Noureddine Boukrouh qui s’est, dans une sorte de confinement avant la date, abstenu de s’exposer durant la période qui a précédé l’élection présidentielle, semble avoir jugé pertinent d’appeler les Musulmans à un exercice intellectuel sur ce qui peut advenir du rituel du jeûne en cette période de pandémie.
C’est en intellectuel connu pour sa quête de rénovation de l’islam, sur la base d’une lecture moderne du Coran et de la Sunna, qu’il a estimé saisir les circonstances que nous vivons pour susciter un examen de la pratique religieuse du jeûne en période de pandémie du coronavirus.
LE MUFTI MALGRÉ LUI
Par Nour-Eddine Boukrouh
En terre d’islam et ces temps de Coronavirus, quelque chose peut s’avérer plus viral, plus rapide et dangereux que ce qu’on connaît du sinistre virus, c’est une fake news informant urbi et orbi (à la ville et au monde) les musulmans qu’un mufti (interprète de la loi islamique) imaginaire leur demandait de renoncer à jeûner cette année pour préserver leur vie et celle des non-musulmans avec qui ils peuvent être en contact.
Moins de vingt-quatre heures après la publication sur ma page Facebook et deux journaux on line (« http://xn--lematindalgrie-lkb.com/ » et « oumma.com ») d’un article sur le « Coronavirus et les civilisations » le 8 de ce mois, je me suis retrouvé sous un déluge de critiques, d’insultes et de menaces de mort provenant de mon pays et de l’étranger parce ce que j’aurais commis le sacrilège d’appeler à une suspension de l’obligation religieuse de jeûner à cause du covid19, une idée aussi farfelue que sans précédent dans l’histoire millénaire de l’islam.
Pas plus que les épidémiologistes ne connaissent le « patient zéro » qui a reçu la première charge virale, je ne sais d’où est partie cette fausse nouvelle qui s’est propagée à travers les réseaux sociaux à la vitesse de la lumière.
Le plus incroyable c’est que la plupart des pages et sites qui relayaient la fausse information reproduisaient mon article intégralement, en arabe ou en français, alors que ce dont ils m’accusent ne s’y trouve absolument pas.
On sait que dans la vie il y a ceux qui ne veulent croire qu’en ce qu’ils voient ou touchent, en citant parfois abusivement Saint Thomas, ceux qui pratiquent le bouche-à-oreille ou le téléphone arabe, ceux pour qui la rumeur est toujours la première source d’information, mais on n’a jamais vu de gens croire au contraire de ce qu’ils ont sous les yeux ou de ce qu’ils partagent sans l’avoir lu.
Je peux donner l’exemple de deux grands journaux algériens, « Le soir d’Algérie » paraissant en français et « Al-Hiwar » paraissant en arabe, dirigés respectivement par un laïc qui s’assume et un islamiste qui s’affiche.
Les deux journalistes ont repris mon écrit sur leurs pages Facebook en le faisant précéder d’une présentation où le premier salue mon audace d’avoir ouvert le sujet, tandis que le second me blâme de m’être institué en mufti du monde musulman.
Un mufti imaginaire car les deux organes ont, dans un passé récent, publié chacun une cinquantaine de contributions intellectuelles de moi et savent très bien que je ne suis pas un hurluberlu, un twaychi. Désinvolture ? Désinformation ? Traquenard pour soulever contre moi les islamistes du monde entier ? Allez savoir !
La relation entre ce que j’ai écrit et l’exploitation quasi criminelle qui en a été faite ?
Qu’on en juge d’après le paragraphe où j’ai fait allusion au sujet : « Si les « Infidèles » (les adeptes des quatre autres civilisations-religions) ne règlent pas son compte au Covid-19 d’ici le ramadhan, soit dans 15 jours, le vieux savoir religieux invariable en tout temps et tout lieu sera confronté à un sérieux embarras : consentir à la suspension du jeûne cette année car un gosier sec favorise l’implantation du virus, ou la refuser et braver le risque d’une plus large contamination des musulmans et des non-musulmans qui vivent ensemble presque partout. Qu’est-ce qui doit primer ? La vie d’un nombre indéterminé d’êtres humains ou une prescription religieuse ? »
A la veille de la publication de cet article j’avais eu connaissance du communiqué de la célèbre Université théologique d’al-Azhar (le Caire) faisant état de l’examen par ses instances des possibles incidences du coronavirus sur le jeûne.
L’institution la plus qualifiée au monde pour l’élaboration des fatwas (jurisprudence à caractère consultatif) concluait QU’A LA DATE DU JOUR OU LE COMMUNIQUE ÉTAIT PUBLIE, IL N’Y AVAIT PAS LIEU DE PRÉCONISER L'EMPÊCHEMENT DU JEUNE.
Ce qui veut dire que si les choses venaient à empirer elle pourrait le faire car l’esprit coranique, l’esprit des lois comme dirait Montesquieu, l’y autorise. Tout musulman peut faire jouer le principe de « hukm daroura » qui admet que la nécessité puisse suspendre les prescriptions coraniques.
Al-Azhar, le siège du savoir religieux musulman, savoir à qui je reproche de longue date son non-renouvellement depuis mille ans, m’étonnait en envisageant après consultation des spécialistes médicaux l’éventualité d’émettre une proclamation d’état d’empêchement car le savoir religieux a bridé le libre-arbitre chez les musulmans depuis un millénaire et réduit les facultés que le Coran leur accorde.
Où a-t-on vu un appel de ma part, mufti malgré lui, à ne pas jeûner cette année ? On ne le saura jamais.
Il a suffi d’un désinformateur zéro pour que des essaims de mouches électroniques prennent d’assaut ma page, d’un premier « bêêê » ovin pour que des milliers de moutons de Panurge se mettent à bêler et à chevroter dans ma direction dans le but de faire de moi un mouton noir, un excommunié, un individu maudit par sa communauté.