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Délimitation de l’espace maritime « marocain » : la nouvelle fuite en avant du Makhzen

19-12-2019 10:15  Salem Bnourachik

Dans sa quête frénétique d’une base prétendument « légale » pour justifier son pillage des richesses du Sahara occidental, le Maroc vient de remettre au gout du jour un nouvel artifice juridique promis, comme ses précédentes manœuvres dilatoires, à un éphémère succès d’estrade. En effet, la Commission des Affaires étrangères et de Défense de la Chambre de représentants du Maroc vient d’adopter à l’unanimité deux textes de loi visant notamment à délimiter la Zone Economique Exclusive (ZEE) au large des côtes du Sahara occidental et à l’incorporer dans l’arsenal juridique marocain. Cette démarche est illégale au regard du droit international et la déclaration unilatérale de cette ZEE « élargie » n’aura aucune valeur pour la simple raison que le Maroc n’est pas l’Etat côtier du territoire du Sahara Occidental, au sens de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Longtemps retardé dans le cadre de la renégociation visant à « adapter » les nouveaux accords agricole et de pêche UE-Maroc avec les arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) excluant le Sahara occidental de leur champ d’application, les deux textes législatifs proposés par le Gouvernement marocain le 7 juillet 2017, portant respectivement sur la fixation des limites des eaux territoriales (loi 37-17) et l’institution d’une Zone Economique Exclusive de 200 milles marins (loi 38-17), devront être soumis prochainement à un vote définitif lors d'une séance plénière de la Chambre des représentants du Maroc.

Ce soudain regain d’intérêt pour cette question n’est pas innocent lorsqu’on sait que le Maroc n’a jamais proclamé de ZEE sur les eaux sahraouies depuis qu’il occupe illégalement le territoire du Sahara occidental, comme l’y oblige l’article 75 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer, ratifiée par ce pays le 31 mai 2007. De plus, les listes des ZEE, établies en interne par le Maroc en 1975 et 1980, ont toujours correspondu à la délimitation des frontières internationalement reconnues entre le Maroc et le Sahara occidental.

Cette nouvelle démarche périlleuse est à inscrire dans le contexte de la position fragile du Maroc et de son partenaire européen face aux recours introduits par le Front Polisario devant la CJUE contre les nouveaux accords UE-Maroc, incluant illégalement le Sahara occidental. L’inconsistance des arguments du colon et de son parrain, était clairement apparue lors d’un colloque sur le « bien-être des habitants des territoires occupés », organisée à Bruxelles le 14 novembre 2019, où le Directeur du service juridique de la Commission européenne, Fernando Castillo de la Torre, s’est enfoncé dans une aporie embarrassée sur l’interprétation faite par le Conseil et la Commission des arrêts rendus par la CJUE, qui n’a pas du tout convaincu l’auditoire de la Société Belge de Droit International.

D’ailleurs, l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE, du 27 février 2018, dans l’affaire dite Western Sahara Campaign UK, rappelle, à juste titre, que « compte tenu du fait que le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc, les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental ne relèvent pas de la zone de pêche marocaine ». Tandis que l’arrêt de la même juridiction européenne, en date du 21 décembre 2016, spécifie que « compte tenu du statut séparé et distinct reconnu au territoire du Sahara occidental, en vertu du principe d’autodétermination, par rapport à celui de tout État, en ce compris le Royaume du Maroc, les termes « territoire du Royaume du Maroc » ne peuvent être interprétés de sorte que le Sahara occidental soit inclus dans le champ d’application territorial de cet accord ». 

Ces deux arrêts de la CJUE ont battu en brèche les différents avis du Service juridique du Conseil de l’UE, dirigé par un espagnol proche du Maroc, y compris celui en date du 4 novembre 2013, selon lequel « en principe, en vertu du droit international et conformément à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, l'État côtier, dans ce cas le Maroc, agissant en tant qu'administrateur de facto du territoire du Sahara occidental, doit se réclamer des coordonnées géographiques de la zone respective (comprendre la mer adjacente au Sahara occidental) afin d'établir une ZEE » et que « rien n'empêche le Maroc d'exploiter les eaux des côtes du Sahara occidental à condition de respecter ses obligations au regard du droit international ». L’arrêt de la CJUE du 27 février 2018 a tranché de manière catégorique et indiscutable cette question en proclamant clairement que le Maroc n’est pas une puissance administrante du territoire « distinct et séparé » du Sahara occidental et que, de surcroit, ce pays « a catégoriquement exclu d’être une puissance occupante ou une puissance administrante du territoire du Sahara occidental ». 

Pour sournoise qu’elle est, cette nouvelle sortie aventureuse du Maroc ne manquera pas de mettre dans la gêne son parrain européen qui sera obligé d’admettre qu’il lui a octroyé, sans base juridique, des droits de pêche sur des eaux qui ne relèvent ni de sa souveraineté, ni de sa juridiction au sens du droit de la mer ;  ces deux projets de lois, dont d’ailleurs le contenu exact est censé être explicité par des textes réglementaires, ravivera le problème de délimitation des frontières maritimes non seulement avec la RASD, mais également avec l’Espagne et la Mauritanie. 

Ce poker menteur marocain révèle au grand jour que la « marocanité » du Sahara occidental est un mythe revendiqué depuis 40 ans mais qu’il est impossible à justifier en droit, s’agissant d’un territoire occupé par la force au sens plénier de la colonisation. Cependant, dès lors que la République Démocratique Arabe Sahraouie (RASD) est membre fondateur de l’Union africaine, et qu’elle a proclamé en 2009 sa propre ZEE, cette dernière est donc opposable à l’ensemble des États du continent africain, y compris au Royaume du Maroc qui n’a émis aucune réserve lors de son adhésion à l’Union africaine. 

Enfin, en attendant la réaction de la Mauritanie (peu probable) sur cette délimitation unilatérale et illégale de l’espace maritime, le forcing du royaume du Maroc sur une question aussi problématique, a déjà suscité de premières réactions indignées en Espagne ou des parlementaires n’ont pas manqué d’interpeller l’exécutif de Pedro Sanchez sur les conséquences de cette action hasardeuse du voisin marocain sur les droits et les intérêts espagnols, notamment au niveau des iles Canaries.



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