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Benflis : l’étape des surenchères doit céder à celle des concessions et des compromis dans l’intérêt du pays

11-06-2019 15:13  Contribution

Par Ali Benflis

Le messageà la Nation du 6 juin 2019 n’a pas été à la hauteur de la crise politique,institutionnelle et constitutionnelle à laquelle le pays est confronté. Lemessage a produit plus de déception et de frustration qu’il n’a donné de signesd’ouverture ou de motifs d’espoir.

Iln’a pas fait bouger les lignes pour laisser entrevoir des perspectives réellesde règlement d’une crise qui s’exacerbe en durant et qui, avec chaque jour quipasse, génère de nouvelles complications qui auraient pu être évitées.

Ily a quelques jours, le Conseil constitutionnel a annoncé l’impossibilité de latenue de l’élection présidentielle à l’échéance fixée au 4 juillet prochain.Avant lui, la présidence de l’Etat s’était vu signifier un large refus departicipation au dialogue dont elle avait pris l’initiative. Le message à laNation ne semble pas avoir suffisamment médité les leçons de ce double échec nipris en compte ses véritables causes.

Lesmêmes causes produisant les mêmes effets, il n’est ni réaliste ni raisonnabled’attendre d’une même démarche qu’elle conduise à des résultats différents.

Dansle sillage du discours prononcé à Tamanrasset, le 27 mai dernier, par le chefd’état-major de l’ANP, le message à la Nation a fait du dialogue national sonobjet central.

Dansce contexte, il est question de concessions réciproques et de la nécessité pourtoutes les parties de faire des pas les unes en direction des autres à l’effetde parvenir à un point de rencontre permettant de surmonter l’impasse actuelle.Il aurait été opportun et utile que le message à la Nation donne des gages à cesujet pour crédibiliser la voie du dialogue comme une double voie et non unevoie à sens unique.

Personnene doute que le dialogue national est l’option privilégiée et la voie obligéede règlement de la crise. Personne ne doute qu’à l’étape des surenchères et desdemandes dont la réalisation exige du temps doit succéder l’étape desconcessions et des compromis dans l’intérêt vital du pays qu’il imported’élever au-dessus de tous les autres intérêts quels qu’ils soient.

Personnene doute que le pays ne peut supporter une crise de longue durée dont il nepourra sortir que fortement fragilisé et affaibli alors que de redoutablesdéfis politiques, économiques et sociaux l’attendent à très brève échéance.

Pourmettre toutes les chances de succès de son côté, le dialogue national doit sedonner des bases solides. Ces bases solides du dialogue national ne serontdisponibles qu’avec un traitement transparent et déterminé de quatre grandesproblématiques qui se posent de manière persistante et insistante et qu’iln’est pas possible d’éluder ou d’occulter. Il s’agit des problématiques desinterlocuteurs valables et crédibles dans ce dialogue, de son cadre, de sonobjectif et de son ordre du jour.

Premièrement,en ce qui concerne la problématique des interlocuteurs valables et crédibles,il est clair qu’elle constitue un facteur surdéterminant par rapport à tous lesautres et qu’elle est la clef de l’enclenchement du dialogue ou de son maintienà l’état de vœux pieux. Cette problématique des interlocuteurs valables etcrédibles concerne tout autant la partie invitante que les partiesparticipantes au dialogue.

Ducôté de la partie invitante au dialogue, il est évident que celle-ci ne sauraitêtre composée des figures et symboles du régime politique dont nos compatriotesveulent se débarrasser au plus tôt et effacer de la mémoire nationalecollective et qui sont encore aux commandes des principales institutionsconstitutionnelles du pays.

Enconséquence, la partie invitante au dialogue devra nécessairement être uneinstance composée de personnalités sans affiliation partisane et jouissantd’une large acceptation populaire. Du côté des parties participantes audialogue, il y a lieu d’être d’une extrême vigilance quant à un risque majeur,celui de voir le dialogue national pris en otage par la multitude de partispolitiques, d’associations et de mouvements qui, deux décennies durant, ontservi le régime politique, condamné au départ, avec un zèle et une soumissionsans failles et dont les retournements tardifs ne leurrent ni ne dupent qui quece soit.

Deuxièmement,s’agissant du cadre du dialogue national, il est de la plus haute importancepolitique que soit solennellement affirmée son insertion dans la trajectoire dela satisfaction des demandes légitimes formulées par le peuple algérien et duchangement de régime politique qu’il veut et qu’il attend.

Aun moment où la révolution pacifique doute de la sincérité de la volonté dechangement de régime politique et qu’elle craint une régénérescence de celuidont elle exige le départ, il est politiquement loin d’être superflu ou inutilede rappeler le cadre de ce dialogue et de souligner son alignement sur lesdemandes populaires justes et légitimes.

oisièmement, en ce qui concerne l’objectif de ce dialogue, il se dégage unetrès large tendance en faveur d’élections présidentielles dans des délaisraisonnables et acceptables. Si cet objectif est clair, ses modalités deréalisation font quant à elles débat. Au cœur de ce débat se posent lesconditions politiques, institutionnelles et légales à réunir pour assurer latenue d’un scrutin présidentiel que n’affecterait aucun doute ou suspicion etqui assurerait au peuple le libre exercice de son choix sans craindre de levoir faussé ou dévoyé.

Cesont ces conditions politiques, institutionnelles et légales à réunir quidevraient constituer l’ossature de l’ordre du jour du dialogue national.

Quatrièmement,s’agissant, précisément, de l’ordre du jour du dialogue national, son contenu s’imposede lui-même. Il s’agit :

1)des conditions politiques du scrutin présidentiel ;
2) de ses conditions institutionnelles ;
3) de ses conditions légales ;
4) de la date de sa tenue.

Lesconditions politiques du scrutin présidentiel tiennent au dilemme du départ duprésident de l’Etat et du Premier ministre exigé par la révolution démocratiquepacifique et érigé en préalable à tout règlement de la crise. C’est sur cesujet que se fait le plus ressentir le besoin d’entente sur un compromis. Ilpourrait être fait usage du cadre du dialogue national pour aboutir à cecompromis qui pourrait ouvrir la voie la plus large au règlement de la criseactuelle.

Lesconditions institutionnelles ont trait à la création de «l’Autorité nationalechargée de l’élection présidentielle». L’Autorité permanente chargée de tousles processus électoraux devant être partie intégrante de la nouvelleConstitution dont le pays devra nécessairement être doté ultérieurement,l’autorité dont il est question actuellement n’aurait qu’un caractère ad hoc etserait spécifiquement dédiée à l’échéance présidentielle à venir. Cetteautorité ad hoc devrait impérativement avoir les caractéristiques suivantes :

–la mission de l’Autorité couvrirait l’intégralité du processus électoralprésidentiel, c’est-à-dire sa préparation, son organisation, sa supervision etson contrôle.
– L’exercice du mandat de l’Autorité devrait être totalement mis à l’abri desinterférences politico-administratives. A cette fin, elle bénéficierait del’autonomie politique, administrative et financière.
– Par autonomie politique de l’Autorité, il est entendu que la compositionhumaine de l’Autorité sera déterminée par un mode électif et non par le modediscrétionnaire de la nomination politique.
– La composante de l’Autorité serait élue parmi le corps des magistrats, dubarreau, des Ligues des droits de l’homme, du mouvement associatif et dessyndicats autonomes. Les membres de l’Autorité devront être libres de touteaffiliation politique.
– L’autonomie administrative de l’autorité signifie que l’Autorité elle-mêmeainsi que ses démembrements locaux devront être protégés contre toutes formesd’ingérence, de pression ou d’injonction des autorités administratives àl’échelle nationale ou locale.
– L’autonomie financière de l’Autorité signifie qu’elle serait seul ordonnateurd’un budget qui lui serait spécifiquement alloué et qui serait au moinséquivalent au budget généralement prévu pour l’organisation d’une électionprésidentielle.
– L’intégralité des prérogatives des ministères de l’Intérieur, de la Justice,de la Communication, des Affaires étrangères ainsi que ceux du Conseilconstitutionnel et de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel seraienttransférées vers l’Autorité.
– L’Autorité devrait s’assurer une représentation effective, et non purementsymbolique, à tous les échelons locaux.
– L’Autorité devrait prévoir dans son dispositif une représentativité descandidats dont elle aura reconnu l’éligibilité à l’élection présidentielle.

Lesconditions légales concernent la loi organique portant régime électoral. Ils’agirait de l’amender dans toutes ses dispositions affectant l’électionprésidentielle pour la mettre en conformité avec le dispositif de création de«l’Autorité nationale chargée de l’élection présidentielle».

Enfin,s’agissant de la date de la tenue de l’élection présidentielle, elle devradûment tenir compte de deux contraintes agissant en sens contraires : celle dela logique de la course contre la montre dans laquelle se trouve notre pays etcelle d’un délai raisonnable et acceptable à prévoir pour réunir les conditionsles plus favorables possibles au bénéfice d’une élection présidentielle appeléeà être déterminante pour l’avenir du pays.

Dece point de vue, le délai généralement envisageable de trois à six mois relèvedu domaine du possible, du raisonnable et du praticable.

Al’heure actuelle, le projet du dialogue national est un projet bloqué et ils’agit donc de lever les facteurs de blocage qui empêchent son enclenchement.L’on ne va pas à un dialogue confiant et crédible avec des pré-conditions.

L’onn’y va pas avec la conviction que pour qu’il y ait un gagnant, il faut unperdant. Et l’on n’y va surtout pas sans un esprit de concession et decompromis. Il y a la volonté politique qui doit se manifester.

Ily a la confiance qu’il faut établir. Il y a les doutes et les craintes quidoivent être levés. Et il y a les conditions de l’apaisement des cœurs et desesprits qu’il faut savoir réunir. La pérennité de l’Etat national, car c’estd’elle qu’il s’agit, mérite bien ces sacrifices.

Par Ali Benflis,

Président de Talaie El Hourriyet



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