Communiqué de presse
Ce vendredi 3 janvier, une délégation de Jil Jadid s’est rendue à Ghardaïa pour prendre attache avec les citoyens de la région et comprendre la genèse des malheureux événements qui ont secoué dernièrement la région.
Des rencontres, des visites de la ville et sur les lieux des troubles ainsi que des discussions sérieuses et responsables avec les citoyens de toutes les communautés ont permis à la délégation de tirer quelques conclusions.
1) Les troubles vécus ne sont en fait que les derniers en date d’une série qui a commencé depuis des décades dans cette région, précisément depuis 1975.
2) Au-delà des éléments factuels (en particulier la destruction d’un mausolée et profanation de tombes dans le cimetière « ammi said » classé monument de l’humanité par l’Unesco, destruction de commerces de Mozabites et de logements de la communauté Chaambi) il s’agit d’une tension entre communautés qui a des causes objectives et qui peuvent être résolues par une démarche rationnelle.
3) Les causes de cette mésentente se situent à trois niveaux, le premier étant d’ordre politique – rôle de l’Etat-, le second, en arrière plan relève du socio-économique et enfin, plus profondément, un troisième niveau d’ordre sociologique. En aucune façon et à aucun moment, ni les uns ni les autres n’ont fait référence aux rites, Malékite et Ibadite. Il faut exclure donc totalement la dimension religieuse dans ces événements.
4) C’est en comprenant les trois niveaux du problème que des solutions définitives peuvent être proposées. C’est dans cet esprit, que nous présentons ici notre point de vue sur chacun des trois niveaux sus cités pour construire une proposition de solution.
a) Sociologiquement, la communauté Mozabite se caractérise par une société hautement structurée, solidaire, bâtie sur une éthique du travail et de l’entre-aide avec une forte endogamie communautaire. Ces caractères lui ont permis de stabiliser ses membres et de créer une prospérité légitime. De leurs côtés, les communautés Chaambi et Arabe relèvent plus de la sociologie du Sud algérien. Elles sont plus libérales, plus ouvertes, moins sédentaire et l’individu a une plus grande marge de manœuvre. Le succès comme l’échec en sont le fruit. Cependant, dans le M’Zab, ils se ressentent exclu, à la périphérie du groupe, et la fracture sociale est plus profonde. Ces populations ont vécu ainsi côte à côte, coopéré, travaillé mais sans se fondre l’une dans l’autre, chacun restant jaloux, et à juste titre, de son identité considérant que jusque là, la nation ne leur a pas offert un cadre plus global d’organisation sociale ni de valeurs éthiques universelles pouvant les réunir.
b) Sur cette différenciation sociologique, s’est construite peu à peu une différence socio-économique. Ce que le Mozabite perdait en liberté individuelle il le gagnait en sécurité dans le groupe. Ce que le Chaambi ou l’Arabe gagnait en liberté individuelle le perdait en solidarité du groupe. Le temps ayant fait son œuvre, les uns ont construit une relative prospérité grâce à l’effet de groupe, les autres se retrouvent souvent démunis avec une jeunesse sans réelle prise en charge. Les différences socio-économiques se sont aggravées sur une réalité sociologique. Le ressentiment et les tensions prenaient forme.
c) Enfin, au plan politique, l’Etat a perdu de son autorité morale. La justice est entravée pour des raisons politiciennes et ne remplit pas ses fonctions. La scène politique, toujours manipulée par le pouvoir central a perdu de sa crédibilité. Les fonctions d’un Etat Républicain ne sont pas remplies. L’école, les assemblées communales, les associations etc… n’ont pas été pensées pour réguler des différences somme toute naturelle mais pour organiser la répartition du pouvoir en fonction des clientèles. Face aux crises, c’est l’institution sécuritaire qui est chargée de la remise en ordre. Députés, maires ou autres partis politiques désertent l’arène. Par la nature des choses, la gestion sécuritaire ne règle rien fondamentalement si le politique ne prend pas le relais. Or celui-ci, par son artificialité et son incompétence, est absent. Tous ces ingrédients ne peuvent mener que vers des affrontements encore plus dangereux pour la stabilité du pays en entier. La distribution aléatoire d’argent et de promesses ne règlera rien dans le fond et préparera au contraire la prochaine crise.
Quelle issue de sortie de crise ?
1) Il est vital que la dimension politique reprenne son rôle. Des élections libres et honnêtes, une vie associative forte financée et encouragée par les pouvoirs publics, une prise en charge réel de la jeunesse pour lui éviter l’oisiveté, les fléaux sociaux et le chômage, seraient un début. Par le dialogue, l’échange, la présence d’une autorité morale et politique légitime, par l’action de la justice, l’application des décisions de justice en souffrance, la punition des fauteurs de troubles…. une confiance nouvelle pourra être réinstaurée. En un mot, il faut rétablir la République, toute la République pour créer un cadre légal et de droit qui soit au dessus des communautés et reconnu par elles.
2) Engager une politique économique audacieuse. Investir dans des entreprises pour absorber le chômage, ouvrir des perspectives dans le foncier par la viabilisation de nouvelles zones d’occupation pour soulager la crise du logement, recréer de l’espoir par le travail. Il faut rapidement prendre en charge, par l’Etat, les familles nécessiteuses et redonner une autorité morale et matérielle aux chefs de familles.
3) Enfin, rétablir un vrai dialogue intercommunautaire, penser un programme scolaire dès le primaire qui reconnaisse les dimensions identitaires en les rendant complémentaires et non pas en niant leur différence. Créer les valeurs de respect, de tolérance et de fraternité dès le jeune âge par une prise en charge par des activités culturelles, sportives ou sociales en offrant une mixité intelligente pour intégrer les uns aux autres.
Conclusion
Tous les éléments d’une aggravation comme d’une résolution de la situation sont là. Seule une vraie autorité publique peut favoriser, grâce à ses moyens, un dialogue intercommunautaire, par ailleurs voulu et espérer par toutes les parties.
Ouvrir un vrai dialogue sous l’égide d’hommes de bonne volonté, appartenant à la société civile et politique, en allant au fond des choses et non pas en saupoudrant les uns et les autres par d’inutiles et stériles promesses, recréera une atmosphère de fraternité et de paix. Tous le veulent et le souhaitent.
Le 05.01.2014
Le Président, Soufiane Djilali