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Algérie : Réformes structurelles et transparence pour la réussite du processus de privatisation

09-12-2020 17:31  Pr Abderrahmane Mebtoul

En ce mois de décembre 2020, face aux tensions budgétaires et la baisse drastique des réserves de change et le manque de dynamisme du secteur public, certains responsables évoquent la privatisation partielle sans définir clairement les moyens et les objectifs, tant pour certaines entreprises publiques  que pour quelques banques par la bourse d’Alger en léthargie où pour toute entrée en bourse s’impose des comptabilités transparentes en temps réel  selon les normes internationales, avec solde positif, ne devant pas être utopique, personne ne s'aventurera pour une entité structurellement déficitaire.  Or,   plus de 95%  des entreprises ne répondent pas  aux normes comptables les plus élémentaires.  L’important est le nombre d’acteurs fiables  au niveau de ce marché pour l’instant limité. Imaginez-vous un très beau stade de Football pouvant accueillir plus de 200.000 spectateurs sans équipes pour disputer la partie. Etant un processus éminemment politique, toute  décision sur un sujet aussi sensible et complexe doit avoir d’abord l’aval du conseil des Ministres certainement après consultation  du conseil de sécurité car engageant la sécurité nationale. Je me propose de livrer quelques remarques et propositions sur les finalités du processus de privatisation qu’il soit partiel ou total en Algérie, résultats non concluants à ce jour. Ce processus  est intimement lié à l’avancée de profondes réformes structurelles  tant politiques qu’économique impliquant  un consensus social minimal afin d ‘éviter le bradage du patrimoine national supposant  une transparence dans la démarche.

1- Les objectifs stratégiques du processus de privatisation  et l’importance de l’Etat régulateur pour une économie de marché à finalité sociale

L'on ne doit pas confondre privatisation et démonopolisation complémentaire, tous deux, processus éminemment politique, allant vers le désengagement de l'Etat de la sphère économique afin qu'il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché. La privatisation est un transfert de propriété d'unités existantes vers le secteur privé et la démonopolisation consiste à favoriser l'investissement privé nouveau. L'objectif de la démonopolisation et celui de la privatisation doivent renforcer la mutation systémique de la transition d'une économie administrée vers une économie de marché concurrentielle. Le premier objectif d’une bonne privatisation est son impact sur la réduction du déficit budgétaire. En effet l’expérience de ces dernières décennies , plusieurs dizaines de milliards de dollars ont  été    consacrés à l’assainissement des entreprises publiques entre 1991/2020 dont plus de 80% sont revenues à la case de départ, montant  de quoi créer tut un nouveau tissu productif  et des   millions  d’emplis productifs. La majorité des entreprises publiques    ont un actif net inférieur  au quart de leur capital social et une trésorerie inférieure  à un mois de leur chiffre d’affaires avec un endettement croissant auprès des banques publiques malades de leurs clients. Le deuxième objectif  est que la privatisation peut être facteur de la dynamisation des exportations hors hydrocarbures.

En effet, au vu de données, et en fonction de différents scénarios, il est démontré que seule une dynamisation des exportations hors hydrocarbures qui restent plafonnées à moins de un milliard de dollars (moins de 2% avec 50% de déchets ferreux et non ferreux depuis des décennies) est à même de permettre au pays une croissance durable, Le troisième objectif  est de contribuer à l’instauration d’une économie de marché  concurrentielle loin de tout monopole qu’il soit public ou privé. Il n’existe pas d’économie de marché à l’algérienne mais des spécificités sociales avec des règles universelles, la domination de la propriété privée des moyens de production. La gestion des entreprises publiques sont rigides par définition, malgré souvent la bonne volonté des gestionnaires soumis à des interférences administratives. La privatisation bien menée peut  être le moteur de la croissance de l’économie nationale car favorisant l’émergence de structures concurrentielles, de nouveaux comportements fondés sur le risque et une nouvelle culture de l’entreprise.(intervention du Pr Amebtoul Cette présente  contribution réactualisée  suite à l’invitation de M. Steve GUNDERSON Président et Directeur Général du Council on Foundations (Conseil des fondations de Washington ) et Miss Jennifer KENNEDY » GCDF Gunderson Council Foundation »  qui s’ est tenu du 26 au 30 mai 2008 à New York (USA) rencontre co-organisée avec la fondation Bill et Melinda Gates et sponsorisée notamment par les importantes fondations Rockefeller, Ford, MacArthur, Andrew Mellon, Carnegie et Hewlett).  

Il appartiendra à l’Etat régulateur, garant de la cohésion sociale à laquelle je suis profondément attachée surtout en cette période de tensions  budgétaires et internes et à nos frontières ( voir revue Djeich pour un Front social interne décembre 2020),  de faire respecter le contrat entre les employeurs et les salariés afin que la logique du profit ne porte atteinte à la dignité des travailleurs. Mais en n’oubliant jamais que la plus grande dévalorisation morale dans toute société et d’être un chômeur ou un assisté. L’important n’est pas de travailler chez le privé national, international ou chez l’Etat, l’important pour nos enfants est de trouver un emploi durable dans le cadre de la protection sociale.  La bureaucratie héritage d’une économie administrée constitue une des contraintes les plus fortes dont l’éradication est absolument nécessaire pour insuffler au marché la dynamique et la fluidité attendues. Sur le plan du système financier, il est fondamental de promouvoir l’adaptation du système bancaire et de la fiscalité. La mise à niveau du système bancaire est un des axes majeur  car c’est au sein de cette sphère que les rythmes de croissance seront arbitrés à titre principal. L’objectif à viser, est d’aboutir à un système bancaire affranchi des ingérences, plus efficient et plus en harmonie avec les exigences d’une intermédiation financière performante et orientée vers l’économie de marché de capitaux. Jusqu’ici, la situation financière des banques publiques a constitué une contrainte qui a inhibé toute velléité de restructuration. 

Aussi il y aurait lieu de dégager un scénario pour leur sauvegarde et leur insertion dans la stratégie globale de privatisation. Pour ce qui est du système fiscal, celui-ci doit être plus incitatif tout en autorisant une grande rigueur dans son application en vue de la lutte contre l’évasion fiscale par la mise en place d’un système d’information et de communication plus moderne et moins sujet à interprétation. Il est également proposé d’améliorer la lisibilité de la politique générale de l’Etat par référence notamment à une nouvelle loi cadre de planification budgétaire  et de simplifier et regrouper dans un cadre plus cohérent, l’organisation institutionnelle chargée d’exécuter une politique désormais plus claire de libéralisation de l’économie et pourquoi pas un grand Ministère de l’Economie scindé en plusieurs Secrétariats d’Etat techniques.

2.- Les conditions de  réussite supposent de définir clairement les objectifs

Force est de constater l’absence de vision stratégique en Algérie, inséparable d’une vision de la réforme globale.
(le processus du  partenariat  et de  la privatisation est analysé en détails dans  « Mondialisation,  réformes et privatisation » ouvrage A.Mebtoul Office des Publications Universitaires –Alger- 2 volumes 500 pages 1981 reproduit dans Editions Amazon Paris -2018 La privatisation ne peut intervenir avec succès que si elle s’insère dans le cadre d’une cohérence et visibilité de la politique socio- économique globale et que si elle s’accompagne d’un univers concurrentiel et un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux.  C’est un acte éminemment politique et non technique car déplaçant des segments de pouvoir d’où des résistances au changement des tenants de rente sous le slogan »bradage du patrimoine national ».  La privatisation partielle ou totale  doit  répondre à de nombreux objectifs qui ne sont pas tous compatibles et qu’il convient de hiérarchiser dans la formulation d’un programme de privatisation Mon expérience en tant que président du conseil national des privatisations entre 1996/1999 sous la période du président Liamine Zeroual dont j’ai une profonde estime et les différentes tournées aux USA, en Europe notamment dans les pays de l’ex camps communiste  m’amène , pour le cas le cas de l’Algérie, à formuler les objectifs, pouvant varier et être adaptés en fonction du contexte international, social et économique interne et de l’activité ou de l’entreprise ce qui suppose la résolution  de neuf contraintes qui doivent être levées afin d’éviter   la méfiance  des investisseurs sérieux , en premier lieu l’instabilité juridique perpétuelle, la rénovation de toutes les structures du ministère des finances  à  travers sa numérisation,  fiscalité, domaine, banques, douane  et  mettre fin à une bureaucratie  centrale et locale  paralysante renvoyant à la refonte du système sociopolitique. 

Premièrement, les filialisations non opérantes par le passé dont l’objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c’est le fondement de la réussite tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale. 

Deuxièmement, le   patrimoine souvent  non défini (absence de cadastre réactualisé) pose la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser. 

Troisièmement, des ccomptabilités défectueuses de la majorité des entreprises publiques  et des banques , (la comptabilité analytique pour déterminer exactement les  centres de couts par sections étant pratiquement inexistantes et les banques ne répondant  pas  aux normes internationales, rend difficile les évaluations d’où  l’urgence de la réforme du plan comptable actuel inadapté . L’inexistence du marché boursier (paradoxe en Algérie, pour la première fois de par le monde, on essaie de créer une bourse étatique, des entreprises d’Etat achetant des entreprises d’Etat) comme l’atteste la léthargie de la Bourse d’Alger rend encore plus aléatoire l’évaluation dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d’année en année, voire de mois en mois par rapport au seul critère valable , existant un marché mondial de la privatisation où la concurrence est vivace. 

Quatrièmement, la   non-préparation de l’entreprise à la privatisation, certains cadres et travailleurs ayant appris la nouvelle dans la presse, ce qui a accru les tensions sociales. Or, la transparence est une condition fondamentale de l’adhésion tant de la population que des travailleurs à l’esprit des réformes liées d’ailleurs à une profonde démocratisation de la société. 

Cinquièmement, la.  non clarté pour la reprise des entreprises pour les cadres et ouvriers supposant la création d’une banque à risque pour les accompagner du fait qu’ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial la base de toute unité fiable doit être constitué par un noyau dur de compétences. 

Sixièmement, est la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le  poids de créances douteuses et la majorité des  entreprises publiques étant en déficit structurel, endettés , surtout pour la partie libellée en devises  sans un   mécanisme transparent  en cas de fluctuation du taux de change. Pour ce cas précis l’actuelle politique monétaire instable   ne peut encourager ni l’investissement productif  ni  le processus de privatisation. Pour combler le déficit budgétaire plus de 21,75 milliards de dollars  en 2021,   contre  à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars et un  déficit global du trésor prévu   de 3614,4 milliards de dinars   soit 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% artificiellement, qui en principe est comblé  par  l’élévation de la production et productivité  interne,  le PLF2021 fait les projections de  142 dinars pour un dollar  en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023 ( environ 190 euros), contre 157  dinars le 06 décembre 2020 et 200 dinars sur le marché  parallèle,  donnant en tendance 250 euros sur le marché parallèle, sous réserve de la maitrise de l’inflation qui en cas de hausse entraine la hausse des taux d’intérêts des banques  freinant l’investissement productif. Avec 98% des recettes en devises  avec les dérivées provenant des hydrocarbures permettant des réserves de change  quji tiennent la cotation à  plus de 70%, si fin 2021, les réserves de change clôturent à   à 10/15 milliards de dollars, la banque d’Algérie  devrait  coter le dinar  à environ 200 dinars et le cours sur le marché parallèle actuellement de 200 dinars un euro s’envolerait à plus de 250/300 dinars un euro.. Dans ce cas, il est illusoire tant d’attirer l’épargne de l’émigration via   les banques que l’on veut installer avec des couts  en devises ,   que de capter le capital argent via la sphère informelle, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques.  Comment voulez-vous qu’un opérateur quelque soit sa tendance idéologique avec cette instabilité monétaire investit à long terme  sachant que la valeur du dinar  va chuter d’au moins 30% sinon plus dans deux à trois  années. 

Septièmement,  les délais trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l’entreprise,  les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert, au Conseil des Participations, puis au Conseil des ministres et la délivrance du titre final de propriété  ce qui risque de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux mobiles vont s’investir là où les obstacles économiques et politiques sont mineurs, le temps étant de l’argent. 

Huitièmement,  la synchronisation clairement définie permettrait d’éviter les longs circuits bureaucratiques et revoir les   textes juridiques actuels  contradictoires, surtout en ce qui concerne le régime de propriété privée, pouvant entraîner des conflits interminables d’où l’urgence de leur harmonisation par rapport au droit international. Les répartitions de compétences devront être précisées  où il est nécessaire de déterminer qui a le pouvoir de demander l’engagement d’une opération de privatisation, de préparer la transaction, d’organiser la sélection de l’acquéreur, d’autoriser la conclusion de l’opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de  s’assurer de leur bonne exécution. 

Neuvièmement analyser lucidement les impacts  de l’Accord d’Association de libre échange l’Europe, toujours en négociations pour un partenariat gagnant-gagnant  ,  qui a des incidences  économiques  sur les institutions et les entreprises publiques et privées qui doivent répondre en termes de couts et qualité à la concurrence internationale

En résumé, un texte juridique n’est pas suffisant (ce n’est qu’un moyen) et devient un leurre, s’il n’y a pas d’objectifs cohérents clairement définis avec pragmatisme et un retour à la confiance. La  privatisation partielle ou totale  ne peut être opérée en vase clos. La levée des entraves bureaucratiques, du foncier, des banques, de la sphère informelle, la fiscalité, la stabilité monétaire sont des critères essentiels pour tout investisseur national ou étranger. Par ailleurs, sans  la garantie du droit de la propriété en évitant les conflits du fait de l’absence d’un cadastre réactualisé , il ne faut pas s’attendre à attirer tant l’investissement national qu’international, créateur de valeur ajoutée.

Bio express : Abderrahmane MEBTOUL- Diplômé en expertise comptable de l’Institut supérieur de gestion de Lille France, Docteur d’Etat Es Sciences Economiques ( 1974) Président du Conseil National des Privatisations (Algérie) 1996/1999 sous la période du président LiamIne Zeroual – Haut magistrat premier conseiller à la Cour des comptes  directeur général  des études économiques 1980/1983- directeur d’Etudes Ministère Energie-Sonatrach 1974/1979-1990/1995-2000/2007-2013/2015



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