D’abord il avait dégoté le titre de sa chronique, un petit bout de phrase qui faisait tilt et qui donnait envie de lire ce qui allait suivre, cela l’avait rendu optimiste pour la suite de son travail. Il n’avait néanmoins aucune idée précise pour construire son texte et lui trouver une chute intéressante mais il s’était dit qu’il avait déjà un premier indice et qu’il fallait juste développer son embryon d’idée. Avec lui, cependant, ce n’était jamais gagné d’avance : il avait la manie de mettre à la poubelle les trois-quarts de ce qu’il écrivait.
Comme John Wayne dans Rio Bravo, il dégaina alors son stylo, avala une bonne rasade de café et se mit à réfléchir, chose qui, dans son pays, était mal vue. Plouf ! Il se jeta à l’eau, espérant bien arriver quelque part. Très vite, la première phrase qu’il déposa sur le papier amena une seconde puis une troisième et ainsi de suite jusqu’à ce que tout un paragraphe soit bouclé. Il relut, parut satisfait, mais c’est ensuite que cela devint compliqué. Il dût alors se résoudre à l’évidence : malgré plusieurs tentatives, il ne pût aller plus loin, c’était la panne sèche, il n’avait strictement plus rien à ajouter...
Sacré Antonio Machado ! D’après ce poète, «le chemin se crée en marchant» mais cela restait quelque chose de très aléatoire et pouvait conduire à l’impasse. Il le vérifia, ce matin-là, à ses dépens. Il s’y reprit à plusieurs fois mais finit par déposer les armes : c’était la panne sèche ! Il rangea alors son stylo, déchira en mille morceaux la feuille de papier sur laquelle il trimait depuis des heures et envoya au diable les billets et les chroniques, le journal auquel il collaborait et le journalisme du monde entier.
Un travail quelconque qui n’aboutit pas reste-t-il du travail ou n’est-il que de la pure perte de temps ? Il était en train de ruminer cette pensée lorsqu’il eut soudain une idée originale : pourquoi ne pas écrire une chronique dans laquelle il raconterait de quelle manière il s’était mélangé les pinceaux et était tombé en panne sèche au beau milieu d’une phrase, un flop qui l’avait rendu de méchante humeur durant toute une matinée ? Ce texte de dernière minute qui a sauvé les meubles à notre auteur est évidemment celui que vous êtes en train de lire maintenant. Quant à la moralité de cette histoire à tiroirs, on pourrait la résumer ainsi : «Des fois, quand on pense que c’est fichu, un petit miracle, ma foi, peut très bien finir par se produire !.. »