Pour la première fois dans l’histoire de l’Arabie saoudite, le wahhabisme fait l’objet de discussions et de remise en question par la plus haute autorité du royaume, en l’occurrence par le prince héritier Mohammed ben Salman.
Dans une interview avec le journal Washington Post, MBS tente de justifier la propagation du wahhabisme dans le monde par la guerre froide, à l’époque où l’Occident a demandé à Riyad de faire face à l’Union soviétique et au communisme.
Contrairement à sa déclaration précédente à la revue Foreign Affairs , dans laquelle MBS s’est dit étonné du lien établi entre le wahhabisme et le terrorisme, allant jusqu’à imputer aux Américains le profond malentendu sur cette question, il estime aujourd’hui que le wahhabisme est une erreur du passé qui ne doit plus perdurer.
Dans ces derniers propos, MBS a tenté de faire le point sur le contexte depuis 1979, estimant que les événements de l’époque avaient conduit vers l’extrémisme. En fait, il a exprimé une série de fausses analyses historiques dans une tentative désespérée de trouver une porte de sortie à son programme de mutation sociale et culturelle de son pays, et aussi pour innocenter son milieu de toute accusation extrémiste de la part de la nouvelle administration américaine qui rejette l’extrémisme islamique sous toutes ses formes.
Force est de constater, qu’à chaque entretien, MBS ignore la longue histoire du wahhabisme en Arabie, arguant que toutes les idées takfiristes, enseignées par les écoles du Royaume, sont liées à la politique, à ses circonstances et ses intérêts. Quoique ce genre d’arguments ne concordent ni avec les sources historiques officielles des différents Etats saoudiens , et encore moins avec les méthodes d’enseignement d’al Qaïda et de Daesh. En fin de compte, MBS se résigne à admetttre que « les gouvernements saoudiens successifs se sont écartés du droit chemin », et promet par conséquent de « ramener les choses à la normale ».
Dans son entretien avec le quotidien américain, MBS a affirmé que « les racines de l’investissement saoudien dans les écoles et les mosquées remontent à la guerre froide, quand les alliés saoudiens ont exigé de Riyad d’utiliser ses ressources pour empêcher l’Union soviétique de gagner de l’influence dans les pays islamiques ».
Il est vrai que le prine héritier a ignoré le fait que la doctrine wahhabite est la doctrine officielle de son pays, il a ignoré sa position historique dans le régime. Toutefois, il a reconnu que la relation du wahhabisme avec les États-Unis est une arme stratégique que le régime saoudien brandit face à l' »ennemi »à la demande de Washington, le cas échéant. Désormais, la prédication wahhabite n’est plus admise comme dans le passé, pour répandre ses enseignements dans le monde, elle ne devrait plus être considérée sous le rêgne de MBS comme la doctrine officielle du pays.
MBS distingue entre l’extrémisme externe et l’extrémisme interne
Il n’est pas encore claire si les mesures prises par le royaume pour rassurer l’Occident et son déni qu’il est le parrain légitime du terrorisme toucheront le reste des activités saoudiennes pour la propagation du wahhabisme en Asie, en Afrique et le reste du monde, sachant que le coût de cette propagation s’est élevé à 87 milliards de dollars en seulement deux décennies.
Cela dit, MBS reconnait qu’ « aujourd’hui le financement du wahhabisme est couvert , en grande partie par des institutions privées, dont le QG se trouve bel et bien dans le Royaume, mais qui ne sont pas gouvernementales ».
Force est de constater que sur le plan interne, il n’est pas encore question dans le discours de MBS d’écarter la doctrine wahhabite, enseignée dans les programmes scolaires et les institutions religieuses officielles. Il préfère accuser « la pensée des Frères musulmans » qui selon lui s’est infiltrée dans les programmes éducatifs saoudiens.
A la question de savoir à qui la faute, aux Frères Musulmans, au Wahhabisme, ou à une troisième source, MBS n’apporte pas de réponse. Ce qui est important pour le prince héritier, c’est que l’Occident doit être convaincu que son régime évolue conformément aux prescriptions américaines quelle que soit leur orientation. Ainsi, ses réponses sur la question de l’extrémisme changent selon si le discours est dirigé vers l’intérieur ou vers l’extérieur. Un signe qui prouve que MBS évite d’embarrasser l’establishment wahhabite, justifiant ses plans de changer les programmes éducatifs par la menace des Frères, tout en reconnaissant les effets néfastes de l’exportation du wahhabisme à l’étranger.
Reste que la question qui se pose est la suivante : quelle sera la réaction de l’establishment wahhabite et celle du public, en dépit de toutes les mesures répressives du jeune prince, sachant que cette fois-ci, c’est le wahhabisme qui est directement visé.
Dans le passé, l’aile religieuse coexistait avec les médias et les projets sociaux de l’aile politique, mêne ceux qui qui ne correspondaient pas aux prescriptions du Wahhabisme. Aujourd’hui, l’ère de MBS consacre, pour la première fois, des mesures qui visent directement les bastions de la dynastie religieuse du wahhbisme, les al-Cheikh et leurs dernières citadelles dans la structure de l’Arabie Saoudite. De quoi menacer cette coexistence dans l’avenir.
Mais les chances pour que MBS puisse aller plus loin dans la question wahhabite demeurent faibles, surtout après la séparation entre l’extrémisme externe, reconnu comme faisant partie du wahhabisme, et l’extrémisme interne, imputé à la pensée des Frères. Jusqu’à ce que la situation s’éclaircisse, Riyad reste l’épicentre de milliers d’instituts, de livres et de prédicateurs adhérant à la pensée d’Ibn Abdel Wahab et de son école.(al-Akhbar-al-Manar)