Anne-Bénédicte Hoffner est journaliste, spécialiste de l’Islam, au quotidien français La croix, un journal catholique «ouvert, dit-elle, sur la société et le monde et les autres religions et dont les lecteurs sont particulièrement intéressés par l'actualité algérienne et toutes les initiatives prises pour rapprocher nos deux pays, la France et l’Algérie». Son livre «Les nouveaux acteurs de l’islam» rassemble des témoignages d’hommes et de femmes musulmans, dans différents pays du monde, qui cherchent leur voie, à l’intérieur d’une religion qui sert parfois, à notre époque, d’alibi à tous les errements. Madame Hoffner a bien voulu répondre aux questions d’Algérie1.
Algérie1 : Comment est né ce livre ?
Anne-Bénédicte Hoffner : Je suis journaliste au service religions du quotidien La Croix, à Paris, ce qui signifie que je traite de l’actualité religieuse dans le monde, comme d’autres journalistes suivent l’actualité politique, économique ou sportive. Comme La Croix est un quotidien catholique, nous accordons plus de place dans nos pages aux nouvelles concernant l’Eglise catholique, y compris quand elles sont tragiques (je pense, par exemple, aux multiples révélations d’abus sexuels commis par des prêtres).
Et nous sommes attentifs aussi aux évènements qui concernent les autres religions. En ce qui me concerne, après avoir été chargée du judaïsme pendant quelques années, j’ai repris la rubrique islam, il y a huit ans environ. Au début, je dois avouer que j’étais plutôt perdue : comme étudiante, je me suis passionnée pour le monde arabe, ses écrivains, son cinéma, et je l’ai découvert aussi comme touriste, mais je ne connaissais l'islam que dans ses grandes lignes, grâce à des lectures personnelles.
Algérie1: Est-ce dans votre travail de journaliste que vous avez rencontré ces musulmans et musulmanes dont vous faites le portrait dans ce livre ?
Anne-Bénédicte Hoffner : J’ai beaucoup ramé, au début, pour essayer de comprendre comment l’islam «marche» en France : pourquoi ces multiples fédérations qui ont tant de mal à travailler ensemble, pourquoi les Algériens et les Marocains ont besoin chacun de leur mosquée dans une même ville, comment font les fidèles pour respecter leurs rituels dans une société qui n’est pas organisée pour cela... Puis j’ai commencé à voyager pour des reportages dans tout le Maghreb et le Moyen-Orient et, du coup, à comprendre aussi les logiques politiques et religieuses qui traversent le monde musulman. J’ai passé du temps à me plonger dans les différents courants de l’islam contemporains, leurs origines, leurs grands auteurs, leurs points communs et leurs différences aussi. Je ne pensais pas que j’aurais autant de plaisir à creuser les questions théologiques de fond !
Pour m’en sortir, j’ai fait appel à toutes sortes de gens : des islamologues à l’université, mais aussi des théologiens musulmans (hélas, nous n’en avons pas beaucoup en France). Ceux qui m’ont le plus aidée sont ceux qui ont les deux bagages, qui allient une bonne connaissance des sciences islamiques à un regard historique et sociologique. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec l’historien Rachid Benzine, qui signe la préface de mon livre, mais aussi avec Mohamed Bajrafil, un spécialiste du fiqh d’origine comorienne, avec NaylaTabbara, une Libanaise qui défend dans son pays une citoyenneté inclusive des différences et qui relie le Coran dans une perspective d’ouverture à l’autre, ou encore avec Michaël Privot, un Belge converti à l’islam qui dirige une association européenne anti-raciste et devenu également islamologue. J’ai passé des heures au téléphone avec eux !
Algérie1: Pourquoi avoir voulu donner la parole à ces croyants musulmans ?
Anne-Bénédicte Hoffner : Parce qu’il y a eu les attentats en France ! Dans mon entourage même proche, j’entendais beaucoup de craintes autour de «l’islam» en général, son rapport à la violence. Moi, j’avais la chance d’avoir des échanges très forts avec ces musulmans, qui sont devenus des amis. J’ai appris à connaître Farid Abdelkrim, un ancien responsable de la branche jeunes des Frères musulmans qui a fini par claquer la porte de l’organisation pour réaliser son rêve : devenir comédien et faire des spectacles mêlant humour et musique. C’est un type extraordinaire, une forte tête (ses parents sont d’origine algérienne !) mais qui se donne un mal fou pour essayer de ramener des jeunes musulmans à un rapport plus apaisé et apaisant à leur religion, et à leur identité aussi.
Grâce à Rachid Benzine, j’ai fait la connaissance d’Hicham Abdel Gawad, dont le parcours est tout aussi incroyable : assoiffé de savoir religieux, il est tombé dans le salafisme dans sa jeunesse, puis a découvert l’islamologie savante à l’université. Il a vécu une période extrêmement difficile car il ne savait plus où il en était : il ne savait pas concilier ces deux types de savoir, la tradition islamique et l’histoire. Finalement, il y est parvenu : non seulement sa foi n’a pas disparu mais elle est devenue plus forte car plus réfléchie, plus profonde. Lui aussi, comme Farid, est devenu un ami avec lequel je peux pleurer lorsqu’un attentat terroriste fauche des vies innocentes, mais aussi rire, apprendre, partager… Grâce à ce livre, j’ai rencontré aussi Iqbal Gharbi, professeur de psychologie et d’anthropologie à la Zitouna à Tunis : chaque jour, elle essaie de démontrer à ses étudiants en sciences islamiques l’importance d’utiliser aussi les sciences humaines. C’est quand j’ai réalisé le bien que me faisait toutes mes conversations avec eux que j’ai eu envie de les transformer en un livre, pour pouvoir montrer à mes proches – et à d’autres ! - un minuscule échantillon de ces musulmans qui s’insurgent et qui agissent face à ces violences commises au nom de leur religion.
Algérie1: Quel est le sens et la portée du témoignage de ces «nouveaux acteurs de l’islam» ?
Anne-Bénédicte Hoffner : Le titre est évidemment un emprunt aux fameux «Nouveaux penseurs de l’islam» de Rachid Benzine. Alors que lui avait choisi d’analyser l’œuvre et la pensée de grands réformistes (dont Mohamed Arkoun), j’ai eu envie moi de faire le portrait de ces musulmans ou musulmanes, souvent jeunes, et en tout cas engagés dans la société, de montrer comment se mêlent leurs parcours de vie et de foi. Ils sont tous différents dans leur pratique, leurs références religieuses, le travail qu’ils mènent. Certains vivent en Belgique, d’autres en France, au Liban ou en Tunisie, mais ils essaient tous de vivre leur religion d’une manière constructive et – je dirais aussi – humble : ils reconnaissent se poser des questions, chercher des réponses.
Pierre Claverie, l’ancien évêque d’Oran qui a été assassiné en 1996, disait souvent aux chrétiens que «tout le monde devrait avoir un ami musulman». Je suis plus que d’accord avec lui et je ne cesse de mesurer ma chance ! D’autant que, depuis la publication de mon livre, j’ai rencontré encore plein d’autres «nouveaux acteurs de l’Islam», largement de quoi écrire une suite…