Propos recueillis par Amine Bouali
Le Docteur Mahmoud Boudarène est psychiatre. Il a publié plusieurs livres dont «L'action politique en Algérie, un bilan, une expérience et le regard du psychiatre» en 2012, aux éditions Odyssée de Tizi Ouzou et « violence sociale en Algérie, comprendre son émergence et sa progression », septembre 2017, éditions Koukou.
Il a été député du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) de 2007 à 2012. Nous lui avons posé deux questions sur les manifestations qui enflamment actuellement la rue algérienne.
Algérie1 : Dr Mahmoud Boudarene, depuis une dizaine de jours, des centaines de milliers d’Algériens sont descendus pacifiquement dans la rue pour dire non à un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Ces manifestations vous ont-elles surpris ?
Dr Mahmoud Boudarène : Des centaines de milliers - des millions je dirais - d’algériens sont descendus dans la rue pour dire non au système politique qui a pris le pays en otage depuis son indépendance à ce jour. Il faut le souligner, le cinquième mandat n’est que la goutte qui a fait déborder le vase. Pourquoi? Parce que si le système politique qui a colonisé les espérances des algériens depuis plus d’un demi siècle maintenant est honni, le clan qui a squatté la République depuis 20 ans est, lui, vomi par la population. Ce cinquième mandat était de trop et les personnes qui ont porté ce projet ont fait preuve d’une telle arrogance et d’un tel mépris vis-à-vis du peuple que ce dernier ne pouvait pas ne pas se sentir davantage humilié.
Les propos que les uns et les autres - premier ministre, chef du FLN ou de l’UGTA et autre FCE, ou encore le directeur de campagne de Bouteflika - ont tenu, ont fini par susciter le sursaut de dignité salvateur chez les algériens. Ce qui est arrivé ne pouvait pas ne pas arriver, la coupe du déshonneur était trop pleine. Non seulement ils ont confisqué la décision politique et organisé un pillage en règle du pays mais ils ont en plus fait obstacle au développement de son économie et mis en danger l’avenir de l’Algérie. Pour faire passer la pilule, ils nous tiennent tantôt un discours hagiographique dans lequel le candidat au cinquième mandat doit nécessairement poursuivre sa mission prophétique, tantôt ils usent de menace et de chantage en exhibant l’épouvantail d’hypothétiques ennemis intérieurs et extérieurs qui mettraient en danger la stabilité de la nation. Le chaos, le scénario syrien…
Eux seuls aiment l’Algérie et sont de vrais patriotes, ceux qui contestent leur pouvoir sont nécessairement des traitres à la patrie. Une rhétorique bien rodée et répétée en écho par tous les laudateurs d’un candidat usé par la maladie et par l’exercice du pouvoir. Le clan au pouvoir depuis 20 ans a non seulement délabré les institutions de la République mais il a en plus - du fait de la corruption qui a gangréné la vie politique et économique nationale - réduit à néant le peu de moralité qui auraient pu leur conférer un semblant de crédibilité. Par sa faute, la vie politique nationale est devenue un piètre vaudeville joué par de pitoyables comédiens. Toute cette agitation et ces manipulations autour de la poursuite de la mission (divine) donne de l’Algérie l’image d’un cirque en proie à un désordre innommable. Avec ce cinquième mandat et un candidat dans un tel état, ce clan traine le pays dans la boue et fait de l’Algérie la risée du monde. Il met son honneur à terre, il viole les consciences et humilie tout le peuple algérien. C’est trop. Non ces manifestations ne m’ont pas surpris, je les ai personnellement appelées de tous mes voeux.
Algérie1 : En tant qu’intellectuel praticien et observateur de la scène politique nationale, que pensez-vous qu’il va se passer dans les jours ou semaines à venir ?
Dr Mahmoud Boudarène : Vous me demandez d’anticiper la suite des événements. Je crois que le scenario est unique. Le peuple a dit son mot et son message est clair. Il ne veut pas de ce cinquième mandat et demande avec insistance le départ du système politique en place. Tout dépendra donc de l’attitude qu’observeront les intéressés. Nous le saurons demain, 03 mars, dernier jour pour le dépôt des candidatures. Si le pouvoir s’obstine à présenter la candidature du chef de l’Etat, il voudra dire qu’il n’a pas entendu la rue ou qu’il l’ignore, et qu’il s’obstine à vouloir durer. Le peuple ne laissera pas faire, il l’a répété avec force, alors nous serons face à l’inconnu. Chacun prendra ses responsabilités.
Personnellement, j’espère que la candidature de Bouteflika sera retirée. Cela permettra d’apaiser le climat de tension actuel et fera faire au pays la pause indispensable pour envisager la suite des événements avec calme et sérénité. Les aspects techniques à mettre en place pour gérer les choses sont de mon point de vue un détail, la constitution actuelle pour imparfaite qu’elle soit servira de canevas de base. L’essentiel étant que le système politique libère le pays de son étreinte et qu’il restitue l’initiative de son destin au peuple, en particulier aux jeunes, afin que ceux-ci aient une emprise sur la décision politique et qu’ils puissent enfin projeter leur avenir.
Le système politique qui a présidé au destin de l’Algérie depuis son indépendance a mené le pays à l’impasse politique et économique mais a surtout plongé l’Algérie dans une crise de valeurs sans précédent. Il a pollué l’action civique et politique et a fait de la corruption des esprits le seul critère pour accéder à la responsabilité. C’est essentiellement cela qui a conduit les jeunes au désespoir et qui les fait - qu’ils soient qualifiés et diplômés ou non - s’évader de notre pays. C’est cette situation, incarnée par le système en place, qui est violemment rejetée par le peuple algérien.