens sont tout aussi fermes : le général Ali Chérif Riffi, chef de l’armée de l’air, se fâche lors d’une réunion qui se tient dans les locaux de la SOFEMA à Paris, le 11 décembre 2006. Selon plusieurs participants à cette réunion, il se plaint des « interférences illégitimes » de Roger Tamraz et se voit soutenu par les industriels présents, à savoir Dominique Simonneau et Étienne Pahin pour Thales,François Courteau pour Snecma et Éric Trapier pour Dassault. Quelques mois plus tard, Bernard Norlain quitte la SOFEMA, remplacé par un cadre de Thales, Guillaume Giscard d’Estaing. Il faudra attendre juin 2007 pour que le contrat soit définitivement annulé, avant que les Libyens contractent séparément avec chaque industriel.
De source interne à cette affaire, on s’étonne qu’on ait fait tant de cas de ces commissions libyennes : « Aucun marché ne se fait sans commission, même en Allemagne. Et pas seulement dans la défense. Tous ceux qui disent le contraire sont des hypocrites. » Mais dans cette seule affaire, nous avons identifié pas moins de sept intermédiaires différents (dont Takieddine et Tamraz), qui prétendaient tous toucher des commissions sur le contrat des Mirage F-1. Pour un autre acteur des marchés militaires libyens, l’entourage de Kadhafi n’a demandé aux Français qu’une seule chose, qu’il n’a pu obtenir : la grâce présidentielle pour Abdallah Senoussi. Pour le reste, la corruption dans ce dossier n’a jamais concerné, selon l’un de ses acteurs, que les « morts de faim » : « Quand la famille Kadhafi a besoin de 50 millions de dollars, elle vend un bateau de pétrole ! Qu’elle ait demandé des commissions pour elle-même,c’est une pure invention franco-française. »
La guerre des réseaux sévit effectivement. Dans une note rédigée en octobre 2007 par un intermédiaire français actif en Libye, ce dernier narre par exemple les déboires d’un officier libyen membre des Moukhabarat (services secrets), « qui anime efficacement depuis six ans le réseau qui défend les intérêts français : 100 millions d’euros déjà réalisés, mais également 500 millions réalisés avec des sociétés étrangères européennes à la suite du refus de CIEEMG, et plus de 2 milliards d’euros en cours avec nos industries de défense et notamment Thales ». Cet officier, détaille notre intermédiaire, « a fait émettre environ un millier de visas libyens au profit des collaborateurs de notre industrie de défense et toujours en moins de 48 heures… Cet homme est l’un des plus courtisés de l’industrie de l’armement et de l’aéronautique occidentale. […] Alors qu’il défend les intérêts de Thales International, de Nexter et de bien d’autres depuis six ans, c’est Cessna qui l’invite au Salon du Bourgetviii… »
Que demande alors cet homme depuis deux ans sans pouvoir l’obtenir ? Un visa pour sa fille qui veut poursuivre ses études à Lyon… Sans doute l’officier concerné n’a-t-il plus les bons interlocuteurs en France ! Car lorsque ces récriminations sont émises à l’automne 2007, bien des choses ont changé dans les relations franco-libyennes. Il faut dire qu’un événement considérable vient de se produire : la libération des infirmières bulgares !
Les infirmières bulgares contre les missiles français
À l’été 2007, quelques semaines après son arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy s’active à dénouer un dossier symptomatique des agissements du chef de l’État libyen. Accusés sans preuve d’avoir inoculé le virus du sida à de jeunes enfants, cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien sont emprisonnés en Libye depuis février 1999ix. L’affaire fait grand bruit. Dans les semaines suivant son élection, le président français envoie en Libye son épouse Cécilia Ciganer-Albéniz et le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant. Alors que le Premier ministre britannique Tony Blair et la commissaire européenne aux relations extérieures Benita Ferrero-Waldner avaient eux aussi puissamment agi en ce sens, c’est bien l’avion présidentiel français qui va chercher les détenus à Tripoli le 24 juillet 2007. Sans aucune contrepartie, assure la France.
Dès le lendemain, lors d’une visite de Nicolas Sarkozy à Tripoli, celui-ci annonce néanmoins avoir signé deux protocoles d’accord avec la Libye : l’un « dans le domaine militaire » et l’autre sur la fourniture d’un réacteur nucléaire civil pour dessaler l’eau de mer – alors que ce dernier avait déjà fait l’objet d’accords entre le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) français et le Bureau libyen de recherche et de développement en 2005 et 2006. Moins d’une semaine plus tard, une agence de relations publiques new-yorkaise appelle le quotidien Le Monde à Paris, pour lui proposer un entretien à Nice avec Seif el-Islam Kadhafi, qui a des choses à dire. Et de fait ! Lors de l’interview, ce dernier se félicite : « Vous savez que c’est le premier accord de fourniture d’armes par un pays occidental à la Libyex ? » Il évoque un contrat de 100 millions d’euros, mais c’est du triple qu’il s’agit : le missilier MBDA a signé pour la vente de missiles Milan pour 168 millions d’euros et EADS fournira un système Tetra de communication radio pour 128 millions d’euros ! La concomitance entre la libération des otages et la conclusion des contrats d’armements a rapidement relativisé la beauté du geste français. Et le fait que le président Sarkozy déclare qu’il n’y avait eu « aucune » contrepartie au geste humanitaire n’a pas vraiment dissipé le malaise.
Car en réalité, les conditions pour la signature du contrat étaient réunies bien avant la libération des infirmières bulgares. « Leur détention constituait un facteur bloquant et leur départ de Libye a levé cet obstacle. Tout serait plus simple si le père Kadhafi n’entretenait pas une certaine complication ! », m’a affirmé alors un haut fonctionnaire, opérateur discret des ventes d’armes françaises à la Libye. Et il ajoutait : « Il est très fréquent que les contrats de ventes d’armes ne soient annoncés que par le client, au moment qu’il juge utile. » Point de vue que ne partage pas un industriel de l’armement, selon lequel il serait injuste de faire à Nicolas Sarkozy le procès d’avoir obtenu les libérations en contrepartie de ventes d’armement : « À notre connaissance, le contrat des Milan n’était pas au programme de l’entretien entre le colonel Kadhafi et le président français. Même s’il est exact qu’il était dans le dossier qui lui avait étépréparé. »
Tout serait donc transparent dans cette affaire ? Ce n’est pas certain… À entendre les déclarations officielles françaises, les négociations sur la vente de missiles Milan à la Libye auraient commencé début 2006, durant donc dix-huit mois. En réalité, elles ont été beaucoup plus longues, en pleine connaissance de l’autorité politique. Les premières autorisations de négocier la vente de Milan ont été accordées par la CIEEMG à MBDA au printemps 2004, avant même que l’embargo européen à l’égard de Tripoli ait été formellement levé. Au début des négociations franco-libyennes sur les missiles, mille engins étaient prévus, comprenant des postes de tir numériques de dernière génération, associés à des missiles Milan II de 1 900 mètres de portée.
Le Milan ER de dernière génération, de 3 000 mètres de portée, n’est pas pour les Libyens ; enfin, pas tout de suite… La ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, on l’a vu, s’est rendue à Tripoli en février 2005. Au printemps, les négociations sur ce contrat obtiennent un feu vert définitif de la CIEEMG. Puis le ministère de la Défense demande à MBDA de réduire ses ambitions, de ne plus vendre que le tiers, puis le quart, des Milan initialement prévus. Car ce contrat de missiles n’est pas la priorité des responsables français, qui entendent plutôt favoriser les gros marchés à plusieurs milliards d’euros, quand celui des Milan ne représente « que » 168 millions d’euros…
Petit business…
Pourtant, en février 2007, les Libyens remettent aux Français une lettre d’intention pour l’achat de trois cents postes de tir Milan. C’est ce préaccord qui a été dévoilé par Seif el-Islam en août 2007xi. Et depuis la fin 2007, les Français espèrent signer de gros contrats d’armement en Libye. Les espoirs portent d’abord sur le Rafale de Dassault, dont le dossier a été finalement confié par l’Élysée à l’intermédiaire Alexandre Djouhri, nous explique en septembre 2010 une source française très liée aux ventes d’armes. À l’automne 2010, les ventes de cet avion à Tripoli semblaient toutefois assez compromises par plusieurs facteurs : la réticence des autorités françaises concernant la vente aux Libyens des missiles MICA à longue portée et la nécessité de leur fournir des équipements électroniques « ITAR free » – c’est-à-dire ne comportant aucun équipement d’origine américaine, donc soumis à la norme International Traffic in Arms Regulations, qui imposerait de solliciter l’accord de Washington. Or des adaptations de l’avion à ces équipements ITAR free coûtent cher et seraient logiquement à la charge du client, accroissant encore le prix élevé des avions français.
Les Libyens ont donc entrepris de négocier simultanément avec les Russes la fourniture de Sukhoï 35 Flanker Plus et de Mig 29 Fulcrum, tractations qui auraient été très avancées, sinon déjà conclues, à l’automne 2010. Pour le reste, les Français espèrent encore alors vendre plusieurs hélicoptères de la firme Eurocopter : dix AS550 Fennec, douze AS332 Super-Puma et trois EC665 Tigre ; le tout pour plus de 500 millions d’euros. Ils espèrent également vendre un système de radars de défense aérienne de Thales pour 1 milliard d’euros, un système de surveillance des frontières, la mise à niveau des vieilles vedettes Combattante des chantiers CMN (Constructions mécaniques de Normandie), ainsi que celle des chars T-72, un système de défense côtière, des bateaux du chantier OCEA pour les forces spéciales, etc. Cela alors même que les industriels italiens sont en train de tailler des croupières à leurs homologues français, assez en colère !
Car les transalpins seraient « pragmatiques », à entendre certains agents français :ils auraient repris les paiements de commissions directes, sans simagrées. Citant un cas très précis, l’un de mes interlocuteurs m’a confié au printemps 2010 que telle entreprise italienne « verse de 15 % à 20 % de commissions sur la Libye » : « Le système consiste à ce que le gouvernement italien accepte d’intégrer ces 15 % de pots-de-vin dans les frais généraux de l’entreprise. La subtilité, c’est que le ministère de l’Économie taxe ces pots-de-vin à 10 %. Il devient ainsi explicitement complice del’opération illégale et prend le pari qu’aucun juge n’attaquera jamais le gouvernement de front. » Certaines sociétés étrangères ont parfois envisagé de s’associer à des entreprises italiennes tout aussi illégalement, mais ingénieusement protégées pour profiter de la combine ! Quelques-unes ont franchi le pas. Cela suffira-t-il ? C’est ce que l’avenir dira...
Gagner des contrats de ventes d’armes, spectaculaires et très rentables : tel est donc l’objectif de la France, y compris dans des pays qui ne souhaitent pas contracter avec elle, comme l’Arabie saoudite. Pour reconquérir les faveurs des wahhabites, Nicolas Sarkozy leur a offert des présents d’une rare valeur politique, que personne d’autre, et surtout pas les États-Unis, n’avait voulu leur remettre. C’est le Washington Post qui révèle l’affaire : en novembre 2009, les Saoudiens sont aux prises avec la rébellion chiite des zaïdites commandés par Abdel Malik Al-Houthi, qui opèrent depuis la région de Saada, au Yémen voisin, et lancent des incursions en Arabie. Dans cette mini-guerre commandée côté saoudien par le vice-ministre de la Défense Khaled ben Sultan, les Saoudiens ont mené des raids, mais sans succès notable, car ils ne disposent pas des renseignements nécessaires, notamment des images satellites qui leur permettraient de définir leurs frappes avec plus de précision. Ils les demandent à leurs alliés américains, qui refusent de les leur fournir. C’est alors qu’ils se tournent vers les Français et que ceux-ci commencent à leur livrer les images demandées. Dès lors, ils peuvent « repérer les caches des rebelles, leurs dépôts de matériel et leurs camps d’entraînement. L’aviation saoudienne a attaqué avec une efficacité redoutable. En quelques semaines, les rebelles demandaient une trêve et ce chapitre de la guerre frontalière était refermé en février 2010xii ».
Détail piquant : c’est le 17 novembre 2009, jour de la visite « privée », sans journaliste et de moins de vingt-quatre heures du président français en Arabie saoudite,que celui-ci a fait ouvrir par la Direction du renseignement militaire (DRM) le circuit de livraison des images électroniques fournies par le satellite-espion français Hélios. Les premières images sont arrivées sur les écrans saoudiens le soir même.
Paris ne s’en est pas tenu au renseignement : des munitions pour avions de combat et des obus d’artillerie sol-sol ont été livrés dans la foulée. Que faudrait-il de plus pour que les Saoudiens considèrent les Français comme de vrais amis, à qui ils peuvent acheter du matériel de guerre en grandes quantités ? Depuis la visite présidentielle, Riyad cherche à acquérir un satellite-espion. Il sera temps de voir auprès de quel fournisseur le royaume wahhabite se le procurera… Quelles seront les règles du jeu ? Du côté saoudien, on sait qu’elles seront sévères. Mais quelle idée les Américains sortiront-ils de leur chapeau pour contrer une nouvelle fois l’industrie française ? Le chapitre suivant aborde quelques pistes. Car on ne s’en étonnera pas, le cadre international des compétitions en matière de ventes d’armes est défini aux États-Unis et nulle part ailleurs !