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Guantanamo: le rapatriement d'un détenu en Algérie laisse un goût amer à son avocat

08-12-2013 18:12  Abbès Zineb

L'avocat Robert Kirsch s'est battu bec et ongles pendant une décennie pour faire libérer ses clients des geôles de Guantanamo. Après une série de succès, le rapatriement du dernier d'entre eux, contre son gré, en Algérie lui laisse un goût amer.

Après douze ans de détention à Guantanamo, sans inculpation ni procès, l'Algérien Belkacem Bensayah, 51 ans, a été renvoyé jeudi dans son pays d'origine, où il n'a plus de famille et où il craint pour sa vie. Un épilogue que son avocat a accueilli avec «frustration», «déception» et «colère».

«Il n'y avait nul besoin de renvoyer cet homme maintenant», alors que «la loi est en train de changer» au Congrès américain pour accélérer la libération des détenus lavés de tout soupçon, a-t-il déclaré à l'AFP.

M. Bensayah était le dernier de ses six clients à Guantanamo, les «Algerian Six», arrêtés fin 2001 en Bosnie et arrivés parmi les premiers dans cette enclave louée par les Etats-Unis à Cuba.

Interpellés sur des soupçons de complot d'attentat contre l'ambassade américaine de Sarajevo, les «Six» avaient été envoyés dans les cages à ciel ouvert réservées par l'administration Bush aux «combattants ennemis».

En 2004, le cabinet d'avocats de Rob Kirsch prend en charge bénévolement les six hommes. La Cour suprême vient de débouter le gouvernement Bush et d'établir que les tribunaux américains sont compétents pour décider de la légalité de la détention des étrangers de Guantanamo.

Près de 200 plaintes affluent devant les juges fédéraux. S'ouvre alors «une espèce de jeu de ping pong entre le Congrès et les tribunaux».

En neuf ans, Rob Kirsch s'envole une quarantaine de fois pour Guantanamo pour rendre compte des «traitements inhumains» que ses clients y auraient subis lors d'interrogatoires musclés.

«Pendant 3-4 mois, M. Bensayah était enfermé dans une boîte, sans fenêtre, il croyait qu'il était enterré», rapporte l'avocat de 55 ans, citant aussi la «privation de sommeil», les «positions inconfortables», les «températures très basses».

 «Boumediene contre Bush»

Plus tard, M. Bensayah est diagnostiqué avec des «troubles post-traumatiques dûs aux souffrances endurées à Gitmo».

C'est la décision «Boumediene contre Bush» de la Cour suprême qui signe le premier grand succès de l'avocat et la seconde défaite judiciaire de l'ex-président américain.

Dans cette affaire portée par Lakhdar Boumediene, l'un des «Algerian Six», la haute Cour juge, en juin 2008, que les prisonniers de Guantanamo disposent du même droit de contester leur détention que s'ils étaient aux États-Unis.

Troquant alors sa casquette d'avocat pour celle de diplomate, Rob Kirsch entreprend des négociations en Europe pour trouver une terre d'accueil à ses clients.

Il se rend trois fois en Bosnie, dont cinq de ses clients avaient la double nationalité, deux fois en France, pariant sur «un grand geste de Nicolas Sarkozy envers Barack Obama».

Les «Six» «voulaient à tout prix éviter l'Algérie»: «ils avaient peur des extrémistes», mais Alger avait promis que «personne ne serait ramené de force, involontairement», se rappelle l'avocat, reçu une cinquantaine de fois à l'ambassade algérienne de Washington.

Son cabinet WilmerHale dépense sans compter, «près de deux millions de dollars» et estime son manque à gagner à près de 30 millions.

Finalement, à l'automne 2008, le gouvernement américain abandonne la principale accusation de complot d'attentat à Sarajevo. Un juge ordonne la libération de cinq des «Algerian Six», faute de preuves. Tous, sauf M. Bensayah, encore soupçonné de liens étroits -- démentis plus tard -- avec un dirigeant présumé d'Al-Qaïda, Abou Zoubeida.

Rob Kirsch obtient le transfèrement en Bosnie de trois d'entre eux, fin 2008, puis, en France, de Boumediene et de Saber Lahmar (photo ci-dessus), en 2009.

Pour M. Bensayah, «nous l'avons emporté quelques mois plus tard en appel», et «avons repris notre offensive auprès du gouvernement» américain, de la France, la Suisse et la Bosnie, où vivent sa femme et ses deux filles.

«Les Etats-Unis n'avaient qu'à demander (de les accueillir), mais personne à Washington ne demandait plus rien», soupire l'avocat. Jusqu'à la grève de la faim qui braque à nouveau les projecteurs sur Guantanamo et pousse Washington à solliciter Alger.

Ian Moss, conseiller de l'émissaire chargé de la fermeture de Guantanamo, explique à l'AFP que «les rapatriements sont privilégiés quand ils sont compatibles avec notre politique de droits de l'homme».

«Soudain, on transfert des hommes contre leur volonté» en Algérie: deux fin août, puis deux autres jeudi. «C'est horrible», déplore l'avocat, après douze ans de détention sans preuve à Guantanamo. (Afp)



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