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Synthèse du rapport (d’une partie du volume III) remis au Premier ministre - 15 janvier 2013 par le Professeur Abderrahmane MEBTOUL
« Face aux mutations mondiales, la stratégie de filières en Algérie doit s’insérer au sein d’une vision stratégique »
Contribution des experts internationaux Docteur Mourad PREURE et Lies GOUMIRI
Préambule
Cette contribution pour le site Algérie1 est la synthèse d’une partie du volume trois (III) audit réalisé sous ma direction, d’une brûlante actualité remis au Premier ministre Abdelmalek Sellal le 15 janvier 2013 concernant des dossiers sectoriels et traitant de l’agriculture et l’agro-industrie. Nous avons extrait les deux contributions de deux amis, des experts internationaux algériens, le docteur Mourad PREURE et le docteur Lies GOUMIRI. Elle sera suivie d’une contribution d’un éminent expert de renommée mondiale, directeur de recherche et Responsable Projet Espace, Laboratoire de Physiologie dans le prestigieux Collège de France à Paris qui a contribué à cet audit, mon ami le professeur Mohamed ZAOUI.
Au moment où avec la chute du cours des hydrocarbures, posant la problématique de la sécurité nationale, l’Algérie risque de connaitre d’importantes tensions budgétaires, nécessitant un Front social interne solide, tenant compte des différentes sensibilités sociales grâce à un dialogue productif au profit exclusif de l’Algérie et une réorientation urgente de la politique socio-économique afin d’éviter le drame des impacts des année 1986, j’ai jugé utile de mettre à la disposition du large public l’audit réalisé sous ma direction assisté de 20 experts internationaux (économistes- sociologues-juristes-ingénieurs) et remis au Premier Ministre le 15 janvier 2013 ( six volumes 900 pages).
Cet audit a été réalisé sans aucune rémunération, à la demande de Mr Abdelmalek Sellal, homme de dialogue, qui nous a donné comme orientations, nous ayant laissé libre de toute initiative sans aucune contrainte, de privilégier uniquement les intérêts supérieurs du pays et de dire la vérité, rien que la vérité, sans sinistrose, ni autosatisfaction. Cet audit réalisé avant la baisse du cours des hydrocarbures de juin 2014 au niveau mondial mais avec des prémisses dues à la chute en volume physique des exportations de SONATRACH depuis fin 2007, est d’une actualité brûlante.
Le contenu de cette brève synthèse n’a subi aucune modification. Au lecteur de juger, ayant insisté fortement en préface que la bataille de la relance économique future de l’Algérie et notre place dans la compétition mondiale se remportera grâce à la bonne gouvernance et notre capacité à innover. Face aux tensions géostratégiques, des stratégies d’adaptation étant nécessaires tant au niveau extérieur qu’intérieur, espérons avoir fait œuvre utile pour le devenir de l’Algérie pour un devenir meilleur.
Professeur Abderrahmane MEBTOUL –Expert international
SYNTHESE PREMIERE CONTRIBUTION
Quel positionnement stratégique pour l’industrie algérienne, quel Projet industriel dans le Grand Village Global ?Dr Mourad PREURE - ancien conseiller à la DG de SONATRACH, Président Fondateur du Cabinet EMERGY
On ne peut pas mettre en perspective les filières industrielles existantes en Algérie, investir de nouvelles filières industrielles, postuler à se rapprocher des leaders dans certaines filières sans remettre à plat toutes nos approches en la matière, sans remettre en cause nombreuses certitudes. Dans le nouveau paradigme préconisé, il faut remettre l’entreprise au cœur de la politique industrielle pour porter celle-ci au rang d’une Nouvelle ambition. Il faut, dans le même sens, aller vers un nouveau modèle d’entreprise, loin de l’entreprise fordienne classique. Il faut mettre le savoir au cœur de la démarche. Il faut enfin combiner actions structurantes nationales avec acquisition d’actifs en international et articulation de ces actifs avec le tissu industriel et les universités nationales. L’Etat lui-même opère sa mue et apparait comme un Etat stratège, grand ordonnateur du développement scientifique et technologique, se portant avec succès à la tête des entreprises algériennes dans la guerre économique qu’elles mènent pour gagner une place dans une économie mondiale où le changement s’accélère devient de plus en plus discontinu, où s’accroit la complexité et l’interdépendance, où par ce fait les cartes sont rebattues, faisant une place aux challengers audacieux.
Le savoir est la clé de l’avantage concurrentiel des nations. Comment enclencher un nouveau régime d’accumulation fondé sur le savoir, menant à une production à haute intensité technologique et qui fait converger industrie, université et recherche ? Ce nouveau régime d’accumulation embrasse énergie et TIC et procède à un dépassement dialectique des logiques en cours dans l’industrie du siècle passé. Il peut se rapprocher de ce que Jeremy Rifkin a appelé « Troisième révolution industrielle » fondée sur une convergence entre internet et énergies renouvelables.
Il n’est plus fondé sur des avantages comparatifs acquis mais des avantages comparatifs construits. L’Algérie, par cette approche, valorisant son potentiel et son expertise en énergies fossiles, serait ainsi propulsée dans les grandes actions structurantes de la transition énergétique et partant, dans un monde désormais multipolaire, aux recompositions en cours qui modèlent les rapports de force dans la géopolitique mondiale de demain.
Car la démarche stratégique part toujours de quatre questions :· Qui suis-je ? (SWOT analysis, quels sont mes facteurs clé de succès ?)· Que sera demain ? (Que sera le monde en 2030, par exemple ?)· Quelle ambition pour moi ? (Comment me vois-je à cet horizon ?)· Comment y aller ?
L’analyse prospective (Que sera demain ?) vient toujours en amont de la stratégie, car autant les forces et les faiblesses, les opportunités et les menaces n’ont de sens que par rapport aux tendances lourdes à l’œuvre au futur en train de naître sous nos yeux, qu’elles signalent, qu’elles annoncent et que souvent nous ne voyons pas…
1.-La question centrale : quel projet industriel dans une économie mondialisée ?
L’Algérie doit identifier et hiérarchiser les domaines industriels sur lesquels porte cette Nouvelle ambition. Outre les domaines traditionnels présents et qui doivent être développés dans une double logique d’import-substitution et de noircissement de la matrice des relations inter-industrielles, il s’agit de se placer dans les tendances structurantes à l’œuvre dans l’industrie mondiale. La question se pose alors : dans quels domaines postuler à figurer parmi les leaders, dans quels autre parmi les suiveurs, dans quels autres enfin parmi les veilleurs ? Quels sont les secteurs à plus fortes synergies et qui méritent une attention particulière ? L’industrie automobile, et mécanique en général, le traitement de l’eau (dont le dessalement), l’agroalimentaire, les transports ferroviaires (voies et équipements), notamment. Quels sont les secteurs où l’effet d’import-substitution est à classer parmi les priorités, tenant compte des grands équilibres économiques nationaux mais aussi d’autres paramètres non négligeables comme l’emploi, ou l’autosuffisance considérée comme stratégique pour certains produits ? Un ensemble d’arbitrages sont en effet nécessaires entre (i) la pression du court terme en matière de besoins pour l’économie nationale, (ii) la relance de l’outil industriel en ce que cela consiste en la capitalisation (éviter la perte de cet outil), la mise à niveau et la mise en perspective de l’expérience et de l’expertise industrielle existante, (iii) l’insertion active de l’économie nationale, à travers son industrie, dans les tendances structurantes à l’œuvre dans l’économie mondiale et la valorisation de ses facteurs clé de succès. Il faut ici compléter l’approche en veillant à générer un facteur clé de succès, qui est transversal à tous ces secteurs, soit la qualité, l'apprentissage de la démarche qualité, plus que l'innovation même. Car c'est à travers la démarche qualité, que se construisent la pratique industrielle, la culture industrielle et donc l'efficacité productive. Ici se trouve le problème numéro 1 de l'industrie algérienne et qu’il convient de traiter absolument dans le cadre de cette nouvelle ambition industrielle. La coopération internationale conjuguée à l’acquisition d’actifs industriels dans les pays OCDE en crise est utile car elle permet de gagner du temps et d’optimiser l’investissement.
2.-Les secteurs industriels où l’Algérie doit être présente
· Industrie automobile, sous-traitance,
· Mécanique (parce qu'elle contient l'essentiel des savoir-faire dont l’Algérie à besoin pour développer une industrie)
· Matériaux de construction et logement
· Transports: ferroviaire, tramways, ports, métro
· Energie (hydrocarbures, renouvelables)
· Traitement de l'eau
· Ville durable
· Pharmacie, médicaments, cosmétiques
· Agroalimentaire
La caractérisation ne doit cependant pas être prisonnière de la spécialisation existante de l’économie algérienne. Il faut se poser cette question :
· Quels sont les secteurs porteurs au niveau mondial, ceux qui vont agir structurellement sur l’avantage concurrentiel des nations, et quelles chances a-t-on de les rejoindre ?· Quels sont les secteurs dont il est vital pour l’économie nationale qu’ils soient investis par nos industriels ?· Quelle place pour l’ingénierie, qui est la mémoire de tout processus d’industrialisation.· Considérant l’industrie mécanique, un cas d’école, un problème de doctrine se pose si l’on écarte toute perspective de devenir un pays de main d’œuvre low cost : Qu’entend-on par là ? Le développement d’une filière compétitive de fabrication d’automobiles ou de camions (la taille du marché national permet-elle une telle ambition ?) ou la détention de niches à haute valeur ajoutée, difficilement substituables, la présence dans un segment de sous-produits, un segment à forte intensité technologique comme les moteurs hybrides, les nouveaux matériaux pour chambres de combustion, l’électronique embarquée, etc. ? Ne faut-il pas imposer aux constructeurs étrangers prospérant sur notre marché des investissements et un transfert de technologies dans ce type de segments qui entraineraient PME innovantes et universités algériennes ?
3.-L’énergie et l’économie numérique : les leviers pour tout projet industriel national
Les hydrocarbures sont une chance historique qui a permis à l’Algérie d’entrer dans une industrie de haute technologie, les hydrocarbures. Cette industrie restera stratégique tout au long de ce siècle vraisemblablement. Le pétrole du futur sera de plus en plus technologique, de plus en plus difficile à découvrir et à produire. Car les gisements vieillissent et déclinent, les découvertes et productions actuelles et à venir sont dans des horizons de plus en plus complexes : offshore ultra profond (au-delà de 2000 mètres de tranche d’eau), huiles et gaz non conventionnels. La technologie va donc structurer les rapports de force à l’avenir et modeler la géographie des réserves. Nous devons jouer un rôle actif dans ces mutations à l’œuvre, cela par de nouvelles articulations entre universités, Sonatrach, ingénierie, sociétés de service, PME dédiées aux services et à la production. Les pays producteurs d’énergie doivent faire le choix de se confiner par leur seule qualité d’exportateurs d’énergie et de matières premières à une insertion passive dans l’économie mondiale ou d’opter pour une insertion active par le biais de leurs acteurs économiques nationaux à qui ils assigneraient la mission d’être un agent actif des mutations en cours, et d’être en conséquence une source renouvelable de richesses pour leur pays. Cela représente un challenge pour nos entreprises et nos universités et un axe fort de toute politique industrielle. Sonatrach, qui est exposée à une vive concurrence mondiale, pour assurer sa pérennité et son expansion doit viser trois objectifs stratégiques (i) accroître sa base de réserves en Algérie et aussi en international, devenir un grand découvreur d’hydrocarbures, (ii) au même titre que ses concurrents dans le monde opérer sa mue depuis une compagnie pétrolière vers une compagnie énergétique présente sur tout le spectre des énergies et sur toute la chaine « from well to wheel » fournissant au client final carburant, molécules de gaz et kilowattheures, (iii) elle doit être l’agent par lequel notre pays effectue avec succès sa transition énergétique. Elle doit pour ce faire asseoir son expansion sur un puissant tissu d’entreprises nationales articulées aux universités et à la recherche. Posé ainsi le développement stratégique de Sonatrach suppose un développement industriel national touchant à l’énergie coordonné et multidimensionnel. Ainsi l’énergie serait le vecteur par lequel notre pays figurerait parmi les leaders qui façonneront le monde de demain. L’industrie nationale en serait l’infrastructure et le levier décisif. La sous-traitance pour les hydrocarbures doit alors être traitée de manière systématique, incluant partenariat international (incité par Sonatrach en faveur d’entreprises algériennes) mais aussi acquisition d’actifs à l’étranger. Inutile d’insister sur les retombées multiformes sur l’économie nationale, l’université et l’industrie et la recherche en général.
4.-La transition énergétique et la révolution numérique
Le monde opère sa transition énergétique depuis un modèle fossile (80% de la consommation mondiale d’énergie est assurée par le pétrole, le gaz et le charbon) vers un modèle non carboné, non fossile (en 2050 on devrait porter cette proportion à 50% puis la voir décliner). La promotion des énergies renouvelables (14% du bilan énergétique mondial aujourd’hui) est le moteur de la transition énergétique avec, bien entendu, l’efficacité énergétique qui représente un gisement d’amélioration conséquent. En Algérie de nouveaux comportements consuméristes et le retour au génie traditionnel en matière d’habitat et de matériaux de construction devra être un axe d’effort majeur. La crise économique n’a pas manqué d’affecter le développement des énergies vertes et mis en difficulté cette industrie. D’autre part le vif engagement de la Chine dans l’énergie solaire, photovoltaïque essentiellement, a conduit à une guerre des prix qui a mis à l’agonie une industrie européenne pourtant puissamment enracinée dans les disciplines scientifiques fondamentales et donc au pouvoir innovant exceptionnel. L’Europe a aussi contre elle un ensoleillement moindre par rapport à ses ambitions. Aujourd’hui cette guerre des prix a mis à terre jusqu’au chinois premier producteur mondial. Tout ceci ouvre des perspectives uniques pour l’Algérie dont l’ensoleillement exceptionnel ainsi que les besoins exponentiels en électricité peuvent ouvrir la voie à une révolution solaire dans notre pays. Le potentiel gazier algérien permet en outre la réalisation de centrales hybrides solaire/gaz où le coût du kilowattheure représente le meilleur optimum économique aujourd’hui. Algérie peut devenir un pays leader dans le solaire tout en couvrant de manière durable ses besoins énergétiques et accroissant les facteurs clé de succès pour l’économie nationale. Il est d’autre part impératif pour l’Algérie de vaincre le grand Sud par des voies électrifiées et des grandes métropoles urbaines. L’énergie doit être au rendez-vous. Les ressources en hydrocarbures ne sont pas en mesure de garantir l’atteinte de cet objectif. Seules les renouvelables peuvent le faire. Mais l’on peut aller plus loin et adhérer au concept de Troisième révolution industrielle avec la convergence d’internet et de l’énergie verte. Nous irons, selon ce concept vers une énergie verte distribuée (chaque immeuble ou maison produirait une part importante de son électricité) et régulée car toute cette multitude de producteurs d’électricité seraient interconnectés au réseau électrique et aussi à internet. Il s’agit d’une approche futuriste dont l’Union européenne a programmé la mise en œuvre. Pour ce qui nous concerne, retenons qu’une production distribuée d’électricité verte pourrait contribuer significativement à absorber la croissance très forte de la demande mais aussi engendrer une multitude de micro entreprises et PME, pourrait créer une mobilisation qui soutiendrait la transition énergétique. Ceci serait complémentaire avec le développement d’un génie national dans l’électricité solaire photovoltaïque et thermodynamique. Nous sommes au cœur d’une Nouvelle ambition dans le sens propre du terme. Il faudrait pour ce faire ne pas rater la fenêtre d’opportunités ouverte par la crise très grave que vit aujourd’hui l’industrie du solaire et faire sans délais des acquisitions d’actifs notamment en Europe, articuler ces actifs industriels avec nos universités et nos entreprises. Le deuxième grand domaine de rupture où notre industrie doit, en partant des facteurs clé de succès existants en créer de nouveaux de manière volontariste c’est l’économie numérique. L’Algérie ne devrait avoir aucune gène à postuler figurer à terme parmi les leaders. Il y a, comme nous l’avons montré plus haut, une convergence, d’autre part, avec l’approche qui serait mise en œuvre dans l’énergie. Le génie logiciel doit être un choix industriel lourd qui bénéficie d’incitations fiscales et autres encouragements de l’Etat à la création d’entreprises mais aussi à la délocalisation d’entreprises internationales de référence vers l’Algérie.
5.-La globalisation : un nouveau paradigme des relations économiques internationales qui sur- détermine toute politique industrielle nationale et pose de nouveaux challenges à la Nation algérienne
La globalisation est un phénomène objectif, c’est un processus historique indépendant de la volonté immédiate des acteurs. L’attitude que ces derniers adoptent face au changement fera de ses manifestations des opportunités ou des menaces selon les cas. La décennie 90 consacre l’émergence d’un monde global, sans frontières, où opèrent des acteurs globaux, recherchant et établissant un avantage concurrentiel global. Le développement des TIC en a été l’accélérateur et a rendu possible l’instantanéité des communications et l’abaissement de leur coût. Les marchés nationaux se sont tous décloisonnés pour former le marché global où se meuvent des acteurs globaux. Les firmes internationalisent leurs processus productifs installant à leur gré sur toute l’étendue de la planète centres décisionnels, processus innovants et capacités productives avec pour objectif la maximisation de leur profit en obtenant des effets d’échelle toujours plus grands, hors de portée de nos entreprises. Pour autant, ces firmes multinationales conservent un fort ancrage dans leur pays d’origine dont elles sont une dimension de la puissance. Voilà donc la trame dans laquelle il faut mettre en perspective notre destin industriel. Les firmes sont l’acteur cardinal de ce processus et tendent à prendre un ascendant sur les Etats. Un impératif stratégique nouveau se pose dans les relations internationales : la puissance des Etats s’établit sur la puissance des firmes, et il revient aux Etats de mettre au cœur de leur politique économique l’encouragement à l’émergence de champions nationaux. Le monde, d’autre part, connaît une accélération du changement et un accroissement de la complexité. Les concurrents vont de plus en plus vite et les fenêtres d’opportunité se ferment de plus en plus rapidement. La firme est le seul acteur en mesure d’avoir une vision globale et systémique, le seul acteur en mesure de maîtriser la complexité, le seul acteur capable de flexibilité et de réactivité pour parer aux menaces et saisir les opportunités. Voilà pourquoi des firmes puissantes et compétitives sont la meilleure protection pour les économies nationales aujourd’hui.
6.-L’industrie aujourd’hui dans l’espace global sans frontières
L’industrie dans le monde est de plus en plus organisée en chaînes de valeur globales dont il faut convoiter les segments à haute intensité technologique et de ce fait à haute valeur ajoutée. Construire un bateau, une automobile ou un téléviseur comporte des activités de conception, le management d’une chaîne de sous-traitants, la fabrication et enfin de distribution. Ceci représente la chaîne de valeur. Il convient d’entrer dans cette chaîne de valeur mondiale en recherchant les activités de conception et de fabrication complexe, celles qui sont les moins substituables et celles qui exercent localement un effet de rayonnement et génèrent le plus de marge. Se focaliser sur le montage est une erreur qui peut parfois être compensée par l’appel à la sous-traitance nationale. Les pays qui ont réussi leur décollage industriel dans un passé proche, soit les pays asiatiques notamment, ont combiné fabrication et innovation en articulation avec les universités nationales, reverse engineering (copiage). Et, dans cette logique globale intégrée intervient en effet le montage qui n’était en aucun cas abstrait d’une vision globale. La sous-traitance nationale ne peut réussir d’’autre part que si de grands donneurs d’ordre nationaux, qui ne peuvent être que des champions nationaux, accèdent au concept global du produit et tirent avec eux l’université et la recherche. Le partenaire étranger et l’idE en général ne peut venir qu’en appui, et il faut résolument le solliciter en ce sens. L’économie industrielle moderne nous enseigne qu’il s’agit de raisonner en termes de management du système d’offres. Dans une approche systémique, un produit est considéré comme un système d’offres représentant une chaîne de sous traitants et fournisseurs qu’il convient de manager au mieux de l’avantage concurrentiel. Pour cela se développe au sein des entreprises une fonction supérieure de donneur d’ordre. Celle-ci s’appuiera sur un puissant cœur technologique qui représente le savoir faire, l’ingénierie et les capacités de R&D de maîtriser le concept global du produit, d’autre part la chaîne de sous-traitants nécessaires pour le réaliser. On le voit l’intégration nationale importe moins que la qualité de donneur d’ordres qui permet de faire jouer en sa faveur la concurrence entre sous-traitants et qui structurellement amène et permet de rapatrier les segments les plus déterminants, les plus nobles, de la chaine de valeur et à externaliser ceux qui subissent le plus la pression concurrentielle. La montée dans la courbe d’expérience est ainsi mieux maitrisée car les effets d’échelle sont répartis, ainsi que le risque, entre toute la chaine des sous-traitants.
7.-Une Projet industriel national devra procéder d’un nouveau paradigme au cœur duquel se trouve l’entreprise et qui se fonde sur la compétitivité, le pouvoir innovant des entreprises nationales et des universités.
Il faut impérativement opérer un renversement de perspective stratégique avec deux dimensions complémentaires et convergentes : l’entreprise est au cœur de la démarche, d’une part, d’autre part le savoir en sera le moteur. C’est à partir et autour de l’entreprise, cadre naturel de création de richesses et d’emplois, que sera formulée la stratégie industrielle. Ce paradigme suppose aussi de faire absolument converger les logiques d’Etat avec les logiques d’entreprise privées pour amplifier, donner davantage de volume aux actions de l’Etat, encourager aussi le partenariat public-privé. C’est une véritable orchestration du développement industriel qui évite les « approches par le haut » mais s’inscrit résolument dans une vision « top-down, bottom-up » c'est-à-dire une interactivité et une communication permanente entre les entreprises et l’Etat pour produire des solutions novatrices et adaptées aux réalités de nos industries et de la concurrence. Cette approche sera particulièrement à l’œuvre dans les clusters qui ne doivent pas être le fait de décisions bureaucratiques mais naitre de logiques de fertilisation croisée université-industrie engendrées par la pratique industrielle et forgées dans les réalités à la fois industrielles et territoriales. Autant la Silicon Valley que Sophia Antipolis sont nées de telles logiques, jamais de logiques d’en haut. Il faudra aller vers un nouveau modèle d’entreprise. L’entreprise algérienne est pour sa majorité encore l’entreprise fordienne organisée en deux instances : « ceux qui pensent et ceux qui vissent » alors que l’entreprise dans le monde en est aux paradigmes de l’entreprise neuronale, entreprise sensible, entreprise agile qui s’adapte aux évolutions incessantes et imprévisibles de son environnement, « un comploteur pro-actif » qui provoque le changement et modifie sans cesse à son avantage les conditions de l’avantage concurrentiel. C’est une entreprise de gagnants, portés par un leadership moderne qui fait une place aux meilleurs, une entreprise tournée vers l’excellence. Les entreprises devront construire une puissante infrastructure pour l’apprentissage, devenir des entreprises apprenantes. L’intégration permanente des connaissances nouvelles et la mise à niveau du personnel. Elles ressembleront de plus en plus dans leur rapport à la connaissance, à des universités. Nous irons ainsi vers un effacement progressif des barrières entre entreprise et université. Dans le même sens, nos entreprises doivent engager leur e-transformation. Elles doivent être conscientes d’un changement majeur induit par la Nouvelle économie. Les TIC agissent en profondeur tant sur leur périmètre opérationnel que sur le champ de la concurrence, décloisonnant les marchés, réduisant les distances et créant le marché global. Sans s’en rendre compte, elles sont confrontées déjà à des concurrents qui viennent de théâtres d’opération loins de milliers de kilomètres. Le champ de bataille est actif 24 heures sur 24 et animé par des acteurs de plus en plus entreprenants et de plus en plus innovants. De même les paramètres coût, délai, qualité seront de plus en plus déterminés par la qualité des échanges d’information. Dans le même sens, les réseaux numériques apportent des opportunités nouvelles car ces mêmes marchés, loins de milliers de kilomètres sont désormais accessibles à nos entreprises. Une entreprise de génie logiciel située à Khenchela ou Adrar peut être sous-traitante d’une entreprise américaine, japonaise ou australienne ! Le commerce électronique devient de plus en plus important et agit sur l’avantage concurrentiel. Une véritable révolution culturelle est indispensable dans l’esprit des dirigeants qui les amènerait à agir localement tout en pensant monde, « Think global, act local. ». L’internationalisation est aujourd’hui un passage nécessaire pour toute entreprise. Mais en même temps, faudra-t-il aussi qu’elles puissent manager leur purchasing chain ou leurs clients avec un clic de souris. L’environnement national doit évoluer pour le leur permettre. L’entreprise Il s’agit d’enclencher un cercle vertueux : -transformation – innovation – intelligence compétitive – internationalisation.
8.-Les grands challenges pour l’économie algérienne, l’Etat stratège et le rôle de l’entreprise
L’Etat réalise une réelle ambition industrielle en s’imposant comme un Etat stratège dont la mission est d’anticiper le futur, de fédérer et mobiliser les entreprises nationales autour d’une vision stratégique, être le grand ordonnateur du développement scientifique et technologique. L’Etat est le seul acteur en mesure de mutualiser les stratégies individuelles et créer les conditions de la compétitivité globale. L’Etat doit identifier et délimiter le périmètre stratégique de l’économie, le cœur de la puissance et le pilier de l’indépendance du pays et qui englobe les industries stratégiques (énergie, télécommunications etc.) mais aussi les « jeunes pousses » à haute valeur technologique ou positionnées sur des marchés émergents. Ce périmètre stratégique a pour vocation à s’élargir, se renforcer et la mission régalienne de l’Etat est d’y veiller soigneusement. L’intelligence économique, qui doit être érigée en politique publique, est un des leviers par lequel se fait l’intervention de l’Etat. Le secteur industriel public a une place dans cette Nouvelle ambition industrielle, il peut jouer un rôle d’impulsion dans la croissance mais aussi de régulation dans la mesure où il peut prendre en charge des segments à forte motricité et requérant une visibilité et des investissements conséquents. Il peut le faire dans une perspective de long terme, mais aussi sur de courtes échéances avec pour but d'enclencher un cercle vertueux, puis se désengager ensuite (avec plus value) au profit d'intérêts nationaux. Pour autant ces entreprises doivent toujours être autonomisées et fonctionner aux standards internationaux de management de leur métier. Leurs dirigeants doivent pouvoir montrer leur talent et prendre les initiatives en mesure de renforcer leur position concurrentielle et assurer leur expansion. Pour cela l’Etat doit se limiter à l’exercice de ses pouvoirs de propriétaire dans le cadre des organes statutaires. Pour le reste, autant que pour les autres entreprises, l’Etat exerce ses pouvoirs régaliens. La sous-traitance nationale est d’autre part une voie royale pour le développement industriel et technologique. Il convient de définir une vision globale en la matière. Cette vision doit être présente dans tous les projets réalisés par des entreprises étrangères en Algérie. Elle doit s’imposer avec vigueur à tous les intervenants dans les grands projets publics ainsi que les importateurs de biens d’équipement et de consommation durables comme les véhicules par exemple. Le potentiel du marché algérien pour ces fabricants est suffisamment convaincant pour les amener à conclure des partenariats avec des entreprises algériennes sous la supervision de l’Etat. De même, si les hydrocarbures sont le « vaisseau amiral » de l’économie algérienne, il leur incombe de donner l’exemple en matière de recours à la sous-traitance nationale. Autant notre compagnie nationale Sonatrach, que les compagnies étrangères opérant en Algérie doivent être responsabilisées pour créer les conditions (comme cela s’est fait en Grande Bretagne avec le développement pétrolier de la Mer du Nord) pour l’éclosion d’un génie algérien dans tous les métiers de sous-traitance et de services liés à l’activité pétrolière mais aussi aux énergies vertes. Ces entreprises nationales pourraient faire valoir ensuite leurs compétences sur d’autres théâtres d’opération que l’Algérie.
9.-Conclusion : construire des avantages concurrentiels pour demain
L’industrie ne peut pas se suffire de satisfaire les besoins de la population en produits, ni même de distribuer des revenus. Les entreprises sont les nouveaux gladiateurs de la guerre économique. Elles se meuvent dans un espace global, sans frontières et convoitent pour leurs pays d’origine une partie de la richesse créée dans le monde. La stratégie industrielle nationale les met en ordre de bataille pour cela. Elles tirent leur force de leur pouvoir innovant, de la qualité de leur management, des synergies dont elles bénéficient dans leur économie nationale. Il s’agit pour elles de conquérir les centres nerveux de la croissance mondiale, soit ceux qui participent à l’innovation à un niveau global, les centres où se conçoivent les processus productifs de demain, où se modèlent les besoins de demain. L’enjeu c’est de se maintenir à la tête de la courbe du changement en réinventant chaque jour son métier et les règles de la concurrence. Mais cette dynamique a aussi un effet structurant sur les Nations même dont elle fonde en dernière instance la puissance et détermine le devenir. Si l’on reprend la figure du cercle, on peut dire que le Monde s’organise ainsi avec un centre composé des pays occidentaux autour duquel se trouve une périphérie, composée des autres pays de la planète. La dynamique du Système Monde est alors caractéristique : le centre, siège de la production de savoir et des processus productifs à haute intensité technologiques, tend vers l’ordre alors que la périphérie, par le fait de tendances entropiques tend vers le désordre, la fragmentation. Dans ce sens, pour combattre les forces entropiques qui les traversent, les pays de la périphérie doivent renforcer les zones d’ordre et pousser celles-ci à effectuer en quelque sorte une multiplication cellulaire, diffusant l’ordre dans le système, jusqu’à l’ordonner dans son ensemble, ces zones sont l’industrie et les entreprises qu’elle génère, les universités et les acteurs socio-économiques. L’Etat, en s’affirmant comme Etat stratège soutenant la compétitivité des entreprises et propageant l’esprit de conquête, se modernisant et s’adaptant sans cesse pour encourager cette dynamique, devient le catalyseur du développement d’entreprises modernes, à même de participer au grand jeu économique planétaire qui en retour décuplent sa puissance.
Biographie Mourad Preure· Gradué de l'université d'Alger, Faculté des Sciences Economiques
· Diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs de Paris
· Docteur de l'Institut Français du Pétrole,
· Spécialiste en économie et géopolitique de l'énergie et en stratégies des compagnies pétrolières,
· Ancien Conseiller chargé de la Prospective, de la Stratégie et du Développement technologique auprès du PDG de Sonatrach, animateur du Processus de Modernisation de Sonatrach, le Projet PROMOS
· Ancien membre du Bureau du CNC-PME et Président de la Commission Stratégie
· Président du Cabinet EMERGY International Strategic Consulting
· Professeur de Stratégie, Intelligence Economique, Géopolitique de l'Energie auprès d'une importante institution nationale
· Chercheur Associé à l'Institut Militaire de Documentation d'Evaluation et de Prospective (IMDEP)
· Membre du Paris Energy Club
· Expert Energie de l'Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED)
· Auteur d'un livre avec Jean-Louis Levet "France - Algérie. Le grand Malentendu" L'Archipel Paris et EMERGY Editions Alger, 2012
SYNTHESE DEUXIEME CONTRIBUTION
Eléments d’une stratégie économique pour l’Algérie : dans quelles filières investir ?
Docteur Lies GOUMIRI, diplômé de science PO de Paris et polytechnique de Grenoble
L’investissement en saurait relever d’un volontarisme bureaucratique, dans des bureaux climatisés, vision largement dépassée mais libérer les initiatives créatrices par la liberté d’entreprendre avec un rôle stratégique à l’Etat régulateur
1.- l’économie rentière a vécue
Faut-il le rappeler qu’après l’indépendance, il s’agissait de recouvrer nos ressources naturelles et construire une économie algérienne prospère et durable. Le système économique colonial ne pouvait se poursuivre dans une Algérie indépendante. Les fameux plans (quadriennal et quinquennal) basés sur les exportations de pétrole et gaz ont permis certes à l’Algérie de dégager des ressources financières appréciables permettant de lancer un programme étatique volontariste d’industrialisation tout azimut. Mais après ? L’Algérie s’est-elle pour autant industrialisée ? Le schéma directeur des industries industrialisantes des années 70 est mort. Le schéma directeur de la production en substitution aux importations est frappé de désuétude. Plus récemment, les autres schémas de la Privatisation totale ou des Investissements Directs Etrangers (idE) ont montré leurs limites. Aujourd’hui, d’aucun pense encore que l’entrée à l’OMC ou l’adhésion improbable à UE pourraient tirer d’affaires l’Algérie. Arrêtons l’errance et comme dit l’adage « il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut rien entendre ». Nous n’avons ni plan A, ni plan B, ni 3ème voie. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous ne changeons pas de système. L’Algérie économique et sociale est à repenser comme après l’indépendance. Nous ne pouvons pas continuer avec le système des années 60. L’Algérie est actuellement dans une situation instable, il ne faut plus attendre pour procéder à une réforme profonde, sinon il sera trop tard. Car l’économie rentière a vécue. Tout le monde en parle mais personne ne veut s’y plonger sérieusement car cela donne des frissons : l’après pétrole. La fin des exportations algériennes de pétrole est pour demain et dès aujourd’hui l’Algérie importe du gasoil. A quand la chute de la rente pétrolière et comment allons-nous vivre ou survivre ? Quelles ressources de devises trouver pour que l’Algérie puisse équilibrer sa balance commerciale ? Ces questions d’actualité sont éludées dans les débats et programmes politiques et personnellement je ne peux cacher ma grande inquiétude pour notre pays si nous n’entreprenons pas immédiatement des réformes structurelles menées à pas soutenus. Nous devons procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation et dresser le cas échéant un constat d’échec pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale tels: Education-formation, Santé, Stratégie industrielle, Modernisation de l’agriculture, Culture financière des acteurs économiques, Efficacité de l’administration, Relance et croissance des entreprises, Réduction des déséquilibres régionaux et inégalités sociales, Education civique et Politique de la jeunesse et tant d’autres domaines…
2.- Le PPP (Partenariat Privé-Public)
Il est éminemment salutaire pour l’Algérie de s’agripper à une véritable politique industrielle intégrée visant à accroître ses capacités de production, promouvoir des produits algériens de qualité, fabriqués par notre industrie et commercialisés à l'intérieur et à l'extérieur du pays, réduisant progressivement les déséquilibres de notre économie. Si cela est simple à énoncer, il en est tout autre quant aux choix judicieux à opérer pour virer de bord. La place de l’Etat est toujours centrale dans cette phase sensible de transition et
· l’Etat seul: Plus jamais.· Le privé seul: Pas encore prêt, ni assez organisé.· LePartenariat PublicPrivé(PPP) : Une voie intéressante à suivre.
Plusieurs pays, y compris les plus développés, ont pratiqué dans leur processus d’industrialisation le PPP, en période d’après guerre ou lors de redressements ou changements politiques critiques. En Algérie, le PPP s’est déjà exercée n Algérie avec des sociétés étrangères mais très peu avec des sociétés locales. Quelquefois un Partenariat tricéphale serait fortement souhaitable: Entreprise étrangère détentrice de technologie + PME locale + Investisseur institutionnel national. L’intérêt du PPP est qu’il implique l’Etat (Banques nationales ou sociétés nationales d’investissement) dans des branches stratégiques avec à ses côtés des investisseurs locaux. Plusieurs grands projets en Algérie, gagneraient à être développés judicieusement en PPP dans la transparence tout en respectant l’équilibre régional (Sidérurgie, Métallurgie, Mines, Fabrications Mécaniques, Mise en valeur des terres, Grandes cultures industrielles, Gestion & Distribution de l’eau, Gestion des infrastructures, HighTech, Education Supérieure, Industries Pharmaceutiques, Transports Maritimes et Aériens, Chantiers Navals et autres…). Par ailleurs, à l’instar de la RP de Chine, l’Algérie gagnerait aussi à investir en PPP à l’étranger dans des prises de participation de sociétés technologiquement intéressantes en Europe ou aux USA. L’Algérie doit vite s’ouvrir au monde en arrêtant sa stratégie industrielle offensive puis gagner des positions et investir massivement pour s’assurer durablement une présence qui permettra davantage d’opérer des transferts sensibles de savoir-faire. L’isolement de l’Algérie ne sert pas ses intérêts par contre l’ouverture à l’international créerait des passerelles intéressantes et prometteuses. Actuellement, la législation ne permet pas ce type d’opérations d’investissement à l’étranger mais autorise en revanche les importations sans aucune restriction.
3.-La filière mécanique et sidérurgique
L’Algérie importe depuis l’indépendance à ce jour la grande majorité de ses besoins en aciers de construction. Plusieurs projets basés sur la valorisation du gaz naturel (réduction directe du minerais riche en fer) n’ont jamais vu le jour pour diverses raisons. A-t-on oublié que le charbon (énergie) et l’acier ont toujours été le moteur du développement industriel des pays avancés? Les importantes réserves de minerais de fer de Tindouf doivent apporter aujourd’hui une solution à l’essor d’une sidérurgie algérienne intégrée d’autant que les cours internationaux du minerais et l’acier le permettent. Cependant il est important d’y associer dans ce grand projet des sociétés étrangères spécialisées dans l’engineering sidérurgique pour assurer un apport substantiel de technologie. L’Algérie, pays émergeant, aurait dû être depuis longtemps un pays exportateur de minerais de fer enrichi (pulvérisé ou en pellets) et produire suffisamment d’acier pour ses besoins 2-3 millions de tonnes de ronds à béton et fers marchands. Plusieurs schémas existent déjà ; il suffirait de les actualiser et de proposer la meilleure stratégie: soit concentrer l’enrichissement par voie sèche du minerais de Gara Djebilet et le transporter au nord par train minéralier (zone oranaise pour le transformer en pellets). Enfin, par un terminal minéralier l’exporter. Une partie de ces pellets pourrait être transformée en éponge de fer (Deux millions de tonnes) et traitées dans les futures aciéries de Jijel pour fabriquer des billettes d’acier laminées sur place ou dans différents laminoirs de 500.000T/an du pays (Centre, Est et Ouest) La secteur mécanique a connu un spectaculaire développement dans les années 70 puis à partir de la fin des années 80, a sombré dans la récession programmée par les lobbies des importateurs des camions et engins de tous pays (Europe et RP de Chine en particulier) au détriment de la SNVI, ENMTP, ENMA et autres. Aussi important que l’énergie et l’acier le secteur de la mécanique doit renaitre avec de nouvelles données. Ces dernières années, un début de stratégie a été engagée par l’état comme ‘’une réparation au secteur’’ (partenariat stratégique avec de grands constructeurs) mais reste encore à l’affiner et à le renforcer. L’inde et la RP de Chine sont d’excellents modèles de réussite en la matière.
4.-la filière agro-industrie
Le développement d’une nation est de fait horizontal et ses disparités régionales doivent être limitées. Pour mon pays, je mettrais l’accent sur l’agriculture qui soufre d’un archaïsme déroutant. Il ne s’agit plus d’injecter des subventions et soutenir les prix de certains produits jugés stratégiques. C’est du saupoudrage qui ne mène pas loin. La réalité est toute autre. Pour comprendre les enjeux de l’agro-business, il est utile d’analyser la politique agricole de l’Inde, le Brésil, la Chine, l’Argentine, le Vietnam et les USA qui ont depuis toujours placé la production agricole au centre de leur développement économique. Depuis la réforme agraire des années 60 à ce jour nous cherchons à développer notre agriculture, mais en fait, l’Algérie a toujours été un grand importateur de denrées (commodities) et en particulier de grains. Notre sécurité alimentaire a été à plusieurs reprises menacée surtout lorsque nos capacités financières étaient réduites. En d’autres mots, le contexte algérien hydro-agricole a bien changé en 30 années, toutes les données doivent être actualisées et la stratégie agricole et agro-industrielle, sur ces nouvelles bases, repensée. Les principales pistes à suivre sont notamment:
-Irrigation des hauts plateaux à partir des barrages : la mobilisation d’importantes ressources hydriques contenues dans les nouveaux barrages permettent d’envisager le développement de cultures industrielles à une large échelle (La culture d’oléagineux (soja et/ou tournesol), de vergers d’oliviers, de betteraves à sucre et autres)
-Irrigation et transfert d’eau à partir des nappes albiennes : l’agriculture saharienne permet de produire plusieurs récoltes annuelles et hors saison à partir de pompage albien. Des essais très concluants ont été effectués par Sonatrach en 1990.
-Irrigation & Développement des cultures industrielles : à l’instar de l’Espagne, l’Algérie pourrait atteindre un niveau appréciable de production d’huile d’olive, de même que les concentrés de fruits (abricots notamment) à l’instar de l’Egypte.
5.-La filière BTPH matériaux de construction
Le BTPH nécessite la production de matériaux de construction notamment le ciment. Des efforts sont constatés ces dernières années pour atteindre une auto suffisance. Ce qui devrait accompagner l’augmentation de production de matériaux de construction, c’est une plus grande disponibilité des agrégats et une refonte des systèmes constructifs. En effet nous n’investissons pas assez dans l’engineering de la construction pour construire plus vite, moins cher et mieux adapté. Un grand retard est à rattraper avec une forte implication de l’état (éducation, règlementation& normes, règles d’urbanisme…). Par ailleurs une modernisation de l’administration est une action urgente. Toutes les administrations de l’Etat souffrent d’un manque crucial de moyens humains et matériels. L’état investit des milliards d’euros dans les infrastructures mais très peu dans les structures administratives. Que se soit les Directions centrales, les directions de Wilaya, les agences, il y a trop d’insuffisances qui se répercutent sur les délais, la qualité des analyses, le suivi des travaux des projets. Nous estimons à 15-20% les pertes sur les budgets d’investissement dans les infrastructures relatives aux retards, sous qualification, disfonctionnements et la bureaucratie. Du fait de ces causes plusieurs dizaines de milliards de dinars partent ainsi en fumée.
6.-la filière éducation-formation-qualification
Ce paragraphe aurait dû être inscrit en tête du fait qu’il joue un rôle majeur dans tous les secteurs de l’économie et devient dans plusieurs pays avancés un facteur décisif de compétitivité et donc de survie et a été traité par d’autres experts dans cette présente audit.. L’Algérie a certes investi massivement dans les infrastructures de formation et qualification. Nul ne peut nier le nombre respectable à l’échelle du pays et du continent d’établissements scolaires, universitaires, de centre de formation professionnels et autres établissements. Cependant, comme bon nombre de pays émergeants l’action volontariste d’édification de bâtiments dédiés à l’éducation-formation-qualification ne suffit pas à elle seule quand bien même l’accès est souvent gratuit. Comment ces pays nouvellement développés tels la Corée du Sud, la RP de Chine, l’Inde et le Brésil qui dans les année 1970 étaient à la traîne des puissances occidentales et du Japon sont-ils devenus si puissants? Ayant visité et analysé ces pays lors de missions de l’ONUDI, je me suis forgé ma propre opinion et ainsi je crois comprendre pourquoi en Algérie nous piétinons ou n’avançons que très lentement voire dans certain cas régressons.
Premier constat, ces pays n’ont pas de grandes ressources énergétiques ou plutôt de rente pétrolière substantielle. Ces pays font face à des demandes sociales énormes compte tenu du niveau de vie moyen, de pauvreté, de crise de logement, forte émigration vers les grands villes à cause des grandes disparités régionales et autres maux sociaux comparables sous certains aspects à la situation algérienne.
Deuxième constat, les citoyens de ces pays sont très patriotes et s’ils s’exilent à l’étranger c’est pour mieux réussir professionnellement et gardent en tête un retour au pays d’origine avec plus de moyens et de connaissances pour y développer souvent des activités innovatrices.
Troisième constat, les citoyens de ces pays même s’ils ne s’intègrent pas bien dans les pays oú ils émigrent, ils travaillent en bonne intelligence avec leur communauté locale et d’origine pour créer des synergies mutuellement profitables. A l’étranger, ces ressortissants sont extrêmement importants quant aux transferts de savoir-faire et technologie très souvent aidés par leurs pays d’origine.
Pour être incisif et concis je dirai en substance que contrairement à ces pays ce qui fait cruellement défaut dans l’expérience algérienne c’est :-la notion d’ordre de mérite ; la liberté d’entreprendre avec un état omniprésent dans la vie économique ; la qualification ; le transfert du savoir-faire et le le retard injustifié dans l’utilisation des techniques modernes. Concernant la la notion d’ordre de mérite, ces valeurs autrefois authentiques, qui se sont effritées avec un système politique inapproprié, devront être reconquises par une refonte du système éducatif à compter des classes maternelles et la démocratisation de notre société trahie maintes fois par nos politiques. Deuxièmement aucun changement ne viendra avec un état omniprésent dans la vie économique et sans une modification radicale du mode de gouvernance qui a traversé successivement cinq décennies, d’un système qui paralyse l’initiative et qui reproduit inéluctablement les mêmes schémas. La qualification doit s’effectué du sommet à la base de la société et de manière itérative à tout moment de la vie. Un individu qualifié ne le demeure que temporairement. La qualification s’acquière par des efforts continus, du travail, des connaissances et une pratique qui se transmet par des techniques spécifiques et rigides. Quant au transfert du savoir-faire, si l’on prend le cas de la santé, dans les années 70 nous avions une avance considérable sur nos pays voisins voire ceux du continent. La médecine s’exporte très bien et les produits pharmaceutiques sont un des enjeux de domination et souveraineté des nations. L’Algérie aurait du être aujourd’hui un grand pays exportateur de produits pharmaceutiques et accueillir dans nos hôpitaux les patients étrangers qui ne peuvent se payer les services hospitaliers européens. Aujourd’hui, j’observe avec tristesse, notre dépendance accrue en matière de soins chirurgicaux et produits pharmaceutiques. L’enjeu des transferts du savoir faire n’est plus à démontrer mais pour le conserver, il est nécessaire d’accorder une grande importance aux hommes et femmes qui le véhiculent: Rien n’est définitivement acquis en la matière. La communauté d’origine algérienne vivant à l’étranger constitue un précieux gisement de savoir-faire que l’Algérie n’utilise que très peu. L’Inde, la RP de Chine, la Turquie notamment ont voté des lois pour favoriser le retour partiel ou total des non-résidants et ont vite compris l’importance de leurs apports. Dans les années 80, ces trois derniers pays offraient à leurs citoyens non résidants des soutiens financiers sans pareil pour séduire ces entrepreneurs venus en particulier d’Allemagne, UK et USA et maitrisant un savoir-faire. Ou se placent-ils aujourd’hui ces pays dans le classement de la BIRD ?
7.- Les ratages et les retards injustifiés dans l’utilisation des techniques modernes
L’industrie chimique et gazière algérienne a raté le grand virage des années 80, pour se restreindre simplement à l’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe et des USA. La chimie du gaz judicieusement déployée aurait donné à l’Algérie une place dominante dans le monde par l’exportation d’une multitude de produits chimiques à très hautes valeurs ajoutées. Les monarchies du golfe, elles l’ont vite compris et mise en application. Par ailleurs, la maîtrise du cycle et de la fabrication des intrants dans les processus de production d’énergie solaire ont pris un retard considérable. Démarré dans les années 1980, notre position aujourd’hui est loin d’être en pointe. L’Etat malgré des déclarations épisodiques d’intérêt à ce créneau énergétique n’a pas connu un développement important. Ces dernières années il semble qu’un regain d’intérêt soit de nouveau amorcé par certain projets, semblables à ceux inscrits et approuvés pourtant en 1980. Pour les systèmes de télécommunications, il y a eu plusieurs erreurs d’appréciation et qui ont coûté cher à l’Algérie. En RP de Chine au début des années 2000, les provinces (Wilaya) ont généralisé l’utilisation d’internet et l’ont mis à la porté de tous par une politique de bas prix. Une connection = un Client = un fournisseur = des services = des emplois . Dans la plupart des villes, tous les fournisseurs, artisans, fabricants, prestataires sont répertoriés, classés avec des sites de présentation et donc il est possible de trouver immédiatement un prestataire ou fournisseur et ainsi le marché des services est très performant. La téléphonie mobile aussi a été généralisée et à prix réduits. Pour l’Etat chinois les véritables profits tirés des TIC sont les retombées économiques (marché performant des services et création d’emplois) et non les seuls revenus des compagnies (providers et société de télécom). En Algérie, involontairement peut être, nous avons fait pratiquement l’inverse.
En résumé, nous devons impérativement recomposer nos valeurs et nos principes pour reconstruire autour une société algérienne moderne et ouverte à la culture et au développement économique, technique et social.
(*) Lies GOUMIRI est docteur d’Etat ès-sciences de l’Institut National Polytechnique de Grenoble (France) et diplômé de Sciences Po Paris. Il a occupé d’importants postes dans l’administration centrale, CEO dans plusieurs entreprises publiques et privées et institutions internationales. Il a été associé à plusieurs missions de l’ONUDI et enfin consultant pour divers organismes et sociétés étrangères asiatiques.