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Face aux tensions géostratégiques en Ukraine et aux turbulences du marché énergétique, quel impact sur l’économie algérienne ?

03-02-2022 14:42  Pr Abderrahmane Mebtoul

Après que les vingt-trois membres de l'Organisation des pays producteurs de pétrole et de leurs alliés (OPEP+) ont convenu d'ajuster leur niveau total de production de 400.000 barils par jour pour le mois de mars 2022 er l’annonce d’une stabilité des stock américains,  le  prix du pétrole est coté le 03 février  2022  à 10H  Gmt  89,08 dollars le Brent  et 87,75 pour le Wit,  en rappelant que durant  le troisième trimestre 2021 pour le gaz , les prix spot européens et asiatiques se sont envolés vers des sommets stratosphériques de 30 à 40 $/MBtu, contre  environ 9/12  dollars entre 2019/2020 . L’objet de cette présente contribution est d’analyser l’impact des tensions géostratégiques en Ukraine et ses percussions l’économie algérienne vile prix de l’énergie. Comme je le rappelais déjà lors de  trois   interventions , la première  à l’invitation de l’Institut militaire ,  IMPED en  mars 2018 , la deuxième  par le premier ministère  en  avril 2018 et  la troisième à l’Ecole supérieure de guerre  en juin 2019, sur la sécurité alimentaire, de l’eau  et la sécurité énergétique  Alger , Sonatrach c’est l’ Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach , sa gestion  posant la problématique de la sécurité nationale.

1.-Selon les données  d’Eurostat pour 2020, , 46,8% des importations européennes de gaz naturel provient de la Russie , premier réservoir mondial de gaz  environ 45.000 milliards de mètres cubes gazeux  ayant investi dans plusieurs canalisations en direction de l’Europe  avec  la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de  55 milliards de mètres cubes gazeux( actuellement gelé), soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l'Europe. La dépendance est  très hétérogène selon les pays , par exemple , la Lettonie se fournit ainsi exclusivement (100%) chez les Russes. La Finlande (98%). D’autres pays importent majoritairement du gaz russe. C'est le cas de l’Allemagne (66%) ou de la Pologne (55%). En France, seulement 20% du gaz qui est importé provient de Russie. L'Europe importe également du gaz venu de Norvège (20,5%), d’Algérie (11,6%), des États-Unis (6,3%) et du Qatar (4,3%). Selon les experts, il est utopique donc de parler d’ un arrêt des importations de gaz russe qui viendrait gravement perturber l’approvisionnement énergétique des pays européens. L’annonce par les USA  d’augmenter  les cadences de leurs livraisons de gaz aux pays Européens où durant les  trois dernières semaines  de janvier 2021, entre 70 et 80 cargos américains de gaz naturel liquéfié (GNL) en direction de  l’Europe selon  la Commission européenne ne résout pas les problèmes du fait que les prix du GNL sont bien plus élevés que ceux du gaz russe, certaines estimations donnant un prix sept fois supérieur à celui du gaz russe.

Mais de son côté  la Russie est aussi dépendante de ses exportations gazières vers l’Europe, qui représentent 15% de son PIB, le secteur du pétrole et du gaz assurant  à lui seul en 2021 25% des recettes fiscales totales du pays. Qu’en sera-t-il du  gazoduc Nord Stream 2 n'est toujours pas entré en service, bloqué par  les États-Unis  et l’Europe  d’un coût de 11 milliards de dollars  et d’une capacité de 45 milliards de mètres cubes gazeux ? Quant au Qatar, troisième réservoir mondial de gaz entre 150.000 et 17.000 milliards de mètres cubes gazeux il est lié  des contrats avec l'Asie  ne pourra  que marginalement exporter vers l’Europe à travers les GNL dont le cout est plus élevé que les canalisations  Reste sans oublier l Azerbaïdjan, un autre grand producteur de gaz, le retour de la  Lybie plus de 1500 milliards de mètres cubes gazeux de réserves  exploitées à  moins de 10%  possédant 42 milliards de barils de pétrole, d’où les en, en Afrique deux autres grands producteurs plus de 4000 milliards de mètres cubes gazeux de réserves  le Mozambique et le Nigeria et surtout  l 'Iran deuxième réservoir mondial de gaz avec  plus  de 30.000 milliards de mètres cubes gazeux , les négociations  pour le levée de l’embargo sont toujours en cours  étant lié  également à des contrats fermes  avec l’Asie notamment avec la Chine.

Cela explique les nouvelles stratégies  gazière  avec  les grands gisements en Méditerranée orientale, grand enjeux, expliquant les tensions entre différents pays, réserves d’environ 19.000 milliards de mètres cubes gazeux, le fameux gazoduc EastMed, de 1900 km Israël-Europe d’une capacité de 10 milliards de mètres cubes gazeux, dont l’entrée en production est prévu en 2025, du projet toujours en gestation Nigeria Algérie d’une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux, d’un cout estimé à 20 milliards de dollars, mais pas avant 2030 si les travaux débutent en 2022. Mais tout dépendra u cout et  de l’évolution des prix. Comme démontré dans plusieurs contributions, le cours des hydrocarbures est déterminé fondamentalement par la croissance de l’économie mondiale, la future trajectoire de la consommation  énergétique mondiale, dont l’efficacité énergétique et  les énergies renouvelables), la stratégie de l’OPEP+qui mise  sur la prudence par une augmentation mesurée face aux aléas des fondamentaux dans sa réunion du 02/02/2022, de la production du pétrole gaz/schiste américain dont la rentabilité pour les gisements marginaux , les plus nombreux à un cours supérieur à 55/60 dollars, l’évolution des stocks américains et chinois, et enfin l’évolution du cours du dollar/euro( voir A.Mebtoul www.google 2020/2021). Pour les pays à population élevé et dont la production est relativement faible, un cours élevé supérieur à 80 dollars, le prix d’équilibre raisonnable étant 70 dollars,  outre qu’il pénalise la croissance de l’économie mondiale, se répercute sur les prix à l’importation ,la majorité des secteurs étant fort consommateur d’énergie et en balance devises, ce sue l’on gagne d’un coté, on le perd de l’autre coté du fait de l’élévation de la facture d’importation. 

2. Pour l’Algérie, en s’en tenant aux données officielles, les réserves  de pétrole sont estimées selon, la déclaration officielle du ministre de l’Energie (source APS  décembre 2020) à environ 10 milliards de barils et les réserves de gaz   à environ 2500 milliards de mètres cubes pour le gaz traditionnel. Les exportations à ne pas confondre avec la production  pour 2020/2021 ont fluctué entre 450.000/500.000 barils/j  contre environ 1 million de baril vers  les années 2007/2008, et 40 milliards de mètres cubes gazeux en 2020 et 42/43 en 2021 contre plus de 60 vers les années 2007/2008.   Selon Sonatrach  dans son bilan publié le 31 janvier 2021, en volume physique , nous avons une augmentation de  5% de la production d’hydrocarbures, étant  passée, de 175,9 millions de tonnes d’équivalent pétrole en 2020, à 185,2 millions en 2021 et  les exportations ont  enregistré une hausse de 18% par rapport à l’année 2020, passant de 80,7 millions de tonnes équivalent pétrole fin 2020, à 95 millions de tonnes en 2021. L’Algérie reste un acteur stratégique  d'approvisionnement notamment  en gaz de l’Europe. En effet,  la   première destination du gaz algérien reste le marché européen, essentiellement l'Italie (35%), l'Espagne (31%), la Turquie (8,4%) et la France (7,8%),. Ne pouvant contourner toute la corniche de l'Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie Chine, le Qatar et l'Iran proche de l'Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l'Inde,  le marché naturel de l'Algérie, en termes de rentabilité, étant  l'Europe où la part de marché de l'Algérie face à de nombreux concurrents, en Europe est en baisse(Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l'invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l'Union européenne 31 mars 2021). A court terme l’Algérie peut   profiter  des tensions entre la Russie et l'Occident. Mais existent des limites économiques, l’Algérie étant confrontée à deux contraintes majeures, la forte consommation intérieure et la concurrence de nombreux acteurs. Les exportations se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements et des marchés régionaux par canalisation pour une part respective  d’environ 30/70% ,à travers le TRANSMED, la plus grande canalisation d’une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux via la Tunisie, le MEDGAZ  directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux   qui après extension prévu courant 2021 la capacité sera porté à 10 milliards de mètres cubes gazeux et   le GME via le Maroc dont  l’Algérie a décidé d’abandonner ,  le contrat s’étant achevé  le 31 octobre prochain, d’une capacité de 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. (voir nos interviews 31/01/2022 à radio Algérie internationale et à la chaine 1)  .

3.-  En ce mois de janvier 2022, le  constat est que  les exportations sont toujours dominées  par les hydrocarbures y compris les dérivées ,pour le bilan 2021, 34,5 milliards de dollars  dont 2,5  de dérivées comptabilisées dans la rubrique des 4 milliards de dollars hors hydrocarbures par le Ministère du commerce   soit environ 98% des exportations totales  et en janvier  2022, Sonatrach  c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach  irriguant l’ensemble du corps économique et social : taux de croissance, taux d’emploi, niveau de l’inflation , réserves de change Le Groupe au niveau intérieur est  le véritable moteur de l'économie algérienne, un fournisseur essentiel de revenus d'exportations, de revenus fiscaux, d'où l'importance de tracer des pistes d'action car malheureusement, Sonatrach est sortie de ses métiers de base malgré la faiblesse de ses ressources humaines et surtout faisant double emplois avec d'autres départements ministériels, cette dispersion à vouloir faire tout  a nui d'ailleurs à son management global stratégique ( notre contribution à la prestigieuse Ecole HEC Montréal Canada , 2013, pour un nouveau management stratégique de Sonatrach).

Aussi, dans cette conjoncture où les tensions géostratégiques notamment en Ukraine,  et la  relance de l’économie mondiale ont fait hausser le prix, pour le gaz  l’Algérie  sous réserve de l’augmentation de sa production peut profiter peu de  cette  hausse , mais avec cette contrainte  de  la forte consommation intérieure  qui risque horizon 2030 de dépasser les exportations actuelles (dossier lié à la politique des subventions sans ciblage et surtout  avec une plus grande de rigueur budgétaire et une stratégie hors hydrocarbures pour ne pas renouveler les erreurs du passé car cette hausse est de court terme . L’Algérie a engrangé en devises plus de 1100 milliards de dollars entre 2000/2021, dont plus de 98% provenant de Sonatrach ,  avec  des dépenses, sans compter la partie dinars, un montant d’importation en biens et services  de plus de 1055 milliards de dollars. Et pourtant les impacts sont mitigés, un taux de croissance dérisoire,  le terrorisme bureaucratique avec la centralisation à outrance des décisions sans impliquer la société, enfantant la corruption et la mauvaise gestion.

Avec la baisse des recettes d’hydrocarbures  et  le niveau des dépenses, nous avons assisté à une baisse des réserves de change qui  sont  passées  de 198 milliards de dollars  au 01 janvier 2014 à 62  fin 2019,  48 fin  2020,44 fin 2021,  malgré toutes les restrictions et les gels de projets  que le gouvernement a décidé récemment de débloquer, qui ont paralysé l’appareil de production, le taux d’intégration des entreprises ne dépassant pas 15%%  et donc  contribué à accélérer le processus inflationniste du fait du déséquilibre  offre limitée et demande en expansion. Ces réserves de change tiennent la cotation du dinar officiel ( avec un écart de près de 50% sur le marché parallèle)  à plus de 70% étant passées de 70 dinars un dollar vers les années 200/2005, la cotation du 03/02/2022 étant de  140,34 dinars un euro et 156,dinars un dollar,  l'Exécutif, dans la loi de finances 2022, prévoyant  149,3 DA pour un dollar en 2022,  156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024. Or,  avec la pression démographique  plus de 45  millions d’habitants au  01 janvier 2022 , plus de 12 millions de population active,  pour absorber un flux de  350.000 à 400.000 emplois  par an qui s‘ajoute aux taux de chômage en 2021, plus de 14%, il faut un taux de croissance  de 8/9% par an. Il existe un niveau incompressible des importations, en attendant le bilan du gouvernement,  où  selon le rapport du FMI, dans son rapport de décembre 2021, les importations en 2021 ont atteint 46,3 milliards de dollars, 38,2 milliards de biens et une sortie de devises de services de 8,1 milliards  et des exportations de 37,1 milliards.

En conclusion,  contrairement  aux supputations de certains esprits malveillants,  il n’ y aura pas de conflits armée entre la Russie et l’Occident, où tout le monde y perdrait. Pour l’Algérie, il s ‘agit  de relancer l’économie nationale en 2022, d’accélérer   la  transition énergétique, le Mix énergétique, combinant  l’efficacité énergétique, le développement des énergies traditionnelles,  les énergies renouvelables et surtout une  plus grande rigueur dans l’allocation des ressources financières.

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Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International -professeur d'Université en management - docteur d' Etat en gestion (1974) -Expert-comptable diplômé de l'Institut supérieur de gestion de Lille-France   (1973) directeur général des études économiques et premier conseiller (magistrat) à la cour des Comptes 1980/1983- Directeur d'Études -Ministères Energie/Sonatrach 1974/1979-1990/1996-2000/2007-2013/2015    



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