Dans un communiqué daté du 18 novembre 2020, le procureur général près la Cour suprême informait l’opinion publique qu’ « en date du 18 novembre 2020, la chambre criminelle près la Cour suprême section III, a rendu un arrêt concernant l’affaire de pourvoi en cassation introduit par le Procureur général militaire près la Cour d’appel militaire de Blida, Bouteflika Said, Tartag Athmane, Louiza Hanoune et Mediene Mohamed, portant acceptation, dans le fond et la forme, de la cassation, l’annulation de la décision en appel et le renvoi de l’affaire et des parties devant la Cour d’appel militaire de Blida, qui sera formée d’une autre composante pour y statuer, conformément à la loi ».
Cependant, il est à relever que l’ordonnance 72-28 du 22 avril 1971 portant code de justice militaire, modifiée et complétée, par la loi 18-14 du 29 juillet 2018, prévoit dans son article 5 bis que : « La Cour d’appel militaire comprend une juridiction de jugement, un parquet général militaire, une chambre d’accusation et un greffe. La juridiction de jugement de la Cour d’appel militaire est composée d’un magistrat des Cours en qualité de président ayant au moins le grade de président de chambre à la cour, et de deux assesseurs militaires.
En matière criminelle, cette juridiction comprend, outre le président, deux magistrats militaires et deux assesseurs militaires. »
Ainsi, la présidence de la formation de jugement, en matière criminelle, de la Cour d’appel militaire est assurée par le magistrat civil détaché auprès du ministère de la défense nationale pour exercer les fonctions de président de la Cour d’appel militaire. Il lui revient légalement et à lui seul d’exercer cette fonction de président de la juridiction de jugement de la Cour d’appel militaire, en matière criminelle.
C’est tout le contraire du tribunal criminel d’appel de l’ordre judiciaire ordinaire, qui est composé, conformément aux dispositions de l’article 258/2ème alinéa du code de procédure pénale, d’un magistrat ayant, au moins, le grade de président de chambre à la Cour, de deux magistrats assesseurs et de quatre jurés.
De plus, les magistrats sont désignés par ordonnance du président de la Cour (article 258/5ème alinéa du CPP).
En effet, outre le procureur général et les procureurs généraux adjoints ainsi que le greffe, la Cour comprend un président de Cour, un ou plusieurs vice-présidents, des présidents de chambres et des conseillers.
Aussi, la question qui se pose est la suivante : comment de hauts magistrats de la Cour suprême, à la compétence reconnue et établie, qui ont cumulé et acquis une expérience riche et variée dans le domaine judiciaire ont-ils pu prévoir dans cet arrêt le renvoi de ladite affaire devant la Cour d’appel militaire de Blida, autrement composée, alors qu’ils connaissent parfaitement que la présidence de la juridiction de jugement de la Cour d’appel militaire, en matière criminelle, est assurée par le président de la Cour d’appel militaire, lui-même ; tout le contraire de la composition du tribunal criminel d’appel, qui peut être, facilement, composée autrement ; s’agissant aussi bien du président que des deux magistrats assesseurs et sur simple ordonnance du président de la Cour.
En conséquence, la décision de la chambre criminelle près la Cour suprême a crée un empêchement du président de la juridiction de jugement la Cour d’appel militaire de Blida, en matière criminelle. Il ne peut en aucun cas connaitre de cette affaire sur renvoi de la Cour suprême, car ayant déjà connu et statué sur celle-ci.
En doctrine, l’empêchement d’un magistrat doit être lié à des circonstances inhérentes à la personne du magistrat, nonobstant les cas limitativement énumérés d’incompatibilité et de récusation par l’article 13 du code de justice militaire, et non pas crée par une décision de justice, fut-elle de la Cour suprême.
Cette décision de la chambre criminelle près la Cour suprême va imposer au ministre de la défense nationale de suppléer, par arrêté, le président de la Cour d’appel militaire de Blida par un autre magistrat civil exerçant les mêmes fonctions auprès d’une autre Cour d’appel militaire (Oran ou Ouargla), conformément aux dispositions de l’article 5 bis1 du code de justice militaire : « En cas d’empêchement du président de la juridiction militaire ou de l’un des magistrats militaires, il est procédé à leur suppléance, selon le cas, par des magistrats des juridictions d’une autre région militaire par arrêté du ministre de la défense nationale ».
De même, cette décision de renvoi par la Cour suprême de cette affaire sur la Cour d’appel militaire de Blida, autrement composée, appelle les remarques suivantes :
1-Il est inconcevable que des magistrats chevronnés et expérimentés puissent méconnaitre les dispositions du code de justice militaire, notamment la composition de la formation de jugement de la Cour d’appel militaire, en matière criminelle.
2-cette décision pourrait avoir été basée sur le maintien des liens familiaux des détenus concernés. En effet, la ville de Blida est proche d’Alger, le lieu de résidence de la famille de l’ensemble de ces détenus.
3-le transfèrement de ces détenus pour être jugé par une autre Cour d’appel militaire (Oran ou Ouargla) n’aurait pas été envisagé, peut être, du fait qu’ils pourraient bénéficier d’une décision d’acquittement.
4-cette éventualité (acquittement) n’est pas à écarter (1). Mais, une condition s’impose : Bouteflika Said devrait être inculpé par la juridiction civile compétente et une ordonnance de placement en détention provisoire rendue à son encontre. Ainsi, il ne sera pas libéré après le prononcé de l’arrêt d’acquittement, étant donné qu’il serait détenu pour autre cause (faits de corruption et autres infractions, y compris celles qui leur sont connexes, prévues par l’article 211 bis 2 de l’ordonnance 20-04 du 30 aout 2020 modifiant et complétant le code de procédure pénale).
(1) Le retour du Général-Major à la retraite Nezzar Khaled est un indice.
Enfin, il appartiendrait, également, au Procureur général près la Cour d’appel militaire de Blida de saisir la Cour suprême par une requête en rectification d’une erreur matérielle, à l’effet de renvoi de cette affaire devant une autre Cour d’appel militaire, ce qui serait une conformité à la loi, notamment aux disposition de l’article 5 bis du code de justice militaire.
A titre personnel, je crois que la décision de la Cour suprême serait le prélude au prononcé d’un éventuel arrêt d’acquittement dans cette affaire. Ce qui, de mon point de vue, ne serait que justice et équité.
ZERROUK Ahmed, ex-magistrat militaire