L’actuel ministre du commerce dans un entretien à la radio chaîne III en date du 07 novembre 2015 a dénoncé avec virulence la généralisation du CREDOC, déclarant « Je milite pour la suppression du CREDOC».
N’ayant pas approuvé ses précédentes déclarations, sans preuves, sur les 20 milliards de dollars, annuellement, de surfacturations, constituant des transferts illicites de capitaux, cette fois je ne puis qu’être partiellement d’accord avec ses propositions mais pas de supprimer intégralement le CREDOC
1- Rappel de l’historique de cette procédure
Le Credoc a été imposé du temps du Premier ministre, Ahmed Ouyahia pour contenir le flux grossissant des importations et garantir la traçabilité. Or, que ce soit pour le Credoc ou le Remdoc , il est utile de rappeler que, déjà en date du 16 février 2009, en vue de prévenir toute infraction à la réglementation des changes, la direction générale des changes auprès de la Banque d'Algérie a adressé aux banques et aux établissements financiers intermédiaires agréés une note relative au règlement des importations (note n°16/DGC/2009) qui concernait, en fait, le contrôle des importations de biens réglés par crédit documentaire (Credoc) ou par remise documentaire (Remdoc). - La loi de finances 2014 rétablit conjointement le Remdoc comme moyen de financement des paiements extérieurs, mais uniquement pour les produits finis modifiant l’article 69 de la loi de finances complémentaire 2009. Pourquoi pas ne pas généraliser aux matières premières et aux équipements des PME/PMI, ne dépassant pas un certain montant ?Or, entre janvier et juillet 2010 (voir différentes contributions disponibles www.google.fr), soit près de cinq années , j’avais mis en garde le gouvernement de l’époque sur les effets pervers de la généralisation du Credoc. Le 10 novembre 2013 dans le quotidien gouvernemental "Horizon" j’avais émis le souhait à ce que le gouvernement révise sa position et assouplisse cette procédure. Alors qu’entre 2010 et 2013, bon nombre de soi disant experts aux ordres ( ces intellectuels organiques pour reprendre l’expression de Gramsci ) ainsi que certains responsables de l’ABEF dont l’actuel ministre des finances en pleine ENTV avaient applaudi et prédit que le Credoc allait permettre une baisse substantielle des importations et dynamiser la production hors hydrocarbures. Que de pertes de temps et d’argent pour l’Algérie de la part de ces responsables qui à l’image de Narcisse n’écoutent que ceux qui leur font des louanges. Le moins que l’on puisse dire depuis cinq années et depuis la promulgation de loi de finances complémentaire 2009, le bilan est mitigé puisque les importations de biens de services selon la banque d’Algérie pour 2014 ont été de 71,3 milliards de dollars soit presque le double par rapport à 2009., Le Premier ministre Abdelmalek Sellal, au mois de septembre 2013, serait remonté contre les effets inattendus et «pervers» du crédit documentaire (Credoc) qui n’aurait pas tenu ses promesses. Est-ce l’unique raison? Il faudrait nuancer, car 50 années après l’indépendance politique, l’Algérie n’a toujours pas d’économie productive: 97/98% des exportations sont le fait d’hydrocarbures en important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Avec la programmation de 500 milliards de dollars de dépenses publiques dont 70% pour les infrastructures, la non maîtrise de la gestion des projets avec des surcoûts exorbitants, l’augmentation généralisée des salaires et traitements, faute d’une stratégie de production hors hydrocarbures, de mécanismes de régulation et d’organismes de contrôle favorisant des pratiques occultes de surfacturation, il fallait s’attendre à une explosion des importations..
2.- Comment fonctionne le Crédoc et le Remdoc ?
Le crédit documentaire (Crédoc) est tout engagement pris par une banque pour le compte d’un tiers (donneur d’ordre) ou pour son propre compte de payer à un bénéficiaire (prestataire de service, vendeur, fournisseur…) un montant déterminé sur présentation, dans un délai fixé, des documents conformes aux termes et conditions fixés dans le contrat. La remise documentaire Crédoc est une technique de paiement ou d’encaissement par laquelle l’exportateur donne mandat à sa banque de remettre des documents à la banque de l’importateur. Celle-ci les présentera à son client, soit contre paiement comptant, soit contre acceptation d’un paiement à terme sur les titres de paiement convenus. La remise peut être à l’import ou à l’export. Le crédit documentaire est lié au paiement de factures relatives à une importation et peut être à l’import ou à l’export. Les différents documents exigés d’un dossier sont une demande de crédit documentaire, une facture pro format objet du crédit et la copie originale de la facture ; la constitution de la provision ; une décision du comité de crédit en cas de non constitution de provision par le client ; le message Swift d’ouverture ; le paiement effectif si le paiement est à vue ; les commissions d’acceptation pour le cas de paiement par traite ; la copie du connaissement ; la provision extourne et la déclaration d’importation (D.I) domiciliée. Nous avons quatre intervenants pour assurer la sécurité de l’opération: a) L’acheteur/importateur = donneur d’ordre ; b) la banque de l’acheteur = banque émettrice ;c) la banque du vendeur = banque notificatrice et/ou banque confirmatrice ; d) le vendeur/exportateur = bénéficiaire. Quant au Remdoc (remise documentaire), il est un moyen de paiement par lequel une banque assure l’encaissement du montant de crédit contre remise des documents selon les instructions stipulées sur l’ordre d’encaissement, à la demande de son client (donneur d’ordre). Pour la Remdoc à l’import, l’importateur est client de la banque et doit régler la facture de l’exportateur qui est à l’étranger et pour la Remdoc à l’export: vous êtes exportateur et vous chargez la banque d’obtenir le paiement de votre facture. Le Remdoc est moins lourde à mettre en place que le Credoc. Deux types de documents peuvent être exigés: les documents financiers: ce sont des lettres de change, billets à ordre, chèques ou autres instruments utilisés pour obtenir le paiement d’une somme d’argent et les documents commerciaux: ce sont des factures, documents de transport, autres titres de propriétés ou documents non financiers. Les documents sont remis en fonction des termes établis entre le fournisseur et le client. Ils peuvent être remis soit: contre acceptation (D.A) ou contre paiement (D.P). Les intervenants dans l’opération d’encaissement sont: a) le donneur d’ordre (le client) ; b) la banque remettante (la banque du client) ; c) la banque chargée de l’encaissement (autre banque que la banque remettante) ; d) la banque présentatrice (banque chargée de l’encaissement).
3.- Avantages et inconvénients du Crédoc et du Remdoc
Pour le Crédoc, le vendeur est payé sans avoir à attendre que les marchandises soient arrivées à destination et l’acheteur est assuré que les marchandises qu’il paie ont été bien expédiées par le vendeur. Quant aux avantages du Remdoc, pour l’exportateur, ils sont la bonne foi des banques (la confiance) qui agissent dans l’opération et existe la réduction sensible des frais d’importation. Ainsi, lorsque les sociétés internationales d’assurances allouent une mauvaise note à un pays, en risque pays très fort, cela oblige souvent les banques à régler les transactions en Credoc. Aussi, le Credoc peut-il traduire le risque d’insolvabilité d’un pays. C’est une commission/frais en pourcentage à payer par le donneur d’ordre (l’acheteur en général). Mais les risques du Remdoc sont le retard dans la livraison, le non-respect de la qualité, quantité, etc. et le risque de non-paiement, de contestation de la valeur des documents et de l’interruption des activités en cas de force majeure. Dans tous les cas, les banques n’assument aucun engagement ni responsabilité pour le non-respect des instructions qu’elles transmettent ; la conformité et la valeur des documents et le retard sans paiement. Ainsi, le Crédoc est un moyen de paiement à l’international entre deux partenaires commerciaux, certes le moyen le plus sûr mais le plus cher par rapport au Remdoc et au transfert libre qui s’opère auprès d’un organisme bancaire habilité à ce genre d’opération. Ce qui explique surtout pour les PMI/PME que généralement le Crédoc revient plus cher que le Crédoc, ce qui suppose pour son application efficace de suivre de manière régulière et transparente différentes étapes supposant un système financier performant relié aux réseaux internationaux. Parmi ces étapes, j’identifie plusieurs opérations dont :
a.-la réception et l’authentification des instructions du mandant ;
b.-analyser les instructions contenues dans le mandat et conseiller le client ;
c.-.accomplir les démarches pour obtenir les autorisations nécessaires au sein de la banque ;
d.-procéder à l’émission/notification formelle de l’instrument documentaire bancaire ;
e.- comptabiliser l’opération ;
f.-effectuer les modifications nécessaires suite aux éventuels changements intervenant en cours d’opération, en suivant les étapes mentionnées ;
g.- assurer la réalisation de l’instrument documentaire bancaire impliquant la réception des documents, le contrôle de leur conformité par rapport à l’instrument et aux règles applicables et l’exécution ou le refus de paiement ;
h.- la saisie informatique et/ou comptable de la réalisation ;
i.-assurer le contrôle et le suivi des dossiers existants ;
j.-assurer, en étroite collaboration avec le front-office,
k.-la gestion des contreparties, des gages et des sûretés liées aux engagements et être un véritable partenaire des clients en entretenant des contacts réguliers avec la clientèle.
Or, l’efficacité actuelle du système bancaire algérien est mitigée selon les derniers rapports internationaux, ayant été classé parmi presque les derniers dans le dernier rapport de la banque mondiale sur le climat des affaires 2015 l’entrave principale étant la bureaucratisation de l’économie. Le changement de cadres juridiques semble constituer un des facteurs à l’entrave affaires, certains bureaucrates croyant qu’un code d’investissement résoudra tous les problèmes alors qu’ils ‘agit de s’attaquer au fonctionnement de la société. Dans ce contexte, le crédit documentaire (Crédoc) instauré par la loi de finances complémentaire 2009 est fortement limité pour son efficacité par le fonctionnement du système bancaire algérien. En effet, le système documentaire est une procédure normale lorsqu’ existent des banques qui fonctionnent normalement au sein d’une véritable économie de marché concurrentielle et connecté aux réseaux internationaux. Or l’Algérie est dans cette interminable transition depuis 1986, ni véritable économie de marché, ni économie administrée qui ont leurs propres règles de fonctionnement expliquant les difficultés de régulation économique et sociale. Les banques publiques qui assurent environ 85% du total des crédits sont souvent soumises à des interférences politiques et sont actuellement avec leurs lourdeurs bureaucratiques des guichets administratifs qui favorisent l’import au lieu d’être un partenaire actif pour l’investissement productif. En plus avec cette dominance de l’économie administrée où chacun attend les ordres qui souvent ne viennent pas ou très en retard, du climat de suspicion qui règne actuellement avec les affaires de corruption, il ne faut pas s’attendre à ce que les managers tant des entreprises publiques que des banques prennent des initiatives avec le risque d’une paralysie de la machine économique. Aussi, le Crédoc a pénalisé tant les PMI/PME privées que les entreprises publiques soumises à des interférences administratives, difficultés accentuées par la faiblesse du management stratégique et non libres de leur gestion pour s’adapter à l’évolution rapide du commerce international. Les voix du secteur public ont rejoint celle du privé, évoquant des difficultés à s’approvisionner en pièces de rechange par exemple où le temps est compté. Ainsi après plusieurs années d’expérience, il est démontré maintenant que l’exigence du Crédoc sans transition et sans préparation des banques a d’étouffé les PMI/PME. Car peu d’entreprises sont insérées dans le cadre des valeurs internationales comme le montrent les données au niveau du registre national du commerce où la structuration des entreprise y compris publiques étant la suivante: – 49,90 % personnel -32,14 % SNC -13,32 % Sarl -4,64 % SPA dont Sonatrach et Sonelgaz. Par ailleurs une enquête de l’ONS montre que 83% du tissu économique est représenté par le commerce et les petits services à très faible valeur ajoutée et que la production industrielle au sein du produit intérieur brut est en déclin à peine 5%.
6.- Sept leçons à tirer de l’expérience algérienne
Comme j’ai eu à l’affirmer dans plusieurs contributions et interviews, il s agit de tirer les leçons de cette expérience pour l’Algérie et de mieux circonscrire la nouvelle mesure inscrite dans la loi de finances 2014, au nombre de sept.
Premièrement, le Crédoc, qui donne néanmoins plus de garanties, coûte plus cher que le Remdoc, coût accru par la lourdeur bureaucratique de la gestion des ports et des banques.
Deuxièmement, pour les grandes entreprises, le risque est des surstocks avec des surcoûts et pour les PMI/PME, la rupture de la trésorerie, étant contraintes de mobiliser le montant de la transaction au niveau de la banque qui garantit le paiement pour le fournisseur, la grande majorité ne pouvant mobiliser de grands montants, d’où les risques de rupture des stocks pour les entreprises n’ayant pas de fonds de roulements importants.
Troisièmement, en l’absence d’une grande moralisation de la société et d’une visibilité et cohérence dans la politique socio-économique, de mécanismes de régulation clairs (corruption socialisée) renvoyant à la bonne gouvernance, le Crédoc ne garantit en rien la fin des fraudes.
Quatrièmement, avec un transfert libre, ou de remise documentaire, il y a déjà domiciliation à la clé de la même façon que la lettre de crédit et donc enregistrement sur les livres comptables avec transfert et assainissement dans les six mois par la Banque centrale, la lettre de crédit n’étant pas l’antidote du transfert libre, car dans les deux cas de figure des circuits bancaires sont utilisés, connus et répertoriés par les banques.
Cinquièmement, le crédit documentaire ne répond pas toujours, du fait de la situation spécifique de l’économie algérienne, à ceux des clients mais aux fournisseurs étrangers qui se retrouvent avec un risque commercial zéro et qui, souvent, ne font pas confiance à la banque algérienne et demandent une confirmation de cette lettre de crédit par un établissement bancaire étranger.
Sixièmement, avec les difficultés occasionnées au PMI-PME, le risque est l’extension de la sphère informelle qui contrôle déjà 40% de la masse monétaire en circulation, existant une intermédiation financière informelle mais avec des taux d’intérêts usuriers.
Septièmement, il y a risque le passage d’un monopole public à un monopole privé, du fait que le Crédoc élimine les petits producteurs et importateurs qui n’ont pas l’assise financière adéquate pour attendre la venue de la marchandise, donc, par définition, des prix aux consommateurs allant vers la hausse à terme faute de concurrence
Ainsi, il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie où se dessinent d’importants bouleversements géostratégiques mondiaux, croyant que l’on combat la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution. (voir mon interview à l’agence française AFP le 04 août 2013). L’exception faite des importations d’intrants et de pièces de rechange réalisées par les entreprises productrices, à hauteur de 4 millions de dinars annuels (aménagement de la LFC 2010) n’ont pas eu les effets escomptés sur l’appareil productif. En fait, rien ne servait de continuer dans une voie que l’on savait biaisée, et il est souhaitable que l’on pratique certaines corrections, personne ne pouvant se targuer d’être plus nationaliste qu’un autre. Comme une autre procédure qu’ont utilisé bon nombre de pays émergents, et à coté de nous le Maroc, il serait souhaitable le dédouanement des équipements d’occasion de moins de deux ans, maximum quatre années, n’ayant pas été produits ou montés en Algérie, et ce au profit des producteurs et promoteurs qui s’engagent à les garder au moins pendant cinq ans. Il faut être pragmatique et éviter de plaquer des schémas théoriques non adaptés au contexte économique et social algérien durant cette période de transition. Le bilan du Crédoc seul moyen de paiement permet de conclure qu’il n’a pas permis ni de lutter contre le niveau élevé des importations, ni de limiter le fléau de la corruption à travers les surfacturations. Le problème étant ailleurs lié à une nouvelle stratégie de production hors hydrocarbures renvoyant à l’urgence d’une mutation systémique. La vertu des grands dirigeants n’est-elle pas le dialogue productif loin des décisions administratives autoritaires bureaucratiques? Le but du bureaucrate n’est-il pas de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une population infime en ignorant la société majoritaire ? D’où cette mentalité du bureaucrate de donner l’illusion d’une bonne gouvernance pouvant conduire le pays à l’impasse, voire au suicide collectif. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a lui-même reconnu le 12 septembre 2013 que la bureaucratie étouffante a favorisé l’émergence de «niches de corruption» dont la lutte exige la «transparence dans l’action» en fait un renouveau de la gouvernance s’adaptant tant aux mutations sociales internes qu’aux mutations mondiales afin de lutter efficacement contre la corruption, l’insécurité juridique qui sont des phénomènes qui entravent l’émergence d’un climat des affaires transparents en Algérie. Un Etat de droit, la valorisation du savoir, un système bancaire performant et la réhabilitation de l’entreprise créatrice de richesses sont l’épine dorsale des réformes et d’un développement durable hors hydrocarbures. En bren la positon du Ministre du commerce est trop trachée. Je milite pour l’assouplissement des procédures d’importation qui encouragent la production nationale afin de limiter les coûts des procédures, ce que les économistes appellent les couts de transaction. Cela passe non pas par la suppression du CREDOC mais pour son assouplissement le combinant au REMDOC.
Professeur des Universités Expert International Dr Abderrahmane MEBTOUL