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De l’art de s’y méprendre

14-08-2020 14:10  Contribution

Le dernier communiqué de la Présidence de la République, diffusé le 09 aout 2020 par l’APS, à l’issue de la réunion du Conseil des ministres, tenue le même jour, appelle les observations suivantes :

les rédacteurs de ce communiqué et concernant « les incidents et dysfonctionnement graves qui sont survenus ces dernières semaines – incendies de forets, rupture en électricité et eau potable, indisponibilité brutale de liquidités au niveau des centres postaux - », ont précisé ce qui suit : «… il (Monsieur le Président de la République) a enjoint le gouvernement à l’effet de mener à leur terme les enquêtes diligentées, de porter à la connaissance de la population ses résultats, preuves à l’appui, et de veiller à la sanction de leurs auteurs avec la plus grande fermeté ».

Faisons une étude de ces directives présidentielles, telles que rédigées dans ledit communiqué :

1-« mener à leur terme les enquêtes diligentées », à contrario, il est aisé de comprendre que les enquêtes diligentées pourraient être tronquées ou abandonnées ou faire l’objet d’un « simple oubli ».

Donc, il y a une certaine appréhension  au sommet de l’Etat que ces enquêtes ne soient pas menées à leur terme, ce pourquoi  Monsieur le Président de la République insiste pour qu’elles aboutissent toutes.

Maintenant, il faut distinguer entre les enquêtes administratives et les enquêtes préliminaires.  Les enquêtes administratives sont des investigations qui relèvent de la compétence de l’autorité administrative et peuvent déboucher, en cas de commission d’une faute, à une procédure disciplinaire.

Quant à l’enquête préliminaire, elle est du ressort  des officiers de la police judicaire qui agissent, soit sur les instructions du procureur de la République, soit d’office.

Dans ce dernier cas, il n’appartient nullement à l’exécutif de s’immiscer dans une pareille enquête préliminaire, en application du principe de la séparation des pouvoirs.

2-« de porter à la connaissance de la population ses résultats (de l’enquête), preuves à l’appui ».

Cette phrase est en contradiction complète avec le code de procédure  pénale, notamment son article 11/1eret 2èmealinéas  (la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète, et toute personne qui y concourt est tenue au secret professionnel».

 J’ouvre ici une parenthèse  pour dire que cette façon de procéder qui est également contraire aux dispositions de l’article 11/3èmealinéa du code de procédure pénale, vient d’être suivie par « monsieur le Directeur de la Justice Militaire au Ministère de la Défense Nationale », qui n’est pas le représentant du ministère public - Procureur Général Militaire et Procureur Militaire de la République – voir dépêche APS 11/08/2020- ; et  je ferme la parenthèse.

De plus, le juge, et  une fois les débats clos, se prononce selon son intime conviction, en matière criminelle, conformément aux dispositions de l’article 307 du code de procédure pénale.

Dans ce cadre, il est à relever que les articles 212, 213 et 215 imposent aux juridictions de jugement, en matière d’administration de la preuve, ce qui suit :

Article 212 : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder  sa décision que sur les preuves qui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

Article 213 : « L’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation du juge ».

Article 215 : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les crimes et délits ne valent qu’à titre de simples renseignements ».

En outre, la formulation de  ladite phrase viole le principe de la présomption d’innocence, consacré par les dispositions de l’article 56 de  la Constitution : « Toute personne est présumée innocente jusqu’à l’établissement de sa culpabilité par une juridiction régulière dans le cadre d’un procès équitable lui assurant les garanties nécessaires à sa défense ».

Le principe essentiel du procès équitable réside dans le fait que la cause de toute personne inculpée aux formes de droit doit être entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un juridiction indépendante et impartiale établie par loi.

3-« veiller à la sanction de leurs auteurs avec la plus grande fermeté ».

Cette phrase est antinomique du principe de l’indépendance de l’autorité judicaire, d‘autant plus que Monsieur le Président de la République est garant de cette indépendance.

Les dispositions de l’article 156 de la Constitution sont sans équivoque : «  le pouvoir judicaire est indépendant. Il s’exerce dans le cadre de la loi. Le Président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judicaire ».

 Le juge du siège comme celui de l’instruction n’obéissent qu’à la loi (article 165 de la Constitution) et non aux injonctions et autres instructions du pouvoir exécutif, qui s’assimilent à une immixtion dans le cours de  la justice, qui est proscrite par l’article 166/1eret 2èmealinéas de la Constitution.

La sanction, lorsqu’il s’agit d’infractions qualifiées crimes, délits ou contraventions est de la compétence exclusive du pouvoir judiciaire. Et, le juge est indépendant et n’obéit qu’à la loi.

Par ailleurs, et dans un autre paragraphe, ledit communiqué donne cette information : « le Président de la République a tenu… à porter à la connaissance des ministres que des arrestations viennent d’être opérées en ce qui concerne des actes de destruction de poteaux électriques dans la wilaya de Bouira, ainsi que celle d’un pyromane qui a avoué avoir mis le feu volontairement à  la forêt de Ait-Laaziz dans la même wilaya ».

Ici, il y a  lieu de souligner que seuls le représentant du ministère public (Procureur Général ou Procureur de la République) ou l’officier de police judicaire sur autorisation écrite du procureur de la République, peut rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause – Article 11/3èmealinéa du code de procédure pénale -.

De même, il existe une différence entre le pyromane et l’incendiaire. Le premier relève de la psychiatrie puisqu’il répond à une pulsion d’allumer des incendies, c’est un « maniaque du feu » ; et l’incendiaire, c’est-à-dire une personne qui allume volontairement un incendie.

D’ailleurs, le code pénal ne consacre aucunement le terme de « pyromane », dans ses articles 396 et 396 bis, mais fait état de : « quiconque – autrement dit toute  personne -,….met volontairement le feu… ».

Je ne veux pas entrer dans un autre aspect, celui lié à la haute charge dévolue par la Constitution au Président de la République, qui ne sied nullement, à mon humble avis, à ce qui est rapporté dans ce paragraphe.

D’autre part,  il y a lieu de signaler une question, qui a un lien avec l’Etat de droit et le principe de la primauté de la loi, objectifs de l’Algérie nouvelle, de la République nouvelle, voulue par Monsieur le Président de la République. Il s’agit des déclarations « politiques » faites le 10 aout  2020 par le Premier Président de la Cour Suprême.

En effet, et lors de la cérémonie d’installation du nouveau président de la Cour de Médea et du nouveau Procureur Général auprès de ladite juridiction, ce haut magistrat a appelé, selon le journal électronique Ennaharonline : « à faire preuve de vigilance et de prendre  conscience des enjeux difficiles de cette étape et de la contre révolution dont l’Algérie fait l’objet ».

Au cas où ces paroles ont été réellement prononcées par le Premier Président de la Cour Suprême, le Peuple, source de tout pouvoir,  aimerait bien connaitre ces révolutionnaires qui ont pris le pouvoir dans notre pays. Je crois qu’aucune personnalité politique ou militaire qui exerce  actuellement des responsabilités n’est membre du Conseil de la révolution.

De plus, ces paroles sont contraires au devoir de réserve auquel est tenu tout magistrat et aux principes d’indépendance du pouvoir judiciaire et de séparation des pouvoirs.

L’article 171/1eralinéa de la Constitution énonce que : «  la Cour suprême constitue l’organe régulateur de l’activité des cours et tribunaux ». Elle n’a aucune compétence dans le domaine politique, elle a pour mission de contrôler l’exacte application du droit par les tribunaux et cours, et d’unifier la jurisprudence. 

Je terminerais en attirant l’attention sur ce qui suit :

1-Les incendies de foret. L’Algérie connait chaque année, en été, des feux de forets. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, ni d’inédit dans notre pays. Les incendies qu’elles soient d’origine criminelle ou naturelle, se déclarent dans tous les pays (Portugal, Espagne, Grèce, USA …etc.)

2-La rupture en électricité et eau potable. En été, des ruptures en eau et en électricité surviennent. Ce n’est pas un fait nouveau en Algérie.

Au cas où il s’agit de la station de dessalement d’eau de mer de Fouka, il faudrait informer l’opinion publique : est-ce un acte criminel,un acte de sabotage ou une malheureuse coïncidence avec l’Aid El-Adhaa, due à un problème technique ou autre.

Selon la  dépêche  de l’APS  du  1eraout  2020, l’incident  survenu  la veille   de  l’Aid El-Adhaa, le jeudi à 4h30, a été résolu en début d’après-midi et la station a repris sa production optimale. Il n’est pas fait état d’un quelconque acte de sabotage ou de dégradation volontaire par un tiers.

3-L’indisponibilité brutale de liquidités au niveau des centres postaux. Cette situation a été étudiée au cours d’une réunion tenue le 28/07/2020, sous la présidence du Premier ministre.

Le communiqué du Premier ministre daté du 28/07/2020 est explicite : une réunion interministérielle a été consacrée à l’examen de la situation de la disponibilité des liquidités dans le réseau postal face à la pression de la demande de la clientèle qui s’exerce à travers les titulaires de 22 millions de comptes de chèques postaux actifs.

Je cite toujours le communiqué : la situation actuelle ne se pose pas en termes de disponibilité de liquidités mais elle est plutôt la résultante d’une conjoncture tout à fait particulière liée aux impacts de la situation sanitaire qui a provoqué un ralentissement de l’économie avec ses conséquences sur la circulation et le recyclage des liquidités.

Epilogue : Il appartient à Monsieur le Président de la République  de s’entourer  de compétences,  y compris celles disposant d’un « savoir » juridique  et judicaire, qui soient dans une obligation de loyauté envers sa personne, c’est-à-dire de vérité, et non de complaisance courtisane pour s’extasier devant chaque parole présidentielle.

Ces compétences doivent exprimer leur avis sans fioriture et doivent être capables d’argumenter en privé avec Monsieur le Président de la République, en cas de désaccord. Elles doivent  avoir une forte personnalité et un franc parler.

Colonel à la retraite ZERROUK Ahmed,

ex-cadre/MDN.



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