« Il est difficile de ne pas conclure que, lorsqu’il a quitté le Liban, Hariri n’avait pas l’intention de démissionner, qu’il ne savait pas qu’il démissionnerait et que sa démission lui a été imposée par les Saoudiens. »
Par David Hearst | 7 novembre 2017
Difficile de ne pas conclure que la démission de Saad Hariri, la purge saoudienne et le missile tiré contre Riyad ce weekend sont étroitement liés.
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a été bien occupé samedi soir. L’héritier du royaume, âgé de 32 ans, s’est surpassé. Il a surpassé l’immense chaos et la misère humaine qu’il avait déjà engendrés en tant que ministre de la Défense responsable du lancement de la campagne de bombardements aériens sur le Yémen.
Tout d’abord, il y a eu la démission soudaine du Premier ministre libanais, Saad Hariri, après seulement un an de mandat. Hariri a fait sa déclaration depuis Riyad, qui est un endroit curieux pour démissionner du poste de Premier ministre du Liban. Son discours était résolument orienté contre le Hezbollah et l’Iran, empreint d’une fermeté dont il n’avait pas fait preuve depuis des années.
Quelques jours auparavant, il n’avait pas laissé paraître que sa vie était menacée, ainsi qu’il l’a affirmé dans son discours. Il a laissé des employés de l’aéroport prendre des selfies avec lui et a quitté le Liban le moral au beau fixe et optimiste.
Saad Hariri pensait avoir survécu à la pression subie par son entreprise de construction, Saudi Oger, l’année dernière, et une rencontre avec le ministre délégué aux Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhan,s’était bien déroulée.
Al-Sabhan a tweeté que tous deux étaient d’accord sur « beaucoup de choses intéressantes ». Cependant, le ton du ministre a rapidement changé après la démission de Hariri. Il a alors tweeté : « Les mains de la trahison et de l’agression doivent être amputées », en référence au Hezbollah et à l’Iran.
Un commentateur saoudien bien informé mais anonyme, qui utilise le pseudo Mujtahidd sur Twitter, a écarté la théorie selon laquelle Hariri se sentait menacé d’assassinat par l’Iran. Il a affirmé que le Premier ministre libanais était davantage menacé par le groupe État islamique.
Mujtahidd a déclaré que Hariri était ressorti de ses derniers entretiens avec Ali Akbar Velayati, conseiller principal aux Affaires internationales du guide suprême iranien, de bonne humeur.
« La raison principale de son retour à Riyad est de le tenir captif avec le reste des princes détenus et des hommes d’affaires pour le faire chanter et le forcer à ramener les fonds qu’il détient à l’étranger, en particulier ceux qui ne sont pas liés au Liban. »
« La déclaration qu’il a lue a été écrite pour lui. Il n’était pas convaincu par celle-ci, que ce soit en ce qui concerne le contenu ou en ce qui concerne le fait de remettre sa démission depuis Riyad. Car comment est-il possible pour un responsable politique d’annoncer sa démission depuis la capitale d’un autre pays ? », a écrit Mujtahidd sur Twitter.
Hossein Sheikholeslam, conseiller principal du ministre iranien des Affaires étrangères, semble être d’accord avec Mujtahidd. Il a accusé le président américain Donald Trump et le prince héritier d’avoir fait pression sur Hariri pour le contraindre à démissionner : « La démission d’al-Hariri a été arrangée en coordination avec Trump et Mohammed ben Salmane afin de fomenter des tensions au Liban et dans la région », a déclaré Sheikholeslam.
Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a réagi calmement à la nouvelle dimanche. Il a blâmé les Saoudiens pour ce retrait de Hariri, qualifiant cette démission de violation de la souveraineté libanaise et d’atteinte à la « dignité de Hariri ». Il a fait référence à Hariri comme « notre Premier ministre », et non, notre ancien Premier ministre.
Prenez ces déclarations toutes ensemble, il est difficile de ne pas conclure que, lorsqu’il a quitté le Liban, Hariri n’avait pas l’intention de démissionner, qu’il ne savait pas qu’il démissionnerait et que sa démission lui a été imposée par les Saoudiens. Toutefois, selon mes informations, il n’a pas été arrêté.
Le deuxième événement a été, littéralement, une secousse dans la nuit. Elle est survenue quelques heures après le discours belliqueux de Hariri. Un missile à longue portée lancé par des rebelles houthis à des milliers de kilomètres, au Yémen, a atterri quelque part près de l’aéroport de Riyad, dans le nord de la capitale. Le missile aurait été intercepté par des missiles de défense antiaérienne saoudiens, mais des scènes de panique ont été signalées au sol.
Jusqu’à présent, les Houthis ont généralement ciblé Djeddah. Un missile à longue portée destiné à la capitale a été interprété par les Saoudiens comme un message clair de la part d’un intermédiaire de l’Iran : « Si vous accentuez la pression sur le Hezbollah, nous accentuerons la pression sur vous à Riyadh », semblaient vouloir dire les lanceurs du missile.
Le retour de McCarthyLe troisième événement venant perturber la paix avait été bien planifié. La disparition du prince Mutaeb ben Abdallah avait été largement prédite. Il était en charge de la troisième force militaire du royaume, la garde nationale, et Mohammed ben Salmane avait pris le contrôle du ministère de la Défense et du ministère de l’Intérieur (après avoir évincé son cousin Mohammed ben Nayef). Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne scalpe Mutaeb et mette sous son contrôle les trois armées du royaume.
La garde nationale recrute historiquement au sein des tribus du royaume. Dimanche, les comptes bancaires des cheikhs tribaux impliqués dans l’armée ont été gelés et d’éminents cheikhs ont reçu l’interdiction de se rendre à l’étranger. Ils appartenaient principalement aux tribus Motair et Otaiba qui avaient été fidèles au défunt roi Abdallah. Cela a été fait pour réprimer la dissidence.
Nous n’avions pas prédit à quel point la réaction de ben Salmane face à Mutaeb serait brutale. Lui et son frère Turki ont été arrêtés et accusés de corruption. Son arrestation a été signalée par des sites proches de la Cour royale, qui l’ont diffusée les premiers et ont déclaré que la corruption était liée aux ventes militaires dans son ministère. Ils ont créé un hashtag spécial pour l’occasion qui disait : « Salmane s’attaque à la corruption ».
Al-Arabiya a annoncé que dix, puis onze princes avaient été arrêtés, ainsi que trente-huit hommes d’affaires et anciens ministres.
Dans un style de gouvernement unique au royaume, la décision d’effectuer cette purge semble avoir précédé l’annonce de la commission formée pour procéder à ces arrestations. C’est ainsi que le jeune prince agit, un homme que certains experts du Moyen-Orient persistent à qualifier de réformateur à l’occidentale. Il agit avec mépris total pour l’habeas corpus, la procédure régulière et l’État de droit. À ses yeux, les personnes arrêtées sont coupables avant même que leur culpabilité ne soit prouvée.
Cette commission est maccarthyste dans ses pouvoirs et sa portée. La première chose à noter dans le décret qui l’a mise en place, c’est qu’elle se situe au-dessus et au-delà de la loi. Le décret stipule que cette commission (présidée par ben Salmane) est « exemptée des lois, règlements, instructions, ordonnances et décisions lorsque la commission accomplira les tâches suivantes […] enquête, publication de mandat d’arrêt, imposition d’interdiction de voyager, divulgation et gel de comptes et de portefeuilles, suivi de fonds, d’actifs et prévention de leur remise ou transfert par des personnes et des entités, quelles qu’elles soient. La commission a le droit de prendre toutes les mesures de précaution qu’elle juge nécessaire jusqu’à ce qu’elles soient renvoyées aux autorités chargées de l’enquête ou aux organes judiciaires. »
En d’autres termes, le prince peut faire tout ce qu’il veut à quiconque, saisissant leurs biens dans et en dehors du royaume. Rappelons-nous simplement ce qu’il contrôle désormais. Le prince dirige les trois armées d’Arabie saoudite ; il dirige Aramco, la plus grande compagnie pétrolière du monde ; il dirige la commission chargée de toutes les affaires économiques qui est sur le point de lancer la plus grande privatisation que le royaume ait connue ; et il contrôle maintenant toutes les chaînes médiatiques saoudiennes.
Les barons des médias saoudiens arrêtésCela ressort de la liste des hommes d’affaires arrêtés. ART, MBC et Rotana Media dominent les médias arabes. Ces sociétés médiatiques saoudiennes représentent la majeure partie de ce qui est diffusé au Moyen-Orient, à l’exception des informations diffusées par Al Jazeera, détenue par le Qatar.
Leurs propriétaires respectifs, Saleh Kamel, Walid al-Ibrahim et le prince Al-Walid ben Talal sont derrière les barreaux. Leurs richesses ont également été vraisemblablement confisquées. Forbes évalue la fortune de ben Talal, président de la Kingdom Holding Company, à 18 milliards de dollars. Il détient des parts importantes dans de nombreuses sociétés, notamment Newscorp, Citigroup, 21st Century Fox et Twitter. Ces actions sont également sous une nouvelle direction. Le directeur de STC, le plus grand opérateur de téléphonie mobile en Arabie saoudite, a également été arrêté.
Si les initiatives précédentes de ben Salmane constituaient une prise de pouvoir, les initiatives de samedi ont été un accaparement des richesses.
Mis à part les dangers politiques qu’il y a à dépouiller tant de Saoudiens très riches de leurs richesses, c’est une manière bizarre d’encourager les étrangers à investir dans le royaume. Les actions de ben Salmane samedi semblaient être destinées à tous les effrayer.
L’économie est en récession et les réserves de change sont en train de s’épuiser. Ben Salmane vient de saisir les actifs des plus grands hommes d’affaires du royaume et a mis en place une commission qui peut saisir les actifs à volonté, en Arabie saoudite ou à l’étranger. Qu’est-ce qui l’empêcherait de faire de même pour les actifs des investisseurs étrangers qui se sont brouillés avec lui ?
La purge d’autres grands oligarques comme Bakr ben Laden, qui dirigeait la plus grande entreprise de construction du pays, aura également un effet d’entraînement sur le reste de l’économie. Le Bin Laden Group emploie des milliers de sous-traitants. Les purges et les affaires ne se mélangent pas, comme le découvrira bientôt ben Salmane.
Fissures dans la famille royaleUne source fiable m’a dit que le prince Al-Walid ben Talal avait refusé d’investir dans Neom, la méga ville dont ben Salmane a annoncé la construction, et c’est la raison pour laquelle le prince héritier a renversé son cousin. Mais ben Talal s’était également disputé avec son cousin en appelant ouvertement à libérer ben Nayef de son assignation à résidence.
Toutes les branches de la famille royale ont été affectées par cette purge, et d’autres qui l’ont précédée
L’autre chose à noter, c’est que toutes les branches de la famille royale ont été affectées par cette purge, et d’autres qui l’ont précédée. Il suffit de regarder les noms des princes qui ont été éliminés : ben Talal, ben Fahd, ben Nayef, ben Muqrin. Ce dernier est mort dans un accident d’avion, apparemment en tentant de fuir le pays. Ces noms vous apprennent une chose : les fissures au sein de la famille royale sont étendues et profondes et s’étendent à son cœur même.
Tout cela serait-il arrivé sans un nouvel accord de Trump ? Il a tweeté hier qu’il « apprécierait beaucoup que l’Arabie saoudite procède à l’introduction en bourse d’Aramco sur le New York Stock Exchange, important pour les États-Unis ! » Trump a également appelé le roi Salmane, le félicitant pour tout ce qu’il a fait depuis son arrivée au pouvoir. Cette décision est survenue après la troisième visite de Jared Kushner au royaume cette année.
Si ce n’était pas encore évident pour tout le monde, cela doit sûrement l’être à présent. La capitale de l’insécurité au Moyen-Orient est Riyad, et les initiatives d’un prince âgé de 32 ans, en quête d’un pouvoir absolu, sont capables de déstabiliser les pays voisins et de destituer leurs Premiers ministres. Pire, ce prince semble être encouragé par un président américain qui ne sait pas ce qu’il fait.
Des dirigeants plus sages à Washington D.C., comme le secrétaire d’État Rex Tillerson ou le secrétaire à la Défense James Mattis, doivent s’arracher les cheveux – ou ce qu’il en reste. Cela ne m’étonnerait pas d’apprendre que Tillerson en a assez d’essayer d’éteindre les incendies que son président et son entourage immédiat continuent à déclencher.
David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais.