Avant de faire état des remarques induites par une étude succincte de la loi 20-05 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine, parue au Journal Officiel 25 du 29 avril 2020, il serait utile de présenter les aspects ci-après :
1-le discours de haine n’est ni défini, ni interdit par le droit international. C’est l’incitation à la haine qui se traduit par des actes de discrimination, d’hostilité ou de violence qui est dangereuse et porte préjudice à la cohésion et à la solidarité de la société qui doit être incriminée.
2-C’est l’appel à la haine qui est une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la haine qui doit être interdit, conformément à l’article 20/2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, qui est interdit par la loi ».
3-L’ONU définit le discours de haine comme « tout type de communication qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite ou de comportement, constituant une atteinte ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire à l’égard d’une personne ou d’un groupe en raison de leur identité, en d’autres termes, de l’appartenance religieuse, de l’origine ethnique, de la nationalité, de la race, de la couleur de peau, de l’ascendance, du genre ou d’autres facteurs constitutifs de l’identité ». (in stratégie et plan d’action des Nations Unies pour la lutte contre le discours de haine/Mai 2019).
4-« les discours de haine portent atteinte à la tolérance, à l’inclusion, à la diversité, et à l’essence des normes et des principes des droits humains. De façon plus générale, ils sapent la cohésion sociale, érodent les valeurs communes, apportent le terreau de la violence et font reculer la cause de la paix, de la stabilité, du développement durable et de la dignité…lutter contre les discours de haine n’équivaut pas à limiter ou interdire la liberté d’expression. Cela signifie plutôt qu’il faut empêcher les discours de haine de se muer en fléaux plus dangereux encore, en particulier les incitations à la discrimination, à l’hostilité et à la violence qui sont interdit par le droit international » (in tribune du SG/ONU intitulé : les discours de haine embrasent le monde/Juin 2019).
5- les principes de Camden sur la liberté d’expression et l’égalité, -élaborés au cours de débats qui ont rassemblé de hauts représentants des Nations Unies et d’autres représentants officiels, des universitaires et des experts de la société civile spécialisés dans la législation internationale sur la liberté d’expression et l’égalité. Ces débats ont eu lieu à Londres le 11/12/2008 et les 23-24/02/2009- ; ont défini les termes « haine » et « hostilité » ainsi que « appel » et « incitation » :
les termes « haine » et « hostilité » se référent à des manifestations intenses et irrationnelles d’opprobre, d’hostilité ou de détestation envers le groupe visé.
Le terme « appel » sous-entend qu’il y a intention de promouvoir la haine publiquement envers le groupe visé.
Le terme « incitation » se réfère à des déclarations sur des groupes nationaux, raciaux ou religieux qui créent un risque imminent de discrimination, d’hostilité ou de violence envers des personnes appartenant à ces groupes.
6- les principes de Camden recommandent aux Etats d’ « imposer des obligations aux représentants publics à tous les niveaux, y compris des ministres afin d’éviter autant que possible de faire des déclarations encourageant la discrimination ou remettant en cause l’égalité et la compréhension interculturelle. Pour les fonctionnaires, cela doit se traduire par des règles de conduite officielles ou une réglementation de l’emploi ».
7- le Plan d’action de Rabat sur l’interdiction de tout appel à la haine nationale, raciale, ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence /octobre 2012, recommande d’ « établir clairement une distinction entre trois sortes d’expression de l’incitation à la haine : l’expression qui constitue une infraction pénale, l’expression qui n’entraine pas de sanction pénale, mais peut justifier une procédure civile ou des sanctions administratives et l’expression qui ne donne pas suite à des sanctions pénales, civiles ou administratives, mais pose néanmoins des problèmes en matière de tolérance, de civilité et du respect des droits d’autrui ».
8- pour les magistrats qui auront à traiter de l’incrimination d’incitation à la haine, le Plan d’action de Rabat prévoit, dans son paragraphe 29 relatif à la jurisprudence, de prendre en compte six (6) étapes pour l’incrimination à l’incitation à la haine : le contexte, l’orateur, l’objet, le contenu ou la forme, l’ampleur du discours et la probabilité, y compris l’imminence. Ces étapes sont détaillées dans ledit paragraphe suscité.
9- dans ses recommandations, le Plan d’action de Rabat prévoit dans son paragraphe 45 que : « les Etats devraient augmenter la capacité de formation et de sensibilisation des forces de sécurité et des forces de l’ordre et des personnes ayant un rôle dans l’application de la justice, autour des questions concernant l’interdiction de l’incitation à la haine ».
10- dans ses recommandations pour les autres acteurs, le Plan d’action de Rabat estime, dans son paragraphe 57, que : « les partis politiques devraient adopter et appliquer les directives éthiques relatives à la conduite de leurs représentants, en particulier par rapport aux allocutions publiques ».
11- s’agissant de la responsabilité des médias, les principes de Camden estiment que tous les médias, en tant que responsables moraux et sociaux doivent jouer un rôle dans la lutte contre l’incitation à la haine, et en conséquence la discrimination. De même, les medias doivent « demeurer vigilants sur les dangers de la discrimination ou stéréotypes négatifs envers les individus et les groupes véhiculés par les médias ».
12- « la liberté d’opinion et d’expression est sacrée » et « il ne faut jamais confondre la lutte contre le discours de haine avec la répression de cette liberté. Lutter contre les discours haineux ne signifie pas limiter ou interdire la liberté d’opinion et d’expression ». (HCDH/ entretien avec le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide Adama Dieng au sujet des discours haineux).
Ceci étant présenté, voici les principales remarques sur la loi du 28/04/2020 relative à la prévention et la lutte contre la discrimination et les discours de haine :
a- l’intitulé de cette loi est inapproprié. En effet, c’est le discours de haine, autrement dit l’incitation à la haine qui conduit à des actes de discrimination et de violence envers l’autre.
b- la discrimination en elle-même, est prise en charge par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, ratifiée par l’Algérie suivant l’ordonnance 66-348 du 15/12/1966 (Journal Officiel 110 du 30/12/1966).
c-la loi 14-01 du 04/02/2014 modifiant et complétant l’ordonnance 66-156 du 08/06/1966 portant Code pénal a introduit les articles 295 bis 1, 295 bis 2 et 295 bis 3. (Journal Officiel 7 du 16/02/2014).
L’article 295 bis 1/premier alinéa définit la discrimination et reprend, in extenso, la définition adoptée par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dans son article premier/1er paragraphe, avec quelques modifications : l’ajout (ou le handicap) et la substitution du verbe « détruire » dans la convention par le verbe « entraver » dans cette loi.
d- dans son alinéa 2, l’article 295 bis 1 du Code pénal incrimine le discours de haine, et utilise la terminologie exacte, c'est-à-dire l’incitation « incite à la haine », en ajoutant « ou à la discrimination ».
e- l’article 295 bis 2 a trait à la responsabilité pénale de la personne morale et prévoit une peine d’amende, sans préjudices des peines applicables à ses dirigeants.
f- l’article 295 bis 3 énumère les cas, au nombre de quatre (4), des distinctions ou exclusions auxquelles ne s’appliquent pas les dispositions des articles 295 bis 1 et 295 bis 2, conformément aux dispositions de l’article premier/paragraphe 2 de la Convention suscitée.
g- le législateur a fait une approche erronée, de mon point de vue, du sujet en associant le discours de haine et la discrimination.
h-l’incrimination de la discrimination prévue par l’article 295 bis 1 du Code pénal n’a posé aucun problème majeur, au niveau international.
Le Comité des droits de l’homme a examiné le 4ème rapport périodique de l’Algérie lors de ses 3494ème et 3495ème séances qui se sont déroulées les 4 et 5 juillet 2018. Il a recommandé, s’agissant de la discrimination d’ « adopter une législation civile et administrative complète sur la discrimination incluant une définition de la discrimination directe et indirecte, y compris de la sphère privée, comportant une liste non exhaustive des motifs de discrimination, y compris, inter alia ,la langue, les croyances religieuses, l’orientation sexuelle et l’identité du genre».
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné le rapport de l’Algérie valant vingtième et vingt et unième rapports périodiques à ses 2590ème et 2591ème séances, les 22 et 23 novembre 2017. Concernant le point relatif à la discrimination, « le Comité note que la définition contenue à l’article 295 bis 1 du code pénal réunit tous les éléments de la définition de l’article premier de la Convention. Néanmoins, le comité est préoccupé par le fait que cette définition est limitée au domaine pénal ».
Aussi, il recommande « à l’Etat partie de s’assurer que tous les éléments de la définition de la discrimination raciale figurant dans son code pénal et conformes à l’article premier de la Convention sont incorporés à tous les autres textes pertinents de sa législation, afin de permettre l’application de cette définition dans tous les domaines pertinents tout autant que dans celui du droit pénal ».
Le groupe de travail sur l’Examen périodique universel, crée conformément à la résolution 5/1 du Conseil des droits de l’homme du 18 juin 2007 a tenu sa vingt septième session du 1er au 12 mai 2017. L’examen de l’Algérie a eu lieu à la 12ème séance, le 8 mai 2017. Et, les recommandations sur le point précis de la discrimination ne différaient pas de ce qui a été rapporté ci-dessus.
i-Ainsi, on constate que ces organes internationaux des droits de l’homme (de la Charte des Nations Unies et de traités) n’ont nullement recommandé à l’Algérie de consacrer une législation spéciale, distincte du Code pénal, à la discrimination. Il a été recommandé de l’élargir au domaine civil et administratif. De même, il a été sollicité de l’Algérie d’inclure la langue, les croyances religieuses et l’orientation sexuelle.
Sur ce dernier point, notre pays ne se préoccupe pas de la vie privée des personnes, à la seule condition qu’elle ne touche pas à la tranquillité et à la paix publiques, et ne porte pas atteinte publiquement au vivre en commun de la société algérienne, dont la grande majorité est de confession musulmane.
Quant aux croyances religieuses, l’Algérie a toujours respecté les cultes autres que musulman et agit, concernant les édifices religieux tant musulmans que des autres cultes, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur. La liberté d’exercice du culte est garantie dans le respect de la loi –article 42/2 de la Constitution-.
De plus, la loi 63-278 du 26 juillet 1963 fixant la liste des fêtes légales, établit comme fêtes légales, chômées et payées, chaque année pour les personnels algériens et étrangers de confession chrétienne et israélite, les journées :
-S’agissant des chrétiens :
Lundi de Pâques,
L’Ascension,
Lundi de Pentecôte,
15 aout (Assomption),
25 décembre (Noel).
-S’agissant des israélites :
Roch Achana (jour de l’An),
Yom Kippour (le grand Pardon),
Pisah (Pâques).
j-Il aurait fallu au législateur d’agir sur les articles 295 bis 1 et 295 bis 2 du Code pénal pour harmoniser les dispositions desdits articles avec les obligations internationales de l’Algérie, qui ne portent atteinte ni à notre religion, ni à notre identité, ni à nos valeurs.
k-la loi aurait du se focaliser uniquement sur le discours de haine et prendre en charge tous les aspects de l’incitation à la haine, notamment dans les domaines suivants : l’éducation, le respect des droits de l’homme, la culture de paix, la tolérance, la non-discrimination, le respect mutuel entre les personnes, la sensibilisation de l’opinion publique, l’égalité devant la loi et l’égale protection par la loi, la recherche sur les causes et les éléments moteurs des discours de haine.
l-la création de l’observatoire national de la prévention de la discrimination et du discours de haine va grever, encore plus, notamment avec la création d’autres organismes et la loi 19-12 du 11/12/2019 modifiant et complétant la loi 84-09 du 04/02/1984 relative à l’organisation territoriale du pays, le budget de fonctionnement de l’Etat, alors que la question d’actualité est la rationalisation des dépenses publiques.
Le ministre des finances a déclaré le 27 aout 2017 que : « la situation n’est pas confortable, il ne faut pas se mentir. Mais, nous gérons la situation de façon précise, notamment à travers la rationalisation des dépenses qui se poursuit ». Le Président de la République a fait état de la réduction de 50 % du budget de fonctionnement.
Il aurait fallu, comme de nombreux pays l’ont déjà fait, faire incomber cette mission de détection et d’analyse des discours de haine, de connaissance de ses causes et de proposition de mesures de prévention, à l’Institution Nationale des Droits de l’Homme, prévue par les Principes de Paris (Résolution de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies A/RES/48/134 du 20 décembre 1993). Et, l’Algérie dispose d’une telle institution instituée par les dispositions de l’article 198 de la Constitution, en l’occurrence le Conseil National des Droits de l’Homme.
En résumé, un amalgame a été fait entre discrimination et discours de haine, comme s’il y avait une corrélation parfaite entre les deux (2) infractions, l’une ne pouvant être incriminée sans l’autre. Or, la discrimination peut exister et existe sans discours de haine.
Le discours de haine qui est en fait l’incitation à la haine conduit à des actes de violence ou d’hostilité ou de discrimination contre des personnes ainsi qu’à des dégradations des édifices religieux et des cimetières, par exemple.
L’incitation à la haine est un acte criminel du fait que l’action sous-entendue ou clairement demandée, voire exigée, n’a pas à être commise pour engager l’action publique et l’ouverture d’une information judiciaire. Et, le législateur aurait du légiférer sur cette seule question, en prenant en charge tous les aspects liés à cette infraction, comme il ressort des éléments y afférents cités supra.
En outre, cette loi n’a pas prévu une aggravation de la peine pour les leaders d’opinion, à l’instar, des ministres, des hommes et femmes politiques (partis politiques), des hommes religieux ainsi que les fonctionnaires , les journalistes et toute autre personne jouissant d’un crédit ou d’une notoriété, réel ou supposé, au sein du public.
Un texte de loi ne doit jamais être pris dans la précipitation, « mieux vaut réflexion que précipitation » . Dans le cas d’espèce, il n y avait pas péril en la demeure pour faire adopter en urgence cette loi, il fallait consulter des experts algériens auprès des institutions internationales et régionales des droits de l’Homme ainsi que des universitaires ; et ce, d’autant plus que ces deux (2) infractions étaient déjà prises en charge dans le Code pénal (article 295 bis 1), et, méritaient , certes, d’être plus conformes avec les obligations internationales de notre pays, induites par les dispositions de l’article 150 de la Constitution : « Les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieures à la loi »..
Colonel à la retraite ZERROUK Ahmed
ex-cadre/MDN