Entre deux coups de pinceau, le peintre M’hamed Bouheddadj fait une pause et parle de son art : «La peinture est pour moi, simultanément, une colère et un apaisement, une invitation au voyage et une maison intérieure. Souvent, je laisse les couleurs sur la toile inventer leur propre loi, leur secrète harmonie, tout en surveillant leur coulée hésitante. Je donne ainsi sa chance au hasard tout en le contrôlant. Lorsque je finis une œuvre, celle-ci me surprend toujours. Au début, j’ai dans ma tête une idée, mais au fur et à mesure que mon travail de création avance, elle peut changer du tout au tout. C’est comme dans un labyrinthe, je cherche désespérément une issue qui serait l’œuvre d’art finale dans sa plénitude. Je tâtonne, je tourne en rond, je trébuche, je me perds mille fois en route, car on ne sait jamais à l’avance quel est le bon chemin, la route féconde.»
«Lorsque je peints, je suis un autre. Je travaille toujours la nuit sous les auspices de la musique. Je me mets en condition et puis j’attends le déclic, le moment propice, l’instant d’élection. Et puis quand le miracle se produit, pendant 20 jours, 30 jours, je peints, je peints, je peints.»
«L’artiste, comme l’enfant peut-être, est celui qui ne se soumet pas à l’évidence des choses et qui regarde chaque matin le monde comme s’il le regardait pour la première fois. Chaque jour, il s’étonne, et chaque jour, il apprend en s’étonnant. S’étonner, n’est-ce pas sans cesse poser des questions ? L’œuvre d’art serait alors cette réponse de l’artiste aux questions que lui pose le réel. Une réponse parfois qui n’est que le prélude d’une autre question.»
«Je n’aime pas les critiques d’art : qu’est-ce que c’est que ces gens qui prétendent juger une œuvre d’art alors que son sens profond échappe souvent à l’artiste lui-même ? Moi, c’est quand je «sens» un tableau très fort que je me dis qu’il est réussi. Mais des toiles que je n’aimais pas, et que j’ai exposées pour faire du «remplissage», ont été appréciées par le public à mon grand étonnement. Une connivence mystérieuse a dû naître, un partage inattendu a eu lieu, auxquels je n’ai pas été conviés.»
«En art, comme dans la vie, rien n’est jamais acquis et rien n’est jamais perdu une fois pour toutes. Un jour, j’ai voulu détruire quelques-uns de mes tableaux et je les ai brûlés. Mais les toiles «retravaillées» par les flammes et donc à demi-calcinées, ont réacquis à mes yeux, le statut d’œuvre d’art que je leur contestais et ont renouvelé, par la même occasion, mon bail d’artiste !» On crée parfois en détruisant, comme on renaît à la vie, quelquefois, en mourant.