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Algérie/Russie : points de vue politiques convergents et échanges économiques dérisoires

29-04-2016 09:45  Contribution

Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal a  effectué une visite officielle à Moscou (Fédération de Russie) les 27 et 28 avril courant, à l’invitation du président du gouvernement russe, Dmitri Medvedev, avec un forum économique en marge de la visite. Quelle est la réalité de cette coopération, dans la pratique  des affaires n’existant pas  de sentiments,  objet de cette brève contribution ?

1.-Situation de l’économie russe

Avec un territoire de 17 M de km² (soit 33 fois la France), la Russie est le plus vaste état du monde avec une population d’environ 143,8 M d’habitants (principalement répartis dans les grandes villes de la partie européenne du pays). La Russie avec un PIB de 1861 milliards de dollars  2014) ave une con traction de 3,7% en 2015,   dispose de ressources d’hydrocarbures considérables (2èmeproducteur mondial de gaz et  3ème  producteur mondial de pétrole en 2014). Elle possède d’autres richesses : charbon, or, nickel & cobalt, diamant, bois…). L’exportation de ces ressources naturelles représente plus des trois quarts des exportations russes. La part  hors hydrocarbures est relativement faible  les principales spécialisations industrielles de la Russie résultent de l’héritage du complexe militaro-industriel soviétique (métallurgie, spatial, nucléaire, armement). Les secteurs des services (télécommunications, finance, distribution) ont toutefois connu un essor important au cours de la dernière décennie. Comme l’Algérie, la Russie reste une économie rentière  qui repose essentiellement sur l’extraction et l’exportation des hydrocarbures. Selon le FMI, les matières premières représentant 12% du PIB, 50% des ressources budgétaires et 70% des exportations russes avec la   présence de l’Etat dans l’économie qui  demeure importante (environ 40-50% du PIB). Aussi face à cette situation,  la priorité de la politique économique est d’accélérer la diversification du tissu économique, d’augmenter l’investissement et d’accroître le niveau d’attractivité de la Russie (qui occupe le 62ème rang du classement Ease of Doing Business 2015 de la Banque Mondiale). Les autorités russes reconnaissent par ailleurs la nécessité de moderniser l’économie, de restructurer les secteurs affichant un retard technologique et de revoir le mode de financement des entreprises. Les systèmes de transports et les services urbains font face à des besoins de réhabilitation et nécessitent de lourds investissements. Le 22 août 2012, la Russie a adhéré à l’OMC après 18 ans de négociations. En vue de son accession, la Russie a conclu 39 accords bilatéraux concernant l'accès au marché pour les services et 57 accords concernant l'accès au marché pour les marchandises. En mars 2014, le processus d’adhésion de la Russie à l’OCDE a été gelé dans un contexte de tensions géopolitiques.  Depuis quelques années, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan sont engagés dans un mouvement d’intégration de leurs économies qui s’est concrétisé par la création d’une Union douanière en 2010. Avec l’entrée en vigueur le 1er janvier 2015 de l’accord instituant une Union Economique entre les Etats membres de l’Union douanière, à laquelle se joignent cette année l’Arménie et le Kirghizstan, ce processus d’intégration devrait se renforcer.  Les principaux clients (% des exportations, 2013) sont : Pays-Bas (13,3%), Italie (7,5%), Allemagne (7%), Chine (6,8%), Turquie (4,8%)  et les principaux  fournisseurs (% des importations, 2013) : Chine (16,7%), Allemagne (11,2%), Etats-Unis (5,2%), Ukraine (4,9%), Japon (4,2%).Mais comme pour l’Algérie, la  baisse du prix du pétrole a un impact négatif tant sur l’économie que sur toute la société. Après un rebond rapide en 2010-2011, l’économie russe, très dépendante des matières premières, a connu un ralentissement structurel depuis l’été 2012, amplifié depuis 2014 par la baisse du prix du pétrole et les sanctions internationales. En 2015 l’économie russe a connu une récession de 3,7% qui risque de se poursuivre en 2016 (-1% prévu par le FMI) et une récession accentuée en 2017, le taux de chômage d’environ 5,2% officiel étant remis en cause par le FMI. L’industrie manufacturière a régressé de 3% en 2015 et l’agriculture russe n’a profité que de manière marginale de l’arrêt des importations. Même si certains indicateurs macroéconomiques sont relativement satisfaisants (excédent du compte courant, dette publique limitée), la situation des finances publiques est devenue  vulnérable. Les faiblesses principales de la Russie sont liées à la structure de son économie et au manque d’investissement.  L’accélération de la croissance à moyen terme nécessite la mise en œuvre de réformes structurelles. L’économie russe accuse les effets de la crise monétaire qui frappe le pays depuis décembre 2014,  le rouble s’étant  déprécié de plus de 50 % face au dollar.  L’inflation  pour le FM sur l’ensemble de l’année 2015 a dépassé  18 %, bien plus que les quelque 10 % prévus par la banque centrale russe,  avec des impacts négatifs  sur le pouvoir d’achat. La classe moyenne  est fortement  touchée. Le nombre de Russes vivant en dessous du seuil de pauvreté est ainsi passé à 20,3 millions fin 2015 (14,1 % de la population), contre 18 millions l’année précédente (12,6 %). « Beaucoup se sont appauvris, la classe moyenne a été touchée », selon  M. Medvedev premier ministre russe. Ainsi le contrat social  russe  de   distribuer des revenus sans contreparties productives pour  la paix sociale  devient intenable  amenant  « 41 régions ont réduit leurs dépenses pour l’éducation, 42 dans le domaine de la culture   18 pour la médecine… », selon le  quotidien Kommersant en se référant aux résultats d’une étude du fonds Peterbourgskaïa Politika, selon laquelle les retards de salaires sont en constante augmentation depuis 2012. La chute du prix du pétrole, couplée à l’effet des sanctions internationales  ont coûté à la Russie 25 milliards d’euros en 2015, selon le ministre adjoint du développement économique, Alexeï Likhatchev (plus du double, en Europe   avec les contre-sanctions).  Ce qui amené  le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie à amender les priorités stratégiques, approuvées par le président Vladimir Poutine le 31 décembre 2015, parmi lesquelles figurait en tête des menaces l’OTAN,  et  l’organisation atlantiste de  défense,  en élevant, notamment, le « déséquilibre du système budgétaire national » au rang de menace potentielle, tout comme « la vulnérabilité du système financier national ». Selon  German Gref, le patron de Sberbank , la première banque russe je le cite  : « de la même façon que l’âge de pierre, qui n’a pas pris fin parce qu’il n’y avait plus de pierres, l’ère du pétrole   est terminée Nous nous sommes retrouvés dans le camp des pays perdants qui n’ont pas eu le temps d’adapter leur économie (…). Le futur est arrivé avant que l’on s’y attende. Welcome to the future ! » …». Analyse partagée lors d’une rencontre internationale par Alexeï Oulioukaiev,  ministre du développement économique :« ce n’est pas encore le pire.  La réalité est telle que bientôt les pays exportateurs de pétrole pourront perdre leurs revenus. A la place des matières premières traditionnelles, des sources d’énergie alternatives vont arriver et le besoin en pétrole disparaitre ».Pour   le  premier ministre, Dmitri Medvedev :  « si les prix du pétrole continuent à baisser , il faut s’attendre au pire des scénarios, la fin de la  rente . » Encore que  la dette extérieure reste faible et les réserves en devises environ 385 milliards de dollars au 01 janvier 2016, selon le site Demo Trading, contre plus de 540 milliards de dollars en 2012, avec une importante fuite de capitaux ,   permettent à la Russie de tenir trois à quatre  années et ce malgré la dévaluation du rouble permettant de voiler l’importance du déficit budgétaire,  les salaires et les prestations sociales devraient  baisser  ainsi que  les investissements (hors dépenses militaires). En 2015, l’excédent commercial s’est réduit de 33% par rapport à 2014, atteignant 161,4 milliards USD, les exportations chutant de 31,1% tandis que les importations chutaient de 36,7%.

2.- Coopération Algérie/Russie

La visite récente du premier ministre algérien fait suite à la   réunion de la 8e session de la commission de coopération économique, commerciale, scientifique et technique algéro-russe, tenue en juillet 2015 qui avait  a été sanctionnée par la signature d’un procès-verbal renforçant les relations bilatérales des deux pays et avait  permis  la signature d’accords bilatéraux afin de concrétiser la Déclaration de partenariat stratégique adoptée en 2001 à Moscou. Les relations historiques qu’entretiennent les deux pays  sont de loin des déclarations d’intention. En effet, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la Russie, hors armement, ont atteint 530 millions de dollars en 2014. La balance est clairement en défaveur de l’Algérie, surtout lorsqu’on sait que 523 millions de dollars des 530 millions représentent des produits importés par l’Algérie auprès des fournisseurs russes.  Le reste  soit 7 millions de dollars, représente l’infime valeur des exportations algériennes dont 3 millions de dollars en produits alimentaires à destination de la Russie.  Nous assistons à une progression timide puisque  le volume des  échanges commerciaux bilatéraux qui a atteint 885 millions de dollars en 2015,  bien qu’il  n’était que de 175 millions de dollars en 2002. Les transactions commerciales entre l’Algérie et la Russie qui selon la banque d’Algérie devraient s’effectuer en roubles permettront-elles de dynamiser les échanges ? Car les principaux partenaires de l’Algérie (fournisseurs et clients) sont l’Occident et la Chine.  Bien  que son excédent commercial vis-à-vis de l’UE diminue en 2015, de -95,7% à 457 MUSD  en glissement annuel en 2014 de 14,8% à 10,7 Mds USD, avec des flux de 51,1 Mds USD (-27,0% par rapport à 2014), l’UE demeure le premier partenaire commercial de l’Algérie avec une baisse  de -36,1%, passant de 40,4 Mds USD à 25,8 Mds USD (soit 68,3% du total des exportations algériennes, contre 64,2% en 2014). Les importations algériennes en provenance de l’UE sont passées de -14,6%, passant de 29,7 Mds USD à 25,3 Mds USD (soit 49,2% du total des importations de l’Algérie).  Le déficit concerne également l’Asie qui en 2015  est le deuxième  partenaire de l’Algérie, avec des échanges commerciaux qui se sont établis à 14,4 Mds USD (- 18,6% en glissement annuel). Selon les statistiques officielles, elle couvre  23,0% des importations  alors qu’elle n’absorbe que 6,8% de ses exportations, avec un  déficit commercial  vis-à-vis de cette région, -9,3 Mds USD, en augmentation de 22,6% par rapport à 2014, où le déficit n’était que de 7,6 Mds USD,  en raison du déséquilibre de ses relations notamment avec la  avec la Chine. Les échanges entre les pays  du Maghreb représentent moins de 3% de leurs échanges globaux  et les échanges avec les pays arabes (UMA comprise) ne représentent  que 4,8 Mds USD, en baisse de -24,8% par rapport à 2014,  soit 5,0% des importations algériennes et 5,9% de ses exportations. Les relations commerciales entre l’Algérie et les pays d’Afrique subsaharienne sont en baisse -19,6% à 442 MUSD, soient 0,7% des importations de l’Algérie et 0,2% de ses exportations. L’Espagne  en 2015 est le premier client de l’Algérie, malgré une baisse de 31,2% du montant de ses importations, à 6,6 Mds USD, et l’Italie le deuxième, avec 6,2 Mds USD d’importations, en baisse de 25,6% par rapport à 2014. La France est le troisième  client de l’Algérie, avec un montant de ses importations à 4,9 Mds USD (en baisse de 29,2%). Globalement, on observe une concentration de la demande adressée à l’Algérie : ses trois premiers clients représentent 46,7% du total de ses exportations en 2015 alors qu’ils ne représentaient que 39,4% du total en 2014. La France, pour la troisième  année consécutive est  le deuxième fournisseur de l’Algérie, derrière la Chine. Les exportations algériennes à destination de la France ont été de 6,744 milliards de dollars et les importations de 6,342 milliards de dollars. Pour  2015 la France détient 10,5%  de parts de marché, pour un montant de 5,4 Mds USD, la Chine  pour 8,2 Mds USD, avec 16,0% du marché ;  l’Italie est à la troisième  place avec  4,8 Mds USD  et  3,9 Mds US pour les  importations d’Espagne. Aussi, les cinq  accords de coopération algéro-russe  qui  ont été signés le 27 avril 2016 à Moscou  étant selon l’APS un  mémorandum d’entente dans le domaine de l’Habitat, un programme de coopération culturel algéro-russe 2016-2018, un accord de coopération entre l’Agence de presse algérienne (APS) et Rossiya Segodnya, un mémorandum d’entente entre le Commissariat à l’énergie atomique (COMENA), l’Algérie négociant la construction de centrales nucléaires à des fins pacifiques)  et la corporation d’Etat russe (Rosatom), et un mémorandum d’entente entre l’Agence nationale de promotion et développement des parcs technologiques (ANPT) et la Fondation Skolkovo ne changent pas les tendances lourdes dans le domaine économique. L’Algérie et la Russie sont  économies  rentières forcément concurrentes ( le géant  russe Gazprom étant le pus grand concurrent de Sonatrach au niveau du marché européen). Mais existent des intérêts stratégiques énergétiques  communs : stabiliser les prix.  Ce qui n’est pas le cas dans le domaine militaire, les russes pour équilibrer la balance commerciale devant contribuer à asseoir en Algérie une industrie militaire dans le cadre de la substitution d’importation. Lors de la visite qu’il a menée récemment  à Alger, le Ministre  des affaires étrangères russe a déclaré  que les deux pays disposaient déjà d’une commission bilatérale sur la coopération militaire sur l’armement (Moscou étant le principal pourvoyeur en armes d’Alger). En janvier 2015, l’Algérie avait commandé à la Russie 12 bombardiers tactiques Soukhoï SU-34 dans l’objectif de rajeunir la flotte algérienne.  Cette commande faisait partie d’un contrat d’armement signé en 2006 d’une valeur de 7,6 milliards de dollars pour la fourniture de systèmes anti-missiles, d’avions d’équipement et de technologies de défense maritime et terrestre. Selon Kommersant,  l’Algérie a acquis des missiles antiaériens Buk-M2E, ainsi que des équipements variés (tanks T-90SA, hélicoptères, missiles, chasseurs…). Des contrats de plusieurs milliards de dollars ces dernières années. Mais le plan de modernisation du secteur ferroviaire algérien, évalué à 8 milliards de dollars, selon Kommersant, aiguise l’appétit du conglomérat Rossiskie Jeleznodorogi (RJD, Chemins de fer russes).  Mais l’aspect le plus important de cette visite concerne  la  conjoncture internationale politique et économique délicate, marquée par des foyers de conflits géostratégiques qui risquent d’hypothéquer dangereusement la paix dans le monde. La menace du terrorisme transnational, le crime organisé constituent une pleine identité de vue et une convergence  entre l’Algérie et la  Russie. Ainsi la Russie a appuyé  les initiatives algériennes   pour résoudre les crises en Libye et au Mali et, de manière globale, dans la région du Sahel.   Les deux pays sont aussi d’accord pour que le règlement de toute crise internationale doit s’appuyer sur les normes du droit international, la Charte des Nations unies et le respect de la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les Etats.

En résumé, excepté les achats militaires de l’Algérie à la Russie, et des points  de vue politiques  souvent convergents, les   échanges économiques sont  dérisoires moins de un (1) milliard de dollars alors que les  exportations russes dépassent les 500 milliards de dollars et les importations plus de 300 milliards de dollars. 

Professeur des Universités expert international Dr Abderrahmane MEBTOUL

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