Le Conseil des ministres a adopté le 17 septembre 2012la loi prévisionnelle des finances 2013. Faute de prospectives, naviguant à vue alors que la planification stratégique est un facteur déterminant essentiel d’une bonne gouvernance, les observateurs nationaux et internationaux s’en tiennent uniquement en Algérie à la lecture des lois de finances qui pourtant ne sont qu’un document comptable statique. Faute d’objectifs précis, nous assistons périodiquement à des lois de finances complémentaires traduisant le manque de vision stratégique.
1-Certes, dans un contexte de ralentissement économique, mondial, à travers la loi de finances, 2013 l’Algérie maintient son programme d’investissement public massif de 286 milliards de dollars dont 130 de restes à réaliser. Face à ces dépenses, le montant du fonds de régulation des recettes géré par le trésor, différence entre le prix réel des hydrocarbures et le prix fixé par la loi de finances (37 dollars) à ne pas confondre avec les fonds souverains qui sont des fonds d’investissement (le gouvernement algérien ayant écarté le recours à cette procédure), est passé de 4 280 milliards de DA, à fin décembre 2008, à 4 316 milliards de dinars à fin décembre 2009 et a atteint 5 500 milliards de dinars, le premier trimestre 2012 soit près de 75 milliards de dollars selon le directeur général de la prévision et des politiques au ministère des Finances.
Pour 2011, selon la loi de finances, le déficit budgétaire est de 4.693 milliards DA (environ 63 milliards de dollars au cours de l’époque) soit 33,9% du PIB. Ce déficit a fortement été creusé sous l’effet de la dépense publique, évaluée à 8.275 mds de dinars. La dépense de fonctionnement s’accroît de 857 mds DA du fait du soutien aux produits alimentaires de base (huiles et sucre) et de renforcer la dotation budgétaire aux produits qu’il subventionnait déjà (blé et poudre de lait). Ces dépenses comprennent aussi l’augmentation des salaires avec l’application de nouveaux statuts de la fonction publique et l’ouverture de nouveaux postes budgétaires et des dépenses d’équipement pour le logement.
Pour la loi de finances prévisionnelle 2012, les dépenses se situent à près de 7500 milliards de dinars alors que les recettes ont atteint 3456 milliards de dinars, soit un déficit de 4000 milliards de dinars. Sur la base d’un taux de change de 75 dinars le dollar, retenu par le projet de loi, cela donne un déficit de 54 milliards de dollars, environ 25% du produit intérieur brut. Pour la loi prévisionnelle de finances 2013, le projet du budget prévoit des dépenses publiques de 6.737,9 milliards (mds) de DA dont 4.335,9 mds de DA pour le fonctionnement et 1.590,1 mds de DA pour le budget d’équipement, et 3.820 mds de DA de recettes, montrant un déficit budgétaire de 2917 milliards de dinars en net recul par rapport aux années précédentes.
Toutefois il ya lieu de préciser que les dévaluations rampantes du dinar par rapport au dollar et à l’euro gonflent artificiellement le fonds de régulation des recettes et la fiscalité hydrocarbures et voilent l’importance de ce déficit. Ce fonds est alimenté donc régulièrement, mais la dépense publique se situant à environ 70 dollars pour le budget de fonctionnement et 40-45 dollars pour le budget d’équipement soit 110-115 dollars selon le gouverneur de la banque d’Algérie, en cas d’un cours inférieur à 80 dollars le fonds de régulation des recettes s’épuiserait dans trois à quatre ans. Comme il convient de signaler que ce recul du déficit budgétaire s’explique par le fait que le budget de l’équipement enregistre un net recul par rapport au budget de fonctionnement dont pour 2012 un accroissement de 32% par rapport à 2011 pour se situer à près de 2700 milliards de dinars dont l’augmentation de 8% du budget de fonctionnement (dont les salaires de la fonction publique) dépassant les 4600 milliards de dinars, soit plus de 100% par rapport à 2008.
Le fondement des différentes lois de finances reposent ainsi essentiellement sur la rente des hydrocarbures. L’économie algériennes est une économie totalement rentière avec 98% d’exportation d’hydrocarbures et important plus de 70% des besoins des ménages et des entreprises. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures donnant ainsi des taux de croissance, des taux de chômage et des taux d’inflation fictifs. La richesse nationale créée puise sa source dans la relation du triptyque: stock physique (stock ressources naturelles d’hydrocarbures) – stock monétaire (transformation: richesse monétaire) – répartition (modalités et mécanismes de répartition: investissement-consommation-fonds de régulation). La monnaie est avant tout un rapport social traduisant la confiance entre l’Etat et le citoyen.
Se pose cette question pour quoi ce dérapage du dinar depuis plus d’une année sur le marché parallèle avec une distorsion de plus de 45% par rapport au cours officiel de la banque d’Algérie (1 euro coté entre 140/150 dinars), le gouverneur expliquant le 18 septembre 20121que cela étant du à une fuite massive de capitaux des Algériens :paradoxe au moment où le discours officiel parle du retour à la confiance pour attirer les investisseurs étrangers. L’on peut démonter qu’existe une corrélation statistique entre le cours des hydrocarbures et la valeur du dinar algérien de plus de 70%. En 2012, sans hydrocarbures, le dinar flotterait avec un cours qui dépasserait 450 dinars un euro soit une dévaluation de 300%. Le taux d’inflation non comprimé serait supérieur à 10% en référence au taux officiel, et plus de 20% sans subventions et le taux de chômage, inclus la sphère informelle, serait supérieur à 50/60% de la population active estimée à 10 millions.
Sur le plan diplomatique, l’Algérie jouerait, sans hydrocarbures, un rôle presque nul. Ainsi, la rente des hydrocarbures rente contribue à l’effacement artificiel tant de la dette extérieure qu’intérieure via les assainissements répétées des entreprises publiques et des services collectifs, des bonifications des taux d’intérêts et donc directement et indirectement à 80% du produit intérieur brut via le couple dépenses publiques/hydrocarbures. La société des hydrocarbures ne créée pas de richesses ou du moins très peu, transforme un stock physique en stock monétaire (champ de l’entreprise) ou contribue à avoir des réserves de change qui du fait de la faiblesse de capacité d’absorption sont placées à l’étranger (83% des 190 milliards de dollars au 01 septembre 2012), dont avec le taux d’inflation qui avoisine 3% et les taux directeurs des banques centrales très bas donnent un rendement très faible, voire négatif.
2- . Dès lors, plus en plus d’observateurs nationaux se demandent alors pourquoi continuer à épuiser les réserves pour aller placer cet argent à l’étranger accélérant l’épuisement des réserves. Les réserves se calculant par rapport au vecteur prix international, évolution des coûts et de la concurrence des énergies substituables, selon les revues internationales dans moins de 15 ans, en cas de non découvertes substantielles, surtout avec les nouvelles raffineries programmées, l’Algérie sera importateur net de pétrole (cela a été le cas de l’Indonésie) ayant 1% des réserves mondiales. Car l’Algérie, selon la revue financière Gasoil, l’Algérie a pompé entre 1962 et 2006 plus de 15 milliards de barils de pétrole, soit plus que les réserves actuelles, mais récemment avec des coûts supérieurs à la moyenne des grands pays pétroliers.
Concernant le gaz algérien, le département d’Etat à l’Energie US, dans un rapport de mai 2011, estime que l’Algérie détient 2,37% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel conventionnel estimées à 4.502 milliards de mètres cubes loin de la Russie, classée première, qui détient plus de 47.570 milliards de mètres cubes, l’Iran, le Qatar, ( ces trois pays totalisant plus de 50%) , le Turkménistan, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis, les Emirats Arabes Unis, le Nigeria et le Venezuela et il faudra compter à l’avenir sur la Lybie et d’autres pays africains. Selon les extrapolations de l’organisme de régulation CREG, la consommation intérieure devrait passer de 35 à 50 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2017. Mais ce calcul ayant été fait avant que ne soient décidés suite aux coupures d’électricité en 2012, le doublement des capacités électriques privilégiant les turbines à gaz et des centrales fonctionnant au gasoil dans le Sud, allant donc vers plus de 60/70 milliards de mètres cubes gazeux en cas de non rationalisation des couts de l’énergie, incompressible si l’on veut un réel développement intérieur.
A cela s’ajoute le volume exportable extrapolé tant à travers les canalisations que pour le GNL, 85 milliards de mètres cubes gazeux alors qu’elle peine actuellement à atteindre 55/60 milliards de mètres cubes gazeux, donc perdant des parts de marché selon les statistiques internationales de 2011 malgré les déclarations se voulant rassurantes des responsables de l’énergie. Avec 4500 milliards de mètres cubes gaz, la durée de vie pour un prix de cession moyen, à couts constants, référence année 2010- de 10 dollars le MBTU pour les canalisations et 13/14 dollars pour le GNL , serait moins de 25 ans.. Face à ce constat, les récents amendements proposés pour la loi des hydrocarbures seront –elles suffisantes pour redynamiser le secteur ? Car pour le calcul réel des réserves du pétrole- gaz il y a lieu de tenir compte de la forte consommation intérieure posant la problématique des subventions certes nécessaires mais non ciblées.
Ainsi, l’Algérie est classé troisième pays où le prix du carburant est le moins cher au monde, selon une enquête réalisée par une maison de courtage française spécialisée dans la location de voitures. Avec un prix à la pompe de à 0,22 euro/litre pour l’essence et 0,13 euro pour le gasoil en 2010, l’Algérie arrive derrière l’Arabie Saoudite et le Venezuela. Or selon le ministère de l’Energie et des Mines, le prix réel des carburants devrait fluctuer 60 et 80 DA le litre. Mais conserver cette politique coûte de plus en plus cher. En effet, ces dernières années, l’Algérie est devenue importatrice de produits raffinés. En 2009, la facture des carburants s’est élevée à près de 1,5 milliard de dollars et ce montant a certainement cru entre 2010-2012. Cela favorise la contrebande aux frontières. La différence du prix à la pompe avec les pays voisins fait que de grandes quantités de carburants traversent quotidiennement les frontières vers le Maroc et la Tunisie, sans compter les pays riverains du grand Sud.
Pour l’électricité, selon un rapport du Ministère de l’Energie, car, il faut comparer le comparable, les pays du Maghreb et non pas les pays européens dont le niveau de vie est plus élevé, ( voir le site MEM 2011) , la tarification algérienne tant pour la consommation des ménages que pour la consommation industrielle est la suivante : pour les clients résidentiels (ménages): Algérie: entre 2 DA et 3,20 DA/kwh selon le niveau de consommation, alors que ce prix est entre 3,45 DA et 4,94 DA/kwh en Tunisie, et entre 5,27 DA et 6,40 DA/kwh au Maroc. Pour les clients industriels en Algérie, le prix oscille entre 1,48 DA et 2,15 DA/kwh selon le niveau de consommation, en Tunisie entre 2,35 DA 3,54 DA/kwh, et au Maroc entre 4,21 DA et 5,53 DA/kwh. La grande partie de ces écarts provient du prix du gaz fixe par l'état à l'entrée du système de production-transport-distribution de l'électricité. Le niveau du prix du gaz concédé aux centrales est de l'ordre de 10 % de celui qui correspond aux transactions internationales du gaz.
3.-En conclusion, face aux bouleversements géostratégiques énergétiques et mondiaux, supposant qu’une très grave crise mondiale n’affecte pas à court terme les recettes algériennes : rappelons-nous la chute des 2/3 des recettes de Sonatrach en 1986 et plus 45% en 2008, que sera alors l’Algérie avec une population en 2012 de 37 millions et horizon 2030 de 50 millions sans hydrocarbures? Il faut éviter cette illusion de dépenser sans compter conduisant à un suicide collectif, tout le monde veut sa part de rente et immédiatement. Les réformes structurelles, difficiles car déplaçant les segments de pouvoir de la rente deviennent urgentes, impliquant un sacrifice partagé, alors que nous assistons à une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière.
Cela pose la problématique d’un État de droit et d’une gouvernance renouvelée se fondant sur le savoir et l’entreprise créatrice de richesses, condition du passage d’une économie rentière à une économie hors hydrocarbures tenant compte des importants bouleversements géostratégiques du monde, loin de toute démarche bureaucratique autoritaire et des replâtrages conjoncturels. Le statut quo actuel est intenable. Conforté par une richesse artificielle ne provenant pas du travail, la facilité du gouvernement est la généralisation des subventions sans ciblage, une distribution passive de la rente pour assurer la paix sociale, sans logiques économiques. Cette tendance est confirmée par l’envolée des dépenses improductives des lois de finances 2011/2013.
Professeur des universités -Dr Abderrahmane MEBTOUL Expert international en management