Les Algériens consomment 700 millions de sachets (de 20 et 30 g) de "Chemma" (tabac à chiquer) par an, selon les statistiques de la Société nationale du tabac et allumettes (SNTA). La "Chemma" consommée autrefois exclusivement par les vieilles personnes se répand, de nos jours, de plus en plus parmi les jeunes.
Ce tabac à chiquer fabriqué selon des normes habituelles pourrait, toutefois, être mélangé par des artisans malveillant à des substances chimiques dont la chaux, le sable et même la bouse de vache, selon un fabriquant.
En dépit des méfaits de la "Chemma" sur la santé physique et morale du chiqueur (cancer de la gencive notamment), les accros à cette substance trouvent beaucoup de difficulté à se départir de leur dose de nicotine. Il faut beaucoup de volonté pour arrêter d'en consommer définitivement après plusieurs années d'addiction.
"La consommation du tabac est nocive pour la santé" (loi no 85-05), "la vente du tabac est interdite aux mineurs", lit-on, étrangement, sur le sachet du tabac à priser. Plus étrange encore, cette inscription portant composition de la chique où on peut lire "eau, tabac et autres substances" mais que sont-elles ces substances?.
Pour sonder le marché incontrôlé de la "Chemma", une tournée dans les quartiers populaires d'Alger, a été effectuée par l'APS qui a constaté avant même d'arriver à destination que le chauffeur de taxi "dayer rafaâ", une expression du langage courant désignant une personne avec une dose de chique dans la bouche. Agé de 37 ans, ce chauffeur de taxi a confié que la "Chemma" était pour lui un moyen de substitution au tabac à fumer.
A Bab el Oued, certains vendeurs de "Chemma", qui se vend ici et là au détail ont donné leurs avis. Je vends de la "Chemma", dit avec une note de fierté inattendue Tahar, 47ans, ancien vendeur de cette substance à chiquer ". "Je me la procure à l'est du pays auprès de personnes qui la fabriquent en broyant des feuilles de tabac auxquelles ils incorporent des cendres des feuilles de vignes et d'autres substances (...). Le contenu de ce mélange est ensuite mis dans des sachets ou des boites destinés à la vente", a-t- dit.
"Bien que contenant des substances nocives, le tabac à priser est consommé aussi bien par les vieux que par les jeunes", a indiqué notre interlocuteur qui a affirmé cependant que la vente de la "Chemma" "lui permettait tout juste de subvenir aux besoins de sa famille".
Les sportifs, les hommes politiques et toutes les catégories de la société en consomment
Mostepha, un client de Tahar, un revendeur, nous dira pour sa part que pour arrêter de fumer il s'est converti à la chique comme tous les consommateurs de la "Chemma".
Chérif, 62 ans intervient alors, après s'être assuré qu'il ne s'agit pas d'une opération de saisie, pour dire qu'il vend de la "Chemma depuis plus de 6 ans suite à son licenciement et après avoir longtemps galéré pour trouver un emploi.
Dans le quartier de Belouizdad, un autre repaire du tabac à priser de la capitale, Tayeb qui s'apprêtait à vendre un sachet de cette poudre de couleur verte et marron, a affirmé qu'il y'a quelques années de cela la "Chemma" était méconnue et n'était consommée que par les vielles personnes.
Progressivement, elle s'est répandue parmi les jeunes universitaires et les adolescents et toutes les catégories de la société, selon la majorité des personnes interrogées. Selon des sources informées, des stars du football algérien sont également des consommateurs de "narjes" et autres marques de la "Chemma". Beaucoup parmi ces athlètes d'élite ont été, sur les terrains de la compétition, surpris par les caméras mettant une "rafaâ (dose)" dans sous la lèvre.
Même constat chez certains parlementaires qui ne peuvent renoncer à ce mélange et qui se glissent subrepticement dans les couloirs de l'hémicycle pour une prise. Il n'est pas question de ternir l'image de marque dont ils jouissent.
"La chique" écoeure les femmes
Des jeunes filles approchées ont dit éprouver du dégoût rien qu'à entendre le terme "chique". Comment les hommes peuvent-ils supporter cette substance répugnante? s'est interrogée Nacéra, une employée dans une entreprise privée. "La vue de jeunes entrain de prendre de la chique ou de s'en débarrasser m'écoeure", dit-elle. Sihem, pour laquelle "la Chemma" est une substance polluante", estime que les restes de la chique utilisée salissent les espaces publics. "Contrairement à la cigarette, la chique n'est souvent pas visible et dégage une odeur nauséabonde.
Hélas ! on ne peut pas interdire sa consommation dans les lieux publics comme c'est le cas pour la cigarette", a-t-elle déploré. "Il m'est impossible de manger devant un chiqueur et ou boire d'un verre qu'il a déjà utilisé", a renchéri Sihem. Pour sa part, Khalida, 33 ans, s'est interrogée sur "l'engouement que manifestent les chiqueurs à l'égard de cette substance répugnante" avant d'ajouter "Je ne puis accepter l'idée que mon époux s'adonne à la Chemma". De son côté, Amina a affirmé avoir refusé un "bon prétendant" par ce qu'il était chiqueur.
Outre le cancer de la gencive, la chique nuit au système nerveux. La Chemma est constituée de plusieurs éléments nocifs qui s'avèrent plus dangereux que ceux du tabac à fumer. Selon M. Toufik Abdaoui, chirurgien dentiste, la chique provoque le cancer de la gencive qui se manifeste, au début, par l'apparition de tâches blanches, des symptômes répandus chez les chiqueurs.
Le spécialiste a, par ailleurs, recommandé aux chiqueurs d'arrêter de consommer "ce poison" pour éviter le cancer, soulignant que plusieurs consommateurs négligent les conseils du médecin qui, dans certains cas, procède à une intervention chirurgicale pour mettre un terme au développement du cancer.
Son confrère, M. Ahmed Mokassem a, toutefois, exclu l'hypothèse d'une chirurgie, précisant que la chique est à l'origine de la détérioration des dents et l'apparition de tâches qui gâchent le sourire. Les chiqueurs peuvent être sujets aux tremblements, aux maladies cardiovasculaires et digestives, précise-t-on encore de source médicale.