Hadj Omar approche aujourd'hui les 85 ans. Bon pied bon œil, malgré quelques problèmes de santé qui sont dus à son âge avancé, il traverse plusieurs fois par jour la grande place de la ville et les ruelles alentours, des fois pour se promener, des fois pour vaquer à ses maigres occupations.
Le vieil homme marche d'un pas paisible, indifférent aux bruits et aux rumeurs de son temps, cédant volontiers le passage à ceux qui, pressés d'aller nulle part, le bousculent tout en s'excusant ! Lui sait, depuis toujours, que personne dans la vie ne vole impunément la place d'un autre et que le sage sait attendre patiemment son tour.
Jadis, dans une autre vie, il exerçait le métier de barbier au quartier El-Madress et, comme beaucoup d'artisans de son époque, il avait son jardin secret qu'il cultivait avec passion: l'irrésistible soif d'apprendre! Dans son petit salon de coiffeur, il a occupé finalement son temps plus à lire le Coran qu'a manier le peigne et les ciseaux.
D'où vient cet appel intérieur mystérieux qui pousse un homme, d'apparence ordinaire, à presque tout sacrifier pour aller chercher sa voie hors des sentiers battus ? Hadj Omar parle peu de ce qu'il a appris dans les livres et dans la vie. Ceux qui le connaissent témoignent de sa grande érudition littéraire et religieuse et envient sa belle bibliothèque qu'il a enrichie au fil des besoins et des découvertes.
A la Grande Mosquée, il a, avec le temps, choisi la place qui lui convenait, adossé à un pilier, au fond de l'allée centrale, loin des regards et des postures ! Je me dis parfois que cet homme, à force d'endurance et de méditation, s'est constitué, au plus profond de lui-même, un socle plus solide que l'acier et plus précieux que l'or !
Hadj Omar a perdu la mère de ses enfants, il y a une quinzaine d'années et peut-être qu'aujourd'hui, il ne se sent chez lui que dans ses souvenirs. Mais quand le Seigneur reprend ce qu'Il nous a donné, Il ne nous appauvrit pas pour autant !