(Par Djamel Bouatta)
Crise profonde et inextricable au Venezuela où l’après Chavez a rapidementdégénéré lorsque le prix du pétrole a dégringolé. Le tout pétrole s’est révéléen fin de compte une malédiction, ce grand producteur d’or noir n’ayant pasréussi sa transition de mono exportateur à une économie diversifiée, sesdirigeants s’étant plutôt lancés à corps perdus dans le populisme, la fuite enavant, puis la répression. Décryptage.
Depuis le début 2016, le pays est plongé dans des manifestations de plus enplus massives en faveur d'élections générales anticipées. Pour le moment, lesuccesseur de Chavez qui n’a pas le charisme de son tuteur, le présidentNicolas Maduro parvient encore à interdire aux opposants d’investir le centrede Caracas. Toutes les marches vers le cœur du pouvoir ont dégénéré en heurts,pillages, échanges de gaz lacrymogènes et cocktails Molotov entre manifestantset forces de l'ordre.
A cela s'est ajoutée la violence exercée par les ‘’colectivos’’, desbaltaguia, groupes de civils armés par le gouvernement, assure l'opposition. Oncompte déjà une trentaine de morts. Le parquet a également dénombré 437 blesséset 1.289 personnes arrêtées pour divers troubles et saccages, a admis LuisaOrtega, le procureur général de la Nation. La facture va s’alourdir ce 1er maiavec la promesse de l’opposition de lancer un tsunami contre le palaisprésidentiel de Miraflores.
Le gouvernement ‘’n'est plustenable’’, a déclaré de son côté le leader de l'opposition Henrique Capriles,ancien candidat à l'élection présidentielle contre Maduro lequel a affirmé‘’vaincre la violence et le coup d'Etat’’, appelant la jeunesserévolutionnaire chaviste et le parti socialiste (PSUV) au pouvoir, à défendrela présidence et les institutions.
Onze pays latino-américains ainsi que les Etats-Unis plaident pour desélections, Maduro les accusent d’ingérence et a menacé mardi soir, via sonministre des Affaires étrangères Delcy Rodriguez, de quitter l'OEA,l'Organisation des Etats américains si ses membres ouvrent le dossiervénézuélien ‘’sans l'aval’’ de son gouvernement. L'OEA doit débattreaujourd’hui à Washington de cette question. Le ton est encore monté entreWashington et Caracas.
Pourquoi tout a basculé au Venezuela? Une crise larvée depuis la mort deChavez le 5 mars 2013 ? Son dauphin, l ancien vice-président Nicolas Maduro lui succède avec tout juste 50,66% des voix, il doit aussitôtcombattre une opposition politique déterminée. Un mouvement étudiant ouvre lebal de l’opposition.
Certains jeunes sont emprisonnés et le 15 février 2014, une manifestationgéante, menée par un collectif de mères d'étudiants incarcérés marque le débutd'un conflit larvé. Caracas, la capitale vénézuélienne, voit défiler pro etanti-Maduro chaque semaine. L'opposition emmenée par Henrique Capriles,remporte les élections législatives de décembre 2015, prenant les commandes duParlement.
Dès lors, la coalition de la Table de l'unité démocratique (MUD) tente desoumettre un référendum révocatoire pour forcer Nicolas Maduro à quitter lepouvoir. Mais le système politique vénézuélien a une particularité : le pouvoirlégislatif peut être bloqué par le Conseil national électoral (CNE), organecitoyen à la solde du chef de l'Etat. Empêchée de légiférer, l'oppositionrevient donc dans la rue pour exprimer sa colère.
Cette descente est aux enfers est accentuée par l’effondrement del’économie. Les finances du Venezuela sont en effet exsangues depuis 2014,alors que le pays dispose des plus larges réserves pétrolières de la planète.Complètement dépendant de son pétrole, il s’est vite trouve en situation dequasi-faillite. Dans ce pays de la rente pétrolière, avec la chute des cours dubrut, la majorité des aliments et médicaments sont introuvables!
Le Venezuela devient numéro 1 sur l'indice de la misère dans le monde,mesuré par Bloomberg. L'inflation, qui dépassait déjà 500% en 2016, atteint les1.660% en 2017 selon le FMI! Le chaos est total. Lassés, huit Vénézuéliens surdix souhaitent le départ de Nicolas Madur. De plus, un El Niño, phénomènemétéorologique qui impacte toute la moitié nord de l'Amérique latine,particulièrement virulent à l'hiver 2015-2016 provoque une sécheresse inédite,affamant une partie du peuple.
A partir du printemps 2016, lesmanifestations s'enchaînent chaque semaine à Caracas. Le 29 mars, après troismois de manifestations continues et d'une paupérisation accrue de lapopulation, la Cour suprême, plus haute juridiction du Venezuela réputée prochedu pouvoir, prive de leur immunité les députés d'opposition vénézuéliens.
Dans la foulée, Henrique Capriles est déclaré inéligible pour 15 ans - cequi l'empêchera de se présenter à la présidentielle prévue en 2018. La Coursuprême renforce aussi les pouvoirs du chef de l'Etat, habilité à prendretoutes les mesures nécessaires pour garantir la "stabilité démocratique".Le lendemain, la Cour suprême s'octroie tout simplement les pouvoirs duParlement.
Nicolas Maduro se retrouve aussitôt sous la pression de la communautéinternationale qui condamne quasiment unanimement les événements. Menacé pardes sanctions économiques de la majorité des pays d'Amérique du Sud, Madurofinit en partie par céder en rétrocédant le Parlement à l'opposition le 1eravril. Mais cela ne suffit pas.
Des heurts débutent dans les rues de Caracas entre l'armée et desmanifestants toujours aussi nombreux. Maduro accepte la tenue d'électionsanticipées, d'abord fixées au 19 avril, mercredi dernier donc. Mais dimanche,le président vénézuélien décide finalement le déploiement de l'armée dans toutle pays et le blocage des accès à la capitale.Le scrutin anticipé n'aura paslieu et ce bras de fer sans fin risque encore de continuer, chaque camp misantsur l'épuisement de l'autre.
Maduro qui a certainement pris conscience des dangers d’éclatement quimenacent le pays, comme il a mesuré également les questionnements qui,assure-t-on à Caracas, agitent l’armée, épine dorsale du pouvoir, a invité denouveau l'opposition à reprendre le dialogue gelé depuis décembre 2016,appelant le pape François à accompagner ces discussions. L'an dernier, une médiationsous l'égide du Vatican avait échoué. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a lui aussi appelé au dialogue.