Un citoyen algérien en partance à l’étranger par l’aéroport Houari Boumediene a été informé, lors du contrôle de ses documents de voyage par les personnels de la police des frontières, qu’il fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national, et en conséquence, il ne peut quitter le pays.
Le citoyen a demandé légitimement à connaitre l’institution ou l’autorité qui a pris cette décision, il lui a été répondu qu’une telle information ne peut lui être donnée.
Ce citoyen qui n’a pas jamais été auditionné auparavant par la police judicaire ou convoqué par la justice, s’est présenté à la sûreté de daïra de son lieu de résidence pour demander à être informé de l’auteur de l’interdiction de sortie du territoire national émise à son encontre et qui entrave la garantie Constitutionnelle du droit d’entrée et de sortie du territoire national. La même réponse lui a donnée : on ne peut pas vous communiquer cette information. Une seule précision lui a été donnée, l’interdiction de sortie du territoire national le concernant a été établie au mois de septembre 2021.
Le citoyen concerné s’est déplacé au tribunal dont la compétence territoriale couvre le lieu de sa résidence pour solliciter d’amples informations sur l’interdiction de sortie du territoire national le concernant ou ordonner à la sureté de daïra de l’informer sur l’autorité qui lui a interdit de quitter le territoire national. Cette action a été, aussi, vouée à l’échec.
La situation inextricable dans laquelle se débat ce citoyen de l’Algérie nouvelle porte atteinte à son droit de connaitre l’autorité judicaire qui a ordonné cette interdiction de sortie du territoire national, en l’occurrence un procureur de la République.
La Constitution énonce dans son article 26 que l’administration est au service du citoyen et qu’elle agit avec le public, les citoyens et citoyennes, en toute neutralité dans le respect de la légalité et avec célérité, d’une part, et d’autre part, garantit dans son article 49 au citoyen le droit d’entrée et de sortie du territoire national.
Le législateur pour se conformer à la Constitution a complété le code de procédure pénale, suivant l’ordonnance 15-02 du 23 juillet 2015 modifiant et complétant l’ordonnance 66-155 du 8 juin 1966 portant code de procédure pénale, par l’article 36 bis 1 qui a fixé les règles devant présider à la prise d’une décision d’interdiction de sortie du territoire national.
Ces dispositions constitutionnelles et légales découlent des obligations internationales de notre pays qui a ratifié la déclaration universelle des droits de l’homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui prévoient respectivement dans leur article 13/2 « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays », 12/2 « Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien » et 12/2 « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique». Et, les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions fixées par la Constitution, sont supérieures à la loi, conformément aux dispositions de l’article 154 de la Constitution.
Ainsi, l’interdiction de sortie du territoire national relève de la compétence exclusive du procureur de la République. Avant, l’interdiction de sortie du territoire national relevait du ressort de l’autorité sécuritaire qui prenait une telle décision attentatoire à la liberté de circuler et son corollaire le droit de quitter et de revenir à son pays, en dehors de tout contrôle.
L’interdiction de sortie du territoire national est ordonnée par le procureur de la République, sur rapport motivé de l’officier de police judiciaire et pour les nécessités de l’enquête, lorsqu’il existe des indices faisant présumer sa probable implication dans un crime ou un délit.
Dans ce cas, l’interdiction de sortie du territoire national est décidée pour une période de trois (3) mois, renouvelable une seule fois.
Toutefois, lorsqu’il s’agit des infractions de terrorisme ou de corruption, l’interdiction de sortie du territoire national peut entre renouvelée jusqu’à clôture de l’enquête.
Concernant la levée de l’interdiction de sortie du territoire national, elle est ordonnée dans les mêmes formes.
De ce qui précède, on remarque les lacunes suivantes dans ce dispositif légal :
-la personne objet de l’interdiction de sortie du territoire national n’est nullement informée de cette décision attentatoire à sa liberté de circuler.
-aucune notification n’est faite au concerné à son domicile ou par lettre recommandée avec accusé de réception.
-l’interdiction de sortie du territoire national devrait emporter la restitution du passeport avec la délivrance d’un récépissé.
-le concerné devrait bénéficier de la possibilité de contester l’interdiction de sortie du territoire national par un recours auprès du procureur de la République qui a ordonné cette mesure, et en cas de rejet de faire appel auprès du procureur général.
En conséquence, il appartient au législateur de compléter les dispositions de l’article 36 bis du code de procédure pénale pour consacrer la notification de l’interdiction de sortie du territoire national à la personne concernée et de la faire bénéficier du recours devant le procureur de la République, et en cas de rejet, de l’appel devant le procureur général, tout en fixant un court délai (quelques jours) à ces deux (2) autorités judiciaires pour statuer sur ledit recours.
En outre, l’alinéa 4 de l’article 36 bis 1 du code de procédure pénale qui prévoit que « La levée de l’interdiction de sortie du territoire national est ordonnée dans les mêmes formes », constitue un réel écueil de la « bureaucratie juridique et judicaire ».
En effet, les services de la police des frontières ne peuvent pas, en l’existence de cet alinéa 4 de l’article 36 bis 1 suscité, considérer comme caduque, sans effet et sans objet, l’ordonnance du procureur de la République relative à l’interdiction de sortie du territoire national, même après qu’elle n’ait pas été renouvelée à l’expiration du délai initial de trois (3) mois ou du délai maximum de forclusion de six (6) mois.
Pour les services de la police des frontières, tant qu’aucun écrit ne leur a été transmis par le procureur de la République compétent, l’interdiction de sortie du territoire national est signifiée à la personne concernée qui est empêchée, ainsi, de quitter le territoire national par air, terre ou mer
Ce pourquoi, cet alinéa doit être purement et simplement abrogé. Et, les services de la police des frontières, en cas de non renouvellement de la période initiale de trois (3) mois ou de l’expiration du délai maximum de six (6) après renouvellement, doivent « enlever » cette interdiction de sortie du territoire national de leur fichier et ne plus l’opposer au citoyen concerné.
Cependant, des actions ponctuelles, en attendant l’amendement dudit article 36 bis du code de procédure pénale, devraient être prises par les ministres en charge de l’intérieur et de la justice. Ces actions de déclinent ainsi qu’il suit :
-le fichier des services de la police des frontières ne doit prendre en charge aucune interdiction de sortie du territoire national établie par une quelconque autorité administrative ou sécuritaire. Les pratiques illégales et attentatoires aux libertés du passé ne doivent plus survivre dans l’Algérie nouvelle voulue par le Président de la République. Le droit doit primer. La primauté de la loi ne peut être un principe vide et creux, sans aucune emprise sur la réalité, sur les pratiques illégales et sinueuses des uns et des autres.
-ordonner aux agents et officiers de la police des frontières de donner au citoyen concerné par une interdiction de sortie du territoire national toutes les informations nécessaires qui valent notification. Un document dument signé doit être remis à la personne concernée l’informant sur l’autorité judicaire (le procureur de la République exerçant auprès de tel tribunal) et la date de signature de l’interdiction de sortie du territoire national.
-instruire les services de la police des frontières de ne plus prendre en compte l’interdiction de sortie du territoire national qui a dépassé la durée de trois (3) mois, sans être renouvelée. Le renouvellement devrait intervenir avant l’expiration de la période initiale de trois (3) mois.
-enjoindre aux services de la police des frontières d’expurger leur fichier par le retrait de l’ensemble des interdictions de sortie du territoire national qui ont dépassé la période limite de six (6) mois. Elles sont, par la force de la loi, nulles et non avenues.
-instruire les procureurs de la République de faire assurer un suivi particulier, par une application informatique, des interdictions de sortie du territoire national, pour ordonner la levée de celles qui n’ont pas été renouvelées, dés l’expiration du délai de trois (3) mois, ainsi que celles dont le renouvellement a été ordonné et expiré, c'est-à-dire six (6) mois – la période initiale de trois (3) mois et le renouvellement pour trois (3) autres mois, soit six (6) au total-.
Force doit rester à la loi. La volonté de telle ou telle autorité, quelque soit sa qualité ou ses fonctions, ne peut aucunement et nullement se substituer à la loi et édicter des règles, en violation de la loi, pour porter atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés publiques. Le puissant du moment, car tout a une fin, même la vie, ne doit pas être déifié et vénéré par une exécution aveugle et complaisante de ses instructions qui sont en complète contradiction avec la loi et la réglementation. L’Etat de droit ne peut être instauré et consacré par de telles pratiques arbitraires et autocratiques qui sont la négation du droit, de la loi, du respect des libertés publiques et des droits fondamentaux ainsi que de la démocratie.
ZERROUK Ahmed, ex-magistrat militaire