C'est sous le double parrainage symbolique du 1er novembre, qui commémore cette année le déclenchement, il y a 63 ans, de la glorieuse guerre de Libération et célèbre également, pour les Chrétiens, la fête catholique de la Toussaint, qu'a été fleurie, avant-hier, au cimetière chrétien d'El-Kalâa de Tlemcen, devant un groupe de fidèles musulmans et chrétiens, la tombe de l'abbé Alfred Berrenguer, un militant de la première heure de la cause nationale.
Cet homme de Dieu, qui "a choisi la justice avant sa mère" pendant les heures cruciales de la lutte armée (au contraire d'un autre fils de l'Algérie coloniale, l'écrivain Albert Camus) naquit le 30 juin 1915, dans le petit village d'El-Amria (ex-Lourmel) de parents espagnols venus s'installer, au début du 20e siècle, en terre oranaise.
Jeune prêtre, dès 1936, Alfred Berrenguer opta pour le parti des "opprimés" et dénonça l'ordre colonial, notamment à travers des articles de la revue "Simoun". Le 1er novembre 1954, alors qu'il officiait, depuis 3 ans, en tant que curé dans le village de Remchi (dans la région de Tlemcen) il n'hésita pas à choisir son camps et s'engagea aux côtés des nationalistes algériens, en aidant les familles des prisonniers politiques et des moudjahidines qui avaient rejoint le maquis. Dénoncé, il sera expulsé hors d'Algérie, en 1958.
À chaque fois qu'il en eut l'occasion, Mgr Henri Teissier, l'ancien évêque d'Alger, a mis un point d'honneur à rappeler, dans des interviews à la presse, que c'est grâce à l'action de l'abbé Berrenguer que l'Algérie combattante a gagné le soutien de l'Amérique latine à sa cause.
"André Malraux, émissaire français en Amérique latine, ne connaissait pas l'Algérie ni la langue espagnole. Aussi, il était facile à l'abbé Berrenguer de déconstruire les arguments de Malraux. Il passait après lui, dans chaque pays sud-américain, et expliquait en espagnol ce qu'était le fond du problème algérien et le pourquoi de la guerre" a plusieurs fois témoigné Mgr Teissier.
Co-fondateur du Croissant rouge algérien (dont il fut le représentant en Amérique latine, de 1958 à 1962) Alfred Berrenguer a été élu député de sa ville d'adoption, Tlemcen, dans la première Assemblée constituante de l'Algérie indépendante.. Mais après le 19 juin 1965, il déclina tous les postes politiques et se consacra à l'enseignement dans un lycée de Tlemcen, jusqu'à sa retraite qu'il choisit de vivre, dans le silence et la méditation, au monastère Saint Benoît, sur les hauteurs de la ville.
Jusqu'à son décès qui survint le 14 novembre 1996, l'abbé Berrenguer restera fidèle à sa terre algérienne et refusera tous les compromis qui pouvaient heurter sa conscience. Il se tiendra aux côtés de l'Algérie et de son peuple, mais ne voudra jamais se lier à un régime.
"Je ne voulais pas qu'on puisse dire que j'avais agi pour la gloire ou pour l'argent. J'ai refusé la carte d'ancien moudjahid et la pension d'ancien député, car je n'eus pas à faire mes preuves (pendant la guerre de Libération ) pour pouvoir contacter les nationalistes car ils me considéraient comme un des leurs" écrivait-il dans ses mémoires, consignées dans un livre d'entretien, publié à Paris, en 2004, et intitulé "En toute liberté".
Jusqu'au milieu des années 1990, ses voisins de quartier à Tlemcen, pouvaient apercevoir, tôt le matin, l'abbé Alfred Berrenguer dégringoler, à pied, la pente raide qui mène du monastère Saint Benoît vers le centre-ville, abrité du soleil et de la pluie par son éternel béret, un vieux cartable à la main. "Cet homme qui marche, se disaient-ils peut-être, doit venir de loin, mais Dieu sait qu'il marche droit!".