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Évocation : Youcef Sebti, le poète assassiné

27-10-2016 14:25  Amine Bouali

J'ai rencontré une seule fois dans ma vie le regretté Youcef Sebti, lors d'un festival de poésie organisé durant l'été 1985, à Ain Turck, près d'Oran, où un ami journaliste m'avait convié.

 Je connaissais le poète de renom, à travers son recueil de poésie, "L'enfer et la folie", édité en 1981 à l'ex-maison d'édition Sned, et aussi en lisant les chroniques austères qu'il publiait dans l'hebdomadaire "Révolution Africaine".                                                       

Professeur de sociologie rurale à l'Institut  national d'agronomie, l'homme était d'aspect chétif, une étoile solitaire, sobre comme un moine bouddhiste, rare comme un poème de Djalal-Eddine Rumi. Dans la grande salle de la Maison des jeunes d'Ain Turck qui venait d'être repeinte pour l'occasion, Youcef Sebti prononça l'allocution de la cérémonie d'ouverture de la réunion culturelle dans un arabe d'orfèvre, une langue qu'il maîtrisait aussi bien que le français, sous l'œil indiscret des officiels et des cameramen de la télévision !

Parlant d'une voix basse, presque inaudible, le poète était vêtu d'une vieille gandoura blanche qui lui donnait un petit air de paysan du temps de la Révolution agraire ! Durant les deux journées de la manifestation, Youcef Sebti n'arrêtait pas de prendre des notes dans un cahier qu'il rangeait ensuite dans un cartable deux fois plus gros que lui ! Il animait alors avec feu Tahar Ouattar la prestigieuse revue de l'association culturelle "El Djahidyya".

A cette époque, le gouvernement avait décidé d'arabiser le nom des villes et cette initiative n'étaient pas du goût des jeunes poètes kabyles présents à Ain Turck, qui en parlaient avec passion, pendant les repas pris en commun dans un restaurant de la coquette station balnéaire.`

Plusieurs fois par jour, Youcef Sebti s'asseyait devant une fenêtre qui donnait sur la mer et plongeait dans son exemplaire de l'édition de la Pléiade de l'œuvre complète du philosophe indien Rabindranhat Tagore.  Le deuxième soir, il fut invité à dîner à Oran par des auteurs -apparatchiks  de la section locale de l'Union des écrivains algériens et, à son retour, il ne put cacher sur son visage émacié, un éclatant sourire malicieux.

Je me dis aujourd'hui que cet homme, ce poète, à la fois serein et tourmenté, a vécu de presque rien, qu'il s'est réservé les miettes, que sa nourriture était de nature céleste, que la lumière était son pain quotidien !

Durant la nuit du 27 au 28 décembre 1993, huit ans presque après cette rencontre de Ain Turck, des monstres décidés à répandre "le bien" sur terre, se sont introduits dans son minuscule logement de fonction de l'Institut national d'agronomie à El Harrach, et l'ont lardé de coups de couteau, blasphémant en invoquant plusieurs fois le Nom sacré de Dieu !
Youcef Sebti n'avait pas 50 ans.


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