Avez-vous remarqué que la bonne vieille moustache a pratiquement disparu de notre paysage quotidien, même si son héritage résiste encore chez les personnes d’un certain âge et dans les campagnes ? Dans les pays arabes particulièrement, la moustache n’est plus ce symbole de virilité qu’autrefois les hommes arboraient fièrement sous leur nez. Les visages glabres ou barbus qui l’ont remplacée donnent une indication sur l’esthétique et l’état d’esprit dominants des temps actuels.
Il faut dire que la moustache n’est pas seulement un appendice de la mode appliquée au corps humain masculin comme, par exemple, les cheveux longs, le piercing ou le tatouage, elle véhicule une certaine culture «macho». En Europe, avant la Première guerre mondiale, la moustache était fort appréciée par la gent féminine, à tel enseigne que les femmes allemandes soutenaient «qu’un baiser sans moustache est comme une soupe sans sel». En France, sur un autre plan, une décision ministérielle de mars 1832, rendait le port de la moustache obligatoire pour tous les militaires. (Cette obligation le demeurera jusqu’en 1933). Dans l’ex-URSS, la moustache martiale de Staline matérialisait, à elle seule, la victoire de l’armée soviétique face à l’armée nazie, pendant la Seconde guerre mondiale. (Plus tard, cette moustache symbolisera malheureusement le «Goulag du prolétariat»).
Au Proche-Orient, pendant les années 1970, la moustache de Gamal Abdel Nasser, Hafez El-Assad ou Saddam Hussein, est devenue presque l’incarnation du nationalisme arabe. Dans notre pays, la moustache sera spécialement rattachée, dans l’inconscient collectif, à l’ère du socialisme spécifique du président Boumediene, à son visage émacié et au froncement inquiétant de ses sourcils. Ses successeurs également ont eu la moustache épaisse, Chadli Bendjeddid ( qui l'avait progressivement supprimée), Lamine Zeroual, Abdelaziz Bouteflika.
Sur les photos jaunies de cette époque, on peut encore admirer notre irrésistible moustache trôner entre les joues de presque tous les membres de l’ex-Conseil de la Révolution. La nomenklatura masculine algérienne et le simple père de famille, étaient alors quasiment tous moustachus. La moustache, emblème involontaire de l’autorité patriarcale et du pouvoir autocratique, régnait alors sur le pays.
En gros, le style de la moustache que les Algériens ont l’habitude de porter est assez clean: ni en broussaille à la Chuck Norris ni en croc comme la célèbre moustache du peintre Salvador Dali, ni divisée en deux pointes montantes et bouclées vers le haut comme celle de l’acteur britannique David Niven, ni épaisse et carrée sous le nez comme celle d’Adolf Hitler. La moustache des Algériens est classique, à la rigueur tiers-mondiste, «aussi belle qu’un comité de gestion» au temps de la Révolution agraire, pour paraphraser le regretté poète Algérien Jean Senac.
À partir de la fin des années 1980, la moustache va se ringardiser en Algérie, même si elle a gardé des adeptes. À la même période, une certaine «wahabisation» de notre société va imposer la barbe comme élément distinctif de la masculinité. Actuellement, en Occident, la moustache serait redevenue à la mode, célébrée par des stars américaines comme Brad Pitt et elle symboliserait une certaine ouverture d’esprit, marquée par un positionnement anti-libéral et les valeurs de l’écologie.