Une contribution de Kamel Ettouti*
Depuis trois semaines, les regardssont braqués sur Guerguaret, point de passage situé à l’extrême sud-ouest duterritoire sahraoui occupé. Des manifestants civils sahraouis viennent de bloquerla brèche de la petite localité ouverte dans le ‘’mur de sécurité’’, construitpar le Maroc, avec l’aide des israéliens dans les années 1980 pour se prémunirdes attaques des combattants sahraouis.
La zone de Guerguaretétait durant les années 1990, un lieu de prédilection des contrebandiers detout acabit et des trafiquants de drogue et de voitures volées en provenanced’Europe et écoulées en Afrique de l’ouest.
Champion de lapolitique du ‘’fait accompli’’, Rabat a transformé la brèche en un postefrontalier d’une importance capitale pour ses exportations vers la Mauritanieet les pays de l’Afrique de l’ouest où il fourgue aux consommateurs desproduits de troisième qualité, le premier choix étant destiné aux pays del’Union européenne et à la Russie et le deuxième pour la consommation interne.
La brèche ouverte dansle ‘mur de défense’’ est une transgression sans équivoque de l’accord militairen° 1, signé le 24 décembre 1997, entre le général Burand Lubenik pour laMinurso et Brahim Ghali pour le Front Polisario, d’une part et entre la missiononusienne et le Maroc le 22 janvier 1998, d’autre part.
L’accord définit lazone située entre Guerguaret, en territoire du Sahara Occidental occupé, et lafrontière mauritanienne comme un ‘’buffer stripe ‘’ (bande tampon).Large de cinq km, elle sépare deux ‘’restricted zone ‘’.
La première de 30 km,sous occupation du Maroc, et la deuxième de 25 km, sous contrôle du F.Polisario. Au-delà, il y a deux autres zones à restrictions limitées séparéespar le mur l’une à l’ouest sous occupation marocaine et l’autre à l’est souscontrôle du F. Polisario (cf. la carte). L’accord confine les Marocainsà l’intérieur du ‘’mur de défense’’
En août 2016, le Marocdécida de bitumer les cinq km de la zone tampon de Guerguaret jusqu’à lafrontière mauritanienne, en plein centre de la zone démilitarisée, autrementdit. L’objectif était de rendre plus fluide la circulation des camions à lasuite des plaintes des chauffeurs. Officiellement, Rabat argua, à l’époque, quece goudronnage visait à « lutter contre la contrebande, le terrorisme etle trafic de drogue ».
Du point de vue dudroit international, les Marocains ajoutent, par cet acte, une autre violation àla brèche de Guerguaret en voulant la relier à la frontière mauritanienne. L’accord militaire n° 1 stipule que l’accès àla zone tampon qui commence de Guerguaret est interdit aux troupes et auxengins des forces armées royales et du F. Polisario. Or, lorsqu’il a entreprisles travaux du bitumage en 2016, le Maroc a utilisé les engins du géniemilitaire. La violation est flagrante.
L’interventionénergique des forces sahraouies, rapidement déployées dans la région, a mis un terme à la duperie et rétabli le statuquo ante. En face, le Maroc avait déplacé des unités de la gendarmerieroyale qu’il retirera en février 2017, sous la pression des Nations unies.
Mohamed Ibrahim Salek,expert et consultant international mauritanien, connu comme l’un des plus finsconnaisseurs du conflit sahraoui, analysant la brèche de Guerguaret à lalumière du droit international, la décrit comme l’un des « plus grandspostes-frontières illégaux dans le monde».
Ibrahim Salek déploreque la Mauritanie, qui reconnait la RASD et qui adopte dans le conflit sahraouiune «neutralité positive», ait commis un défaut de professionnalisme en conférant,de facto et d’une manière officieuse, une certaine légitimité à Guerguaretcomme point de passage. Un arrêté ministériel en date du 03 février 2010 ledéfinit comme point de passage P55. Le poste est pourvu d’agents officiels militaireset civils mauritaniens.
Aujourd’hui, lesSahraouis sont décidés à fermer la brèche ouverte illégalement dans le ‘’mur dedéfense ‘’ comme le prévoit l’accord de cessez-le-feu. Ils veulent que laMinurso s’attèle à sa mission première de la préparation des conditions del’organisation d’un référendum d’autodétermination et non de surveiller lecessez-le-feu au seul profit du Maroc et de pérenniser, ainsi, l’occupation etle fait accompli.
*Kamel Ettouti
Ancien Chargé de cours Université de Mostaganem