Opérations spéciales, livraisons d'armes... Dans un livre informé, Jean-Christophe Notin raconte ce que les forces françaises ont vraiment fait durant les sept mois de leur intervention.
Votre livre s'intitule "La Vérité sur notre guerre en Libye". Certains aspects auraient-ils été cachés ?
Jean-Christophe Notin: Tout n'a pas été dit sur cette guerre, parce qu'il n'y a eu qu'un seul narrateur: Bernard-Henri Lévy. Certes, il a été l'un des intermédiaires des Libyens. Cependant, son récit occulte non seulement les faits d'armes de la coalition, mais aussi le travail souterrain des responsables diplomatiques et militaires présents, parfois de longue date, en Libye.
Officiellement, la France n'avait pas d'hommes au sol... Quel a été le vrai rôle des forces spéciales ?
Leur présence est un secret de Polichinelle. Une vingtaine d'hommes du Commandement des opérations spéciales [COS] sont déployés à Benghazi au début d'avril 2011, puis à Misrata.
L'essentiel de leur mission a été reconnu par les autorités françaises: conseiller sur le plan tactique des forces rebelles très disparates et non aguerries, créer un état-major, unifier la résistance.
Mais en fait, vraisemblablement à partir de juin, ils communiquent aussi par radio avec les chasseurs-bombardiers français. Il s'agit non pas de les guider au laser, comme on a pu le dire, mais de les aider à distinguer, à près de 10 000 mètres d'altitude, les insurgés des troupes fidèles à Mouammar Kadhafi. Enfin, au vu de certains éléments recueillis, il est à se demander si des raids, en nombre limité, n'ont pas été opérés sur les convois logistiques des partisans de Kadhafi.
La France a aussi parachuté des armes...
Près de 40 tonnes, oui, larguées par l'armée de l'air dans le djebel Nefoussa, l'un des foyers de l'insurrection. Pas de char ni de canon, mais des fusils-mitrailleurs et des lance-roquettes de fabrication étrangère.
Pendant une semaine, la base aérienne d'Istres (Bouches-du-Rhône) sert de plaque tournante: les armes y sont discrètement acheminées par les Qatariens, puis conditionnées de nuit, avant d'être larguées grâce à des parachutes de précision.
Une opération hautement technique et risquée: le djebel se situe à une centaine de kilomètres de la côte. Au sol se trouve le service action de la DGSE, les services secrets français. L'état-major a parlé d'armes d'"autodéfense" et d'aide humanitaire, sans doute parce que des sacs de riz servaient à équilibrer les palettes!
Et les gendarmes du GIGN sont sur place...
A la fin de mars, Paris décide d'ouvrir une représentation diplomatique à Benghazi. Un groupe de cinq gendarmes d'élite est constitué en hâte pour en assurer la sécurité. Avant que l'ambassadeur Antoine Sivan ne soit récupéré à la frontière égyptienne par la route, trois d'entre eux sont "tarponnés" [parachutés en mer] en précurseurs et récupérés par la frégate furtive Aconit.
Puis un remorqueur libyen les prend en charge. La villa et son domaine, repérés par le GIGN, se trouvent en périphérie de Benghazi.
Les gardes choisis par le Conseil national libyen (CNT) inquiètent rapidement "J.-C.", le chef du détachement du GIGN : ce sont des individus peu fiables qui ont tendance à s'endormir! Après réclamation, la katiba -brigade- du 17 février délègue des hommes, lesquels ne masquent pas leur islamisme militant. Finalement, c'est un restaurateur, avec lequel "J.-C." s'est lié d'amitié, qui permet de dénicher des gardiens jugés plus sûrs.
Une rumeur impute aux services français l'assassinat de Kadhafi. Vrai ou faux ?
C'est grotesque. Si la présence de Kadhafi dans le convoi pouvait à l'extrême rigueur être subodorée, comment la DGSE aurait-elle pu prévoir que celui-ci allait se diriger dans telle direction, être bombardé à tel endroit et finalement assailli par telle katiba?(L'express)