Le samedi 9 janvier 2021, en réponse à une question du président du tribunal criminel d’appel près la Cour d’Alger sur l’origine des fonds placés dans deux (2) comptes bancaires et un (1) Compte Courant Postal (CCP), l’accusé et ex-Premier ministre Ahmed OUYAHIA a répondu qu’il a reçu, en sa qualité de Premier ministre en exercice, des lingots d’or d’émirs du Moyen-Orient et qu’il avait fait vendre au marché noir pour la somme de trente-cinq (35) milliards de centimes. C’est ce montant, a-t-il précisé, qui a été placé dans ses trois (3) comptes.
Cette réponse, censée démontrer que l’accusé n’est pas un corrompu et que le montant trouvé dans ses trois comptes bancaires n’est pas le fruit de la corruption ; dévoile une face hideuse et exécrable de l’exercice du pouvoir dans notre pays.
En effet, une telle réponse exprime une appréciation erronée de la réalité et une représentation de l’acte accompli, qui est en soi une violation de la législation et de la réglementation régissant tant le domaine de l’importation que celui de l’achat et de la vente des métaux précieux, notamment des lingots d’or ; comme étant une action anodine qui relève de la sphère privée et ne constitue nullement un acte répréhensible, un acte déviant.
Ceci traduit le sentiment d’impunité du puissant du moment qui est enivré par le pouvoir. Aucune loi, aucun règlement ne peut lui être opposé. C’est lui la personnification de la loi, du règlement. Le puissant du moment en Algérie est devenu une norme qui est au-dessus de la Constitution, de la loi.
Sans le Hirak, sans cette sortie grandiose et pacifique du vaillant peuple algérien, des algériennes et des algériens, aucun des responsables actuellement condamnés ou ceux qui sont poursuivis pour différentes infractions n’aurait été inquiété et aurait continué à profiter, en toute impunité et d’une manière ostentatoire, du produit de ses actions frauduleuses et punissables par les textes répressifs prévus en matière pénale.
Aussi, cette question de lingots d’or n’aurait jamais été connue par l’opinion nationale, si l’accusé Ahmed OUYAHIA n’avait cru bon de faire état pour assurer sa défense et éviter l’opprobre de la corruption. Ayant voulu éviter Charybde, il est tombé en Scylla.
Par ailleurs, un constat amer s’impose. C’est celui de la véritable carence des services de sécurité. Ont-ils manqué de vigilance ? Ont-ils couvert de telles actions -la politique de l’autruche- ? Ont-ils informés leur hiérarchie ? Ont-ils bénéficié eux aussi des largesses des émirs du Golfe ?...etc. Autant de questions qui restent et resteront sans réponse.
En outre et c’est le paradoxe dans notre pays, un Premier ministre reçoit en cadeau des lingots d’or, il essaie de les vendre à la banque d’Algérie[1]. Devant le refus policé de cette haute institution bancaire, il vend « ses » lingots d’or » au marché noir, avec la conscience tranquille et place le montant de cette transaction, soit uniquement la modique somme de trente-cinq (35) milliards de centimes, une bagatelle, dans trois comptes. C’est la preuve absolue que certains hauts cadres de l’Etat vivent dans un monde à part, en vase clos, dans une enceinte dite Club des Pins, où de tels comportements déviants sont la règle. On est les puissants du moment, pourquoi ne pas en profiter, c’est nous l’administration, la haute administration, c’est nous les services de sécurité, c’est nous la justice, c’est nous l’Etat. Qui osera nous demander des comptes, du moment qu’on est entre nous.
Cette situation inqualifiable dénote d’un mépris total de la législation et de la règlementation et met en lumière l’avidité sans limites d’un Premier ministre, qui se présentait comme étant un commis de l’Etat, un serviteur de l’Etat et de ses concitoyens.
Comment un Premier ministre en exercice et le gouverneur de la Banque d’Algérie[2]puissent ignorer la loi 82-14 du 30 décembre 1982[3], notamment ses articles 168, 169 et, ainsi que le décret 83-342 du 21 mai 1983[4], même, il faut le concéder, si ces deux (2) textes législatif et règlementaire ont omis de traiter des cadeaux offerts par des délégations étrangères et reçus sur le territoire national.
En deuxième lieu, l’importation, la vente et l’achat de l’or est règlementé. Et, le Premier ministre, en agissant de la sorte, s’est rendu coupable d’une infraction douanière et d’une infraction commerciale, en plus de la suspicion fort légitime de corruption.
En outre, les cadeaux reçus par les membres ou certains membres de délégations en visite dans des pays étrangers sont généralement considérés, peut être existent-ils des exceptions, mais le doute est permis ; comme étant une propriété privée, personnelle et ne sont nullement déclarés aux Douanes ou au ministre en charge des finances.
Dans le cadre des lingots d’or offerts par les émirs du Golfe qui viennent pratiquer la chasse dans notre pays sur invitation ou accord de la Présidence de la République, quelles sont les autres autorités qui ont reçu un tel cadeau. Ces émirs sont habitués à « arroser » tout le monde. La palette des cadeaux est comprise entre les lingots d’or jusqu’à l’enveloppe garnie d’une somme d’argent en dollars US qui varie en fonction des responsabilités occupées.
De même, les membres des délégations en visite dans certains Etats arabes, notamment les monarchies du Golfe, reçoivent des cadeaux de très grande valeur, notamment des bijoux (parures pour femmes), des montres de grande marque, des véhicules de luxe, des enveloppes contenant des milliers de dollars US, des stylos en or, et même des « home cinéma » ; sans que ces cadres de l’Etat se sentent obligés de les déclarer à une quelconque autorité, encore plus de les remettre à l’Etat.
Ces cadeaux deviennent immédiatement, dés leur réception directe ou indirecte, une propriété privée et entrent dans le patrimoine de ces cadres « intègres » et « sans reproches ».
Une autre question mérite d’être posée et le peuple algérien est en droit d’exiger une réponse. Où sont passés les différents cadeaux offerts au Président de la République déchu, Abdelaziz BOUTEFLIKA ? Sont-ils toujours déposés à la Présidence de la République ou dans un autre lieu sûr? Existe-t-il un inventaire précis de ces cadeaux et par qui il est détenu ? Ont-ils été « exfiltrés » de la Présidence de la République vers une destination inconnue ? Là, il s’agit de cadeaux de très grande valeur et qui appartiennent à l’Etat et non au citoyen Abdelaziz BOUTEFLIKA ou à sa famille.
Il est utile de souligner, encore une fois de plus, que l’acceptation par nos cadres de tels cadeaux gardés par devers soi constitue une forme de corruption passive. En effet, un cadre de l’Etat qui reçoit un cadeau d’une telle valeur et qui va changer complètement sa vie et celle de sa famille, ne pourrait aucunement s’opposer ou même faire valoir un avis différent, dans des discussions bilatérales avec le pays « corrupteur ». Il est devenu par l’acceptation et la privatisation du cadeau reçu, l’obligé de cet Etat. Il est entré et fait partie du réseau de lobbying dudit Etat qui s’infiltre, ainsi, dans les rouages de notre pays pour la défense et l’assise de ses propres intérêts.
Ainsi, où sont passés les valeurs de la déclaration du 1ernovembre ? Où est le patriotisme ? Où est la fidélité à son pays ? Où est cette Algérie terre de fierté et de dignité ? Où est la fidélité aux Chouhadas, au sacrifice des meilleurs enfants du peuple algérien ? Où est la volonté farouche d’exercice du pouvoir à l’abri de toute pression extérieure ? Où est la consécration de la primauté du droit, dans son acception générale ? Où est le contrôle de l’action des pouvoirs publics ?
Devant l’avidité du gain facile, quelque soit sa provenance, de certains cadres, toutes les valeurs sont piétinés, sans honneur et sans foi.
Enfin et pour clore cette contribution écrite dans une douleur incidente, il est urgent de revoir les articles 168, 169 et 170 de la loi 82-14 du 30 décembre1982 portant loi de finances pour l’année 1983 et le décret présidentiel 20-78 du 29 mars 2020[5]pour mieux cerner cette question des cadeaux et verrouiller toutes les issues, notamment :
-en incriminant la non déclaration et la possession de cadeaux offerts aux cadres de l’Etat, y compris en visite ou en mission à l’étranger ainsi que les cadeaux reçus en Algérie,
-en interdisant la pratique de la remise de cadeaux entre cadres de l’Etat, particulièrement lors des visites dites de travail et d’inspection,
-en excluant les termes « dans le cadre protocolaire », car cela suppose que les cadeaux reçus en dehors de ce cadre protocolaire ne sont pas concernés et sont, en conséquence, la propriété légitime du cadre bénéficiaire,
-en incluant tout cadeau quelque soit sa valeur, aussi minime soit-elle,
-en créant ou en destinant une structure de l’Etat pour être dépositaire de ces cadeaux qui seront exposés au public.
L’Algérie nouvelle, la République nouvelle ne peut être fondée sans une rupture effective, totale et définitive avec les pratiques des années du « règne » de Abdelaziz BOUTEFLIKA et sans une véritable moralisation de la vie publique, qui ne soit pas un simple ravalement de façade, où les passe-droits, les privilèges indus, les attributions exorbitantes, le dépassement outrancier dans l’exercice des missions dévolues, le comportement dédaigneux, les déclarations méprisantes des uns et des autres vont encore perdurer.
Il est inadmissible que l’appréciation mitigée de l’action du gouvernement par le Président de la République « le gouvernement, comme on l’a dit, il y a du bon et du moins bon », soit accompagnée par des rires des plus hauts responsables de l’Etat, y compris le Premier ministre. A ce que l’on sache le Président de la République n’a pas dit une histoire plaisante destinée à amuser.
Il est, aussi, inadmissible que l’action de certains walis soit estimée comme étant en deçà de ce qui est attendu d’eux compte tenu des moyens humains, matériels et financiers mis à leur disposition, sans qu’aucune décision ne soit prise. Le seul résultat du développement socio-économique, du développement durable et de la lutte contre la bureaucratie dans ces wilayas doit compter et non l’amitié et les alliances.
ZERROUK Ahmed, ex-magistrat militaire.
Ref :
[1]Loi 62-144 du 13 décembre 1962 portant création et fixant les statuts de la banque centrale d’Algérie, modifiée et complétée, notamment la loi 90-10 du 14 avril 1990 relative à la monnaie et au crédit.
[2]Article 13 de la loi 90-10 du 14 avril 1990 : « La banque centrale est dénommée, dans ses relations avec les tiers, Banque d’Algérie ».
[3]Loi 82-14 du 30 décembre 1962 portant loi de finances pour 1983.
[4]Décret 83-342 du 21 mai 1983 fixant les modalités d’application des articles 168, 169 et 170 de la loi 82-14 du 30 décembre 1982 portant loi de finances pour 1983 relatifs à l’affectation et à la valeur des présents offerts traditionnellement, dans le cadre protocolaire, aux délégations en mission à l’étranger et aux délégations en mission en Algérie.
[5]Décret présidentiel 20-78 du 4 Chaabane 1441 correspondant au 29 mars 2020 fixant les modalités relatives à l’affectation et à la valeur des présents offerts traditionnellement, dans le cadre protocolaire, aux membres des délégations en mission à l’étranger et aux membres des délégations en mission en Algérie.