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A la recherche de la vérité dans les ruines de la Ghouta

21-04-2018 21:35  Médias

Par Robert Fisk

Exclusif: Robert Fisk visite la clinique de Syrie qui est au centre d’une crise mondiale.

C’est l’histoire d’une ville appelée Douma, un lieu ravagé et puant d’immeubles détruits – et d’une clinique souterraine dont les images de souffrance ont permis à trois des nations les plus puissantes du monde occidental de bombarder la Syrie la semaine dernière. Il y a même un avenant docteur en blouse verte qui, quand je le trouve dans la même clinique, me dit avec plaisir que la vidéo sur le « gaz » qui a horrifié le monde – malgré tous les sceptiques – est parfaitement authentique.

Les histoires de guerre, cependant, ont l’habitude de devenir de pire en pire. Le même médecin syrien âgé de 58 ans, raconte quelque chose de profondément dérangeant : les patients, dit-il, ont été vaincus non pas par le gaz, mais par le manque d’oxygène dans les tunnels et les sous-sols où ils vivaient, de gros bombardements ayant provoqué une tempête de poussière.

Alors que le Dr Assim Rahaibani me fait part de cette conclusion extraordinaire, il vaut la peine d’observer qu’il est de son propre aveu pas un témoin oculaire lui-même et, comme il parle bien anglais, il se réfère deux fois aux combattants djihadistes de Jaish el-Islam à Douma en tant que « terroristes » – le mot employé par le régime pour ses ennemis, et un terme utilisé par de nombreuses personnes à travers la Syrie. Est-ce que j’entends bien ? Quelle version des événements devons-nous croire ?

Par malchance, les médecins qui étaient de service ce soir-là, le 7 avril, étaient tous à Damas, témoignant dans une enquête [des Nations Unies] sur les armes chimiques qui tentera de fournir une réponse définitive à cette question dans les semaines à venir.

La France, quant à elle, a déclaré avoir des « preuves » d’utilisation d’armes chimiques, et les médias américains ont cité des sources affirmant que des analyses d’urine et de sang le démontraient également. L’OMS a déclaré que ses partenaires sur le terrain traitaient 500 patients « présentant des signes et des symptômes compatibles avec l’exposition à des produits chimiques toxiques ».

Dans le même temps, les inspecteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) sont actuellement retardés dans leur venue eux-mêmes sur le site de l’attaque de gaz présumée, apparemment parce qu’ils n’ont pas les bons permis des Nations Unies.

Avant d’aller plus loin, les lecteurs doivent savoir que ce n’est pas la seule histoire à Douma. Il y a beaucoup de gens à qui j’ai parlé au milieu des ruines de la ville qui m’ont dit qu’ils n’avaient « jamais cru » aux histoires sur les attaques au gaz – qui étaient généralement racontées, selon eux, par les groupes islamistes armés. Ces djihadistes ont survécu sous le blizzard des bombardements en vivant dans les maisons des autres et dans de vastes et larges tunnels creusés à même la roche par des prisonniers sur trois niveaux sous la ville. J’ai parcouru trois d’entre eux hier, de vastes couloirs qui contenaient encore des fusées russes – oui, russes – et des voitures incendiées.

Donc, l’histoire de Douma n’est pas seulement une histoire de gaz – ou d’absence de gaz, selon le cas. Il s’agit de milliers de personnes qui n’ont pas opté pour l’évacuation de Douma dans les bus qui sont partis la semaine dernière, aux côtés des hommes armés avec lesquels ils ont dû vivre comme des troglodytes pendant des mois pour survivre.

J’ai traversé cette ville assez librement hier sans soldat, policier ou gardien pour s’accrocher à mes pas… juste avec deux amis syriens, une appareil photo et un carnet de notes. Il m’arrivait parfois de grimper sur des remparts de 20 pieds de hauteur, de haut en bas, sur des parois presque à pic. Heureux de voir des étrangers parmi eux, plus heureux encore que le siège soit enfin terminé, les gens sont surtout souriants; ceux dont on peut voir les visages, bien sûr, car un nombre surprenant de femmes de Douma portent un hijab noir intégral.

J’ai d’abord été conduit à Douma à l’intérieur d’un convoi escorté de journalistes. Mais après qu’un général ennuyeux ait annoncé à l’extérieur d’une maison du Conseil détruite « Je n’ai aucune information » – le terme le plus usité dans la bureaucratie arabe – je me suis simplement éloigné. Plusieurs autres journalistes, principalement syriens, ont fait de même. Même un groupe de journalistes russes – tous en tenue militaire – s’est éloigné.

C’était à quelques pas du Dr Rahaibani. De la porte de sa clinique souterraine – le « Point 200 », l’appelle-t-on, dans la géologie bizarre de cette ville en partie souterraine – un couloir en descente où il m’a montré son humble hôpital et les quelques lits où une petite fille pleurait alors que les infirmières lui soignaient une entaille au-dessus d’un œil.

« J’étais avec ma famille dans le sous-sol de ma maison à trois cents mètres d’ici dans la nuit, mais tous les médecins savent ce qui s’est passé. Il y avait beaucoup de bombardements [par les forces gouvernementales] et les avions étaient toujours au-dessus de Douma la nuit – mais cette nuit, il y avait du vent et d’énormes nuages ​​de poussière ont commencé à entrer dans les sous-sols et les caves. Les gens ont commencé à arriver ici, souffrant d’hypoxie, de manque d’oxygène. Puis quelqu’un est venu à la porte – un ‘casque blanc’ – et a crié ‘Gaz !’, Et une panique s’est déclenchée. Les gens ont commencé à se jeter de l’eau les uns sur les autres. Oui, la vidéo a été filmée ici, c’est vrai, mais ce que vous voyez, ce sont des gens souffrant d’hypoxie – pas d’intoxication au gaz. »

Étrangement, après avoir parlé avec plus de 20 personnes, je n’ai pas pu en trouver un seul qui manifestait le moindre intérêt pour le rôle de Douma dans les attaques aériennes occidentales. Deux m’ont dit qu’ils ne voyaient pas le rapport.

Mais c’était un monde étrange dans lequel je suis entré. Deux hommes, Hussam et Nazir Abu Aishe, ont dit qu’ils ignoraient combien de personnes avaient été tuées à Douma, bien que ce dernier ait admis avoir un cousin « exécuté par Jaish el-Islam [l’Armée de l’Islam] pour être « proche de la régime ». Ils ont haussé les épaules quand j’ai questionné sur les 43 personnes qui seraient mortes dans l’infâme attaque de Douma.

Les Casques blancs – les premiers intervenants médicaux déjà légendaires en Occident mais avec quelques encoches intéressants à leur propre histoire – ont joué un rôle pendant les batailles. Ils sont en partie financés par le Foreign Office [britannique] et la plupart des bureaux locaux sont dotés d’hommes de Douma. J’ai trouvé leurs bureaux détruits non loin de la clinique du Dr Rahaibani. Un masque à gaz avait été laissé à l’extérieur d’une reserve de nourriture avec un oculaire percé, et une pile d’uniformes de camouflage militaire sales se trouvaient à l’intérieur d’une pièce. Interloqué, je me suis interrogé ? Je n’en croyais pas mes yeux. L’endroit était rempli de capsules, de matériel médical cassé et de dossiers, de literie et de matelas.

Bien sûr, nous devons entendre leur version de l’histoire, mais cela n’arrivera pas ici : une femme nous a dit que tous les membres des Casques blancs de Douma ont abandonné leur quartier général principal et ont choisi de s’en aller avec les groupes armés, avec les bus fournis par le gouvernement et sous protection russe, pour les emmener vers la province rebelle d’Idlib lorsque la trêve définitive a été conclue.

Il y avait des stands de nourriture en plein air et une patrouille de policiers militaires russes – un supplément désormais facultatif pour chaque cessez-le-feu syrien – et personne n’avait même pris d’assaut la prison islamiste interdite près de la place des Martyrs où les victimes étaient censément décapitées. L’effectif de la police civile syrienne du ministère de l’Intérieur – qui porte étrangement des vêtements militaires – est surveillé par les Russes qui peuvent être surveillés ou non par les civils. Là encore, mes questions graves au sujet des attaques au gaz ont provoqué ce qui m’a semblé être une véritable perplexité.

Comment se pourrait-il que les réfugiés de Douma qui avaient atteint les camps en Turquie puissent y parler d’une attaque au gaz que personne aujourd’hui à Douma ne semble se rappeler ? Il m’est apparu, une fois que j’eus marché pendant plus d’un mile à travers ces tunnels creusés par de misérables prisonniers, que les citoyens de Douma ont vécu si isolés les uns des autres pendant si longtemps que les « nouvelles » dans le sens que nous donnons au mot ne signifient rien pour eux. La Syrie n’a rien d’une démocratie jeffersonienne – comme je le dis cyniquement à mes collègues arabes – et c’est en effet une dictature, mais qui ne peut pas empêcher ces gens, heureux de voir des étrangers parmi eux, de réagir avec quelques mots tout à fait sincères. Alors que m’ont-ils dit ?

Ils ont parlé des islamistes sous lesquels ils avaient vécu. Ils ont parlé de la façon dont les groupes armés avaient volé des maisons civiles pour éviter les bombardements du gouvernement syrien et des Russes. Le groupe Jaish el-Islam avait brûlé ses bureaux avant son départ, mais les bâtiments de quelque importance à l’intérieur des zones réservées qu’ils avaient mises en place avaient presque tous été ramenés au niveau du sol par les frappes aériennes. Un colonel syrien que j’ai rencontré derrière l’un de ces bâtiments m’a demandé si je voulais voir à quel point les tunnels étaient profonds. Je me suis arrêté après bien plus d’un kilomètre quand il a observé de façon énigmatique que « ce tunnel pourrait aller aussi loin que la Grande-Bretagne ». Ah oui, je me souvenais de Mme May, dont les frappes aériennes avaient été si intimement liées à ce lieu de tunnels et de poussière. Et qu’en est-il du gaz ?

Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient

Traduction : Chronique de Palestine



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