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Centenaire de la naissance de Mostefa Lacheraf : Un géant de la pensée oublié

16-11-2017 23:40  Médias

« L’enseignement : apprendre à savoir, à savoir faire, à faire savoir. L’éducation : apprendre à savoir être.” Louis Pauwels 

Il y a un siècle et quelques mois naissait Mostefa Lacheraf écrivain éclectique , historien, sociologue et home politique qui a marqué son époque. Curieusement il ne fut pas apprécié à sa juste dimension durant son engagement pour la révolution. Même dans l’avion qui fut détourné, les médias mais aussi par la suite les politiques algériens ont minoré sa présence dans l’avion et pourtant il donna le meilleur de lui-même pour la révolution ! C’est autant de dimension qui se conjugue dans cet homme qui laissera la culture algérienne orpheline de son génie. Au-delà du militant de la première heure, Mostefa Lacheraf est, aussi, connu par ses essais d´histoire sur le mouvement nationaliste algérien et la notion du nationalisme dans la Révolution algérienne, qu´il a reproduit dans son livre phare Algérie, nation et société, en réponse à la thèse émise par Maurice Thorez, «l’Algérie comme les autres pays colonisés par la France, est une nation en formation».

Cette contribution se veut une modeste piqure de rappel d’une amnésie gratuite, tant il serait juste et opportun de faire connaitre et de faire lire les textes de Mostefa Lacheraf et donner une visibilité méritée à cet artisan d’une Algérie apaisée ouverte sur l’universel au lieu et place des logorrhées littéraires porteuses de toutes les régressions Dans l’anomie actuelle, il est alors naturel de signaler des repères de l’intellect ; On peut regretter qu’un hommage solennel ne lui soit pas rendu lors du dernier Salon Sila.

Sans doute Mostefa Lacheraf n’a pas d’avocat à même d’imposer cela, lui qui était œcuménique et qui évitait les débats clivants s’agissant du vivre ensemble. Je me souviens que le jour de son enterrement une universitaire a fait cette réflexion sans appel en rappelant un proverbe du terroir : «  De son vivant, il quémandait seulement une datte, après sa mot, on lui « accroche un régime de dattes » C’est dire même sur le plan officiel, il était invisible. Doit il pour autant l’être sur le plan des idées et de son apport à un Algérie œcuménique fascinée par l’avenir

Cette contribution se veut justement un petit hommage d’un profane qui a eut à approcher ce géant de la pensée une seule fois lors d’une discussion assez longue et brassant globalement son parcours avec une halte sur les problèmes et les chausse –trappes qu’il a eu à subir de la part des tenants du FLN baassites . J´en suis sorti troublé et…ragaillardi avec la conviction profonde que l´Algérie ne pouvait que sortir victorieuse des épreuves qu´elle a traversées et qu´elle traverse depuis les temps tumultueux de son histoire plusieurs fois millénaire pour peu que son école ne soit pas la caisse de résonnance tant il est vrai que une belle éducation de l’enfant devrait être la prunelle de nos yeux.

 Qui est Mostefa Lacheraf ?

Dans la biographie donnée par l’encyclopédie Wikipédia nous lisons Mostefa Lacheraf naît le 7 mars 1917 à El Kerma des Ouled Bouziane près de Chellalat El Adhaoura, où son père est magistrat de la justice musulmane. Après des études secondaires à Alger, des études supérieures à la Thaâlibiyya d’Alger puis à la Sorbonne à Paris, il enseigne au lycée de Mostaganem et au lycée Louis-le-Grand à Paris. et est traducteur et interprète à l’institut des langues orientales à Paris. Dès 1939, il milite au Parti du peuple algérien (PPA), au Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), écrivant dans la presse clandestine. Il devient en 1946 secrétaire du groupe parlementaire de ce parti puis quitte ces fonctions et le comité exécutif de la Fédération de France du MTLD-PPA pour diriger l’un de ses journaux, L’Étoile algérienne ».(1)

« Mostefa Lacheraf rejoint ensuite le FLN. Renonçant à l’enseignement durant la guerre d’Algérie, il quitte Paris en novembre 1954 pour l’Espagne où il prend contact avec Mohamed Khider. Il fait partie de la délégation des dirigeants de la « révolution algérienne », composée notamment par Ahmed Ben BellaHocine Aït AhmedMohamed Boudiaf et Mohamed Khider, dont l’avion civil marocain est détourné, entre Rabat et Tunis, par l’armée coloniale en Algérie le 22 octobre 1956. Emprisonné aux Baumettes, à Fresnes, à La Santé, au Fort Liédot, il est libéré en 1961 pour raisons de santé et placé en résidence surveillée. Il quitte alors clandestinement la France pour Le Caire et Tunis. Membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), il participe en mai 1962 à l’élaboration du « Programme de Tripoli » qu’il est chargé de lire devant les congressistes » (1).

« Rédacteur en chef d’El Moudjahid après l’Indépendance jusqu’en septembre 1962, ambassadeur à partir d’octobre 1965 en Argentine puis au Mexique, conseiller à la Présidence pour les problèmes éducatifs et culturels de 1970 à 1974, ambassadeur en Amérique latine, Mostefa Lacheraf participe à la rédaction de la « Charte nationale » de 1976 puis est nommé d’avril 1977 à 1979 ministre de l’éducation du gouvernement Houari Boumédienne . Il doit cependant donner sa démission à la suite de l’opposition du parti unique de cette époque à son programme éducatif, qui favorise le bilinguisme, l’enseignement de la langue française et la formation des enseignants en langue arabe pour parvenir a un niveau supérieur de formation nationale. À nouveau diplomate en poste au Mexique (septembre 1979), délégué permanent de l’Algérie auprès de l’UNESCO (septembre 1982), chef de mission à l’ambassade algérienne à Lima, au Pérou (de janvier 1984 à septembre 1986), adversaire du président Chadli, opposé à l’intégrisme, il est nommé en 1992 par le président Boudiaf, président du Conseil Consultatif National  Mostefa Lacheraf meurt le 13 janvier 2007 » (1)

Les chemins de l’érudition : La dimension éclectique 

Dans les différents éloges lors de sa mort, l’hommage de Mouny Berrah me parait le plus complet et nous invite à connaitre ce géant de la pensée mais aussi de l’action, quand il fallait s’engager pendant que d’autres intellectuels de son époque trouvaient mille et une raisons de ne pas couper le lien ombilical en faisant – et sans leur faire aucun procès d’intention- le minimum syndical pour passer à travers les gouttes de pluie de la chape de la terreur coloniale

Mouny Berrah nous invite à à revisiter toutes les facettes fécondes de Mostefa Lacheraf :

« «  Pays de longue peine », pays du « flanc de la dune où glissent les fennecs », pays « des parfums des riadh algérois, des patios fleuris de Blida où poussent l’oranger, le jasmin et la menthe vivaces ».  Le pays de Lacheraf, celui qui de l’Algérie, nation et société à des noms et des lieux n’en finit pas d’être dit, s’est d’abord esquissé en poésie. Petits Poèmes d’Alger (1947) et Poèmes d’ailleurs, de la prison de Fresnes par exemple… Poèmes de femmes qu’il ramène au patrimoine avec sa traduction : des Chansons des jeunes filles arabes (1953). Poésie des contes, qu’il restitue à la culture avec une autre traduction : Le chasseur, la femme et les fauves. Poésie mystique de la tradition soufie qu’il offre au lecteur algérien dans sa traduction d’Ibn AI Farid. Que l’on aborde l’Algérie par sa littérature, on y rencontrera Mostefa Lacheraf, dans le texte ; c’est là que tout a commencé… A moins qu’on ne l’y croise dans ses invitations à fréquenter d’autres poètes, Jean Sénac ou Anna Greki, dont il a préfacé des recueils. Kateb Yacine auquel il rend hommage en ces temps troubles où la culture officielle le maintient en clandestinité. Que l’on aborde l’Algérie par le cinéma, on y rencontrera Mostefa Lacheraf. L’homme et le critique. Lui, si peu enclin à parler de lui-même, le voilà, enfant, recevant, à neuf ans « le baptême du cinéma ». « Dans ce petit village reculé des Hauts-Plateaux algériens, dans le sud-est du Titteri et aux abords du Hodna, j’ai reçu le fameux et désormais classique baptême du cinéma, à savoir L’Entrée en gare d’un train ». (2)

« Quand il arrive que Lacheraf parle de lui, il s’agit toujours d’une mise en contexte, d’une re-territorialisation, d’une mise en perspective, telle celle d’un film colonial vu par les yeux d’un enfant de neuf ans. C’est cela Mostefa Lacheraf, cette faculté unique de vous entraîner, à partir d’un souvenir d’enfance, sur les pentes escarpées de l’érudition, les chemins difficiles des remises en question, les moments de l’élaboration théorique, sans pour autant vous donner le vertige. S’il fallait, à travers son œuvre, résumer l’homme, c’est en cette faculté unique de prendre son lecteur par la main, de ne jamais l’abandonner en route, surtout quand la route va d’Alger à Damas, de Versailles à Londres, de Sidi Aïssa au Caire, d’une bibliothèque à l’autre, de l’hôtel Aletti à l’Istanbul d’Attaturk, avec des haltes chez Mohamed Abdelwahab, les conteurs du bord du Nil, Chahine et Pontecorvo ». (2)

Mouny Berrah nous rappelle aussi son passé politique  et son combat comme guerrier de la plume :

«  Que l’on aborde l’Algérie par son histoire, on y rencontrera Mostefa Lacheraf. Au PPA puis au MTLD, dans tout ce que compte la presse clandestine de l’époque, dans les instances dirigeantes du mouvement national puis à la base pour cause de désaccord sur les principes. A la base, c’est-à-dire, encore et toujours, sur le front de l’écriture, de la polémique, de la restauration du droit dans Les Temps Modernes, Esprit, Présence Africaine. Polémiste et propagandiste dans un témoignage posthume, toute la noblesse des termes. Le 22 octobre 1956, l’histoire, qui ne s’y trompe jamais, le récupère pour la postérité et tous les manuels : l’avion qui le transportait avec Khider, Ben Bella, Boudiaf et Aït Ahmed est, dans le premier détournement médiatique, arraisonné par la France. Il fait le tour des prisons coloniales, Fresnes, La Santé, Les Baumettes… Placé en résidence surveillée, il échappe à ses geôliers, rejoint le FLN (…) il aura participé à la rédaction du Programme de Tripoli » (1).

L’hommage de Lacheraf à la dimension première amazighe de l’Algérie.

On a souvent reproché à Lacheraf d’avoir mal apprécié à sa juste valeur l’ouvrage de Mouloud Mammeri :

«  la colline oubliée » sortant quelques phrases dans leur contexte.  Mais rien à voir cependant dans son argumentaire, avec les écrits infamants d’un écrivain déniant à l’auteur de l’Opium et le bâton, son algérianité ! Il s’agit d’un échange d’idées certes rugueux mais qui n’enlève rien à l’apport de ces écrivains hors du commun ,qui hasard de l’histoire sont nés la même année et à ce titre ,nous devons commémorer pieusement le centenaire de leur naissance.

Dans sa défense et illustration élégante de l’identité première amazighe Mostefa Lacheraf déroule un argumentaire convaincu qui ne peut qu’avoir le consensus du plus grand nombre, tant il est vrai qu’il est argumenté Cet Algérien de l’Algérie profonde ( sidi Aissa dans le Hodna) parle avec affection de ses repères (ce qu’il appelle Rkaïz ,el Hodna, les piliers du Hodna) . Ecrivain éclectique ne maitrisant pas le berbère mais maitrisant aussi bien le bel usage de l’arabe que du français, C´est un monument de la mémoire intellectuelle nationale sans équivalent que l´Algérie a perdu à travers la disparition de Mostefa Lacheraf ».(3)

Justement, il faut relire et relire « Des noms et des lieux » !

« Que l’on aborde l’Algérie par son identité et on y rencontrera Mostefa Lacheraf, d’abord dans l’intégralité de l’œuvre mais en particulier dans ce joyau que constitue Des Noms et des Lieux. Mémoires d’une Algérie oubliée. Justement de son amour et de sa connaissance du terroir, Mostefa Lacheraf a déduit quelques évidences sur la toponymie qui nous rappelle chaque fois d’où nous venons. Pour témoigner de la présence des parles berbères dans l’histoire de l’Algérie depuis près de trente siècles, nous allons rapporter le témoignage, celui du regretté professeur Mostefa Lacheraf parle avec autorité et respect du gisement ancien en langue amazighe: «Des noms et des lieux: revenons-y alors que l’ignorance chez nous bat son plein au sujet de ce pays, de ses noms et pas seulement au niveau d’un état civil désastreux mais aussi à travers le choix des parents saisis par des mimétismes orientaux, occidentaux et rarement maghrébins. Noms berbères anciens et berbères punicisés par l’attrait culturel de Carthage. Noms berbères arabes berbérisés ou greffés d’amazigh.(…) Mais l’un des prénoms, les plus significatifs de l’osmose qui a opéré au plan sémantique des usages et d’une certaine propriété des termes entre le berbère et l’arabe dialectal au point de constituer des algérianismes est certainement le «décalque» à propos d’un nom célèbre, rencontré dans l’une ou l’autre des langues. (…) Ainsi Massinissa (Massiissen) nom propre berbère qui signifie: le plus grand des hommes, le plus élevé par le rang, le Seigneur des hommes, etc, a trouvé dans l’onosmatique arabe algérienne dans le passé et jusqu’à ce jour, son juste équivalent et ses variantes sous les formes suivantes: ‘Alannàs, Sidhoum,’Aliennàs, ‘Alàhoum; et dans le genre le nom très connu de Lallàhoum «Leur dame», celle qui est supérieure aux autres, hommes et femmes».(4)

«  (…) Dans l’épigraphie nord-africaine à laquelle se réfère Gustave Mercier à propos de ce qu’il appelait en 1924 «La langue libyenne (c’est-à-dire tamazight) et la toponymie antique de l’Afrique du Nord», des noms propres d’hommes et de femmes surgissent et parmi eux, il en est de moins reconnaissables comme ce Tascure, découvert gravé en latin et dont les doublets linguistiques actuels sont Tassekkurt et Sekkoura signifiant «perdrix» en kabyle ».  «Les topiques ou toponymes et lieudits à travers toute l’Afrique du Nord constituent, quant à eux, un véritable festival de la langue berbère, et l’on bute sur ses noms devenus familiers aux vieilles générations d’Algériens connaissant leurs pays dans les moindres recoins du sous-continent maghrébin avec ses montagnes, ses coteaux, ses cols, défilés et autres. (…) Bref, un inventaire grandiose ou infinitésimal, un espace géographique modelé par les millénaires et s’exprimant en tamazight, la nature et les hommes confondus! » (4)

Lacheraf et la coexistence religieuse

On sait que les Juifs ont toujours trouvé en terre musulmane la sécurité et la paix notamment dans les périodes récurrentes des pogroms pratiquement dans tous les pays européens, de l’Inquisition. Pendant 2000 ans, l’Eglise les a considérés comme les responsables de la mort du Christ ( déicides) et à ce titre ils n’eurent jamais la paix qu’ils trouvèrent en terre musulmane, notamment dans l’Espagne des Ommeyades où leur épanouissement était connu. On sait que Maïmonide, le grand écrivain juif, a écrit son livre «Dalil al Ha’irine», «Le livre des égarés», en langue arabe » (5).

Plus près de nous, les Juifs et les Musulmans ont vécu en Algérie depuis 2000 ans en bonne intelligence comme l’atteste ce beau texte de Mostefa Lacheraf: «Et puis, l’école officielle du village de Sidi Aïssa était une école dite ‘indigène » où il n’y avait pas un seul élève européen mais une grande majorité d’élèves musulmans en même temps qu’une douzaine de petits israélites parlant l’arabe comme leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres de vie. Eux et leurs familles appartenaient à la communauté juive du Sud algérien et portaient cinq ou six noms parmi ceux de l’ancienne diaspora andalouse judaïque réfugiée au Maghreb entre les XIVe et XVIIe siècles. (…)» (6)

« Peut-être que la mode religieuse n’était pas, à l’époque, pour le «m’as-tu vu» et le côté spectaculaire de la simple pratique, de l’observance rituelle exagérée comme aujourd’hui, car, dans ce centre villageois pourtant bien situé et peuplé d’habitants à la spiritualité mystique ou monothéiste affirmée, il n’existait ni mosquée officielle, ni église, ni synagogue connue édifiée en tant que telle. Femmes juives et femmes musulmanes se rendaient visite pendant les fêtes religieuses de l’une ou l’autre communauté, et leurs familles partageaient parfois l’usage de la même cour dans la grande maison où elles habitaient côte à côte (…). Je me rappelle encore ce que chantaient quelques femmes israélites venues offrir à ma mère du pain azym de la Pâque juive en entonnant sur le pas de la porte, en partant, un air célèbre d’origine andalouse, le chant nostalgique de ‘l’Au revoir ». (…)» (6)

Le sacerdoce de Lacheraf concernant l’éducation 

 Le plus important est aussi pour la fin. La contribution de Mostefa Lacheraf pour une école de l’avenir, à l’abri des luttes idéologiques est connue. Ainsi l’une des facettes de Lacheraf est qu’il n’y a pas de demie mesure concernant la mise en place d’un système éducatif qui sans renier ses repères à la fois identitaires et religieux doit être en phase avec le mouvement du monde.   Mouny Berrah a raison d’écrire « Quant à la légitime réfutation, elle va s’exercer dans la critique à la fois visionnaire et solitaire d’une « arabisation » forcenée de l’enseignement. L’épisode lui vaudra son poste de ministre de l’Education et, incontestablement, la reconnaissance des générations à venir pour ce que sa vision portait de futur face à la chape démagogique du « bréviaire baâthiste »

Lacheraf qui ne fait pas les choses à moitié, ,a , comme il le rapporte dans son ouvrage : «  Des noms et des lieux », fait d’abord un tour d’Algérie pédagogique pour s’enquérir de l’état réel de l’éducation, il fut comme il le dit atterré par la façon d’enseigner d’un maître qui au lieu de laisser s’épanouir l’enfant dans toute sa splendeur a étouffé toute velléité de création en lui imposant une norme pourrait on dire stalinienne de l’éducation , une scolastique sclérosante qui n’a plus cours depuis bien longtemps dans les pays avancés.

Par ailleurs   Mostefa Lacheraf est de ceux qui rejettent toute chapelle voire tutelle notamment moyen-orientale au profit de notre génie propre notre vécu  :

« Ne serait- ce que pour cela (qui est déjà énorme) cette langue devrait être enseignée à tous les enfants algériens afin de leur permettre de redécouvrir leur pays dans le détail et non par le biais de l’abstraction idéologique imposée au nom de la qawmiyya baâtiste et faisant de l’école une institution étrangère, sinon à notre identité proclamée en surface du moins, à notre être national véridique, fruit intime de la géographie et de l’histoire toutes deux conçues charnellement à partir du terrain et assumées comme telles sans détour ni mensonge. Et il y en a qui veulent nous ajouter d’autres tutelles sous formes d’influences inesthétiques et d’autres n’ayant rien de maghrébin, parfois manifestement anti-algériennes, oublieuses de nos épreuves, de nos acquis, de notre culture écrite et populaire de double expression berbère et arabe!»(4)

Justement s’agissant d’un chantier qui lui tenait à cœur et qu’il n’a pas pu concrétiser devant une kabbale qui a fait pencher le balancier du pouvoir de Boumedienne en leur faveur. Avec sa lucidité coutumière, Mostefa Lacheraf définit les bases d´une vraie arabisation, Il s’en explique :«L´arabisation improvisée et sentimentale ne parvenant pas à maîtriser l´enseignement et à faire corps avec lui risquera, tôt ou tard, d´être l´objet d´une injuste désaffection de la part des siens

Il prône par ailleurs une école ouverte sur la modernité, le progrès qui assume son passé et le bonifie.

« Ce qui est en jeu, ce n´est pas seulement le fait de récupérer un patrimoine aussi vénérable soit-il, c´est en même temps celui de rendre à l´héritage perdu et retrouvé sa fonction pédagogique, sa fonction socioculturelle la plus conforme aux besoins d´un peuple engagé dans la voix du progrès, soucieux de donner à ses enfants un enseignement concret, substantiel, solide, anti-obscurantiste, capable d´exprimer notre univers algérien, arabe et africain et le monde tout court, avec ses conquêtes techniques, ses découvertes, ses expériences, ensemble de valeurs auxquelles nous avons nous-mêmes participé par le travail créateur dans un lointain passé…».(5)

Ces lignes décapantes sont plus que jamais d´actualité et ce n´est pas l´agitation culturelle actuelle et sans cap qui feront illusion. Il nous faut une école du futur qui ne soit pas otage d’une vision moyenâgeuse alors que l’occident invente le futur. La langue arabe et la langue amazighe devraient coexister d’une façon apaisée. Armée sur le plan identitaire, et se référant à son islam millénaire, le jeune algérien pourra aller à la conquête du monde la tête dans les étoiles, investissant sans complexe les savoirs les plus complexes les langues du futur le français mais aussi l’anglais le chinois bref un regard une ouverture sur l’universel sans complexe sur la modernité. C’est tout cela le sacerdoce de Lacheraf Paix à son âme.

Professeur Chems eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes

1.https://fr.wikipedia.org/wiki/Mostefa_Lacheraf

2.Mouny Berrah   Mostefa Lacheraf : les chemins de l’érudition El Watan le 18 – 01 – 2007 https://www.djazairess.com/fr/elwatan/58780

3.Chems Eddine Chitour   http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_ professeur_chitour/39600-l%E2%80%99homme-%C3%A0-plusieurs-dimensions.html

4.Chems Eddine Chitour http://www.alterinfo.net/L-apport-de-la-culture-amazighe-a-l-identite-des-Algeriens_a26176.html#JQbPBQeQ6lqQvir0.99

5.http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Chems-Eddine_Chitour.031211.htm

6.Mostefa Lacheraf: Des noms et des lieux, éditions Casbah, pages 19 à 30 (1998)

7.Mostefa Lacheraf: Ecrits didactiques pages 131-132 Editions Enap.1988.

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